Le troisième

Ma nuit n'a pas été des plus reposantes. Après la crise de Caleb, je ne me suis pas rendormi, puisqu'il en a fait une autre peu après. Bien plus violente. Il s'est griffé les bras jusqu'au sang et Marc a tenté tant bien que mal de le retenir contre son torse avec ses bras pour ne pas qu'il se blesse davantage. Louise a dû partir avec lui pour l'emmener dans sa clinique de jour à peine le soleil levé. Les médecins tentent constamment de faire comprendre que Caleb ne peut pas être soigné et qu'il ferait mieux de rester à la clinique, mais le couple refuse de le laisser. Et je suis entièrement en accord avec eux. Il ne mérite pas d'être abandonné à son sort dans un hôpital pour y être bourré de calmants.

Je me frotte les yeux, essayant d'atténuer ma fatigue et remarque Abigaël sur un coin de muret de la place centrale de l'université, un groupe d'étudiants tout autour de lui. Il parle avec eux d'une voix forte et les fait facilement rire. Un soupir m'échappe et je marche devant eux sans plus m'intéresser à lui. Il a déjà trouvé d'autres personnes pour lui tenir compagnie. Avant que je ne monte les escaliers, il m'appelle.

— Noé ! Attends !

Je l'aperçois abandonner le groupe et venir vers moi. Il me rattrape en quelques secondes et m'offre son poing, dans lequel je frappe le mien pour lui faire plaisir.

— Viens, je vais te présenter aux autres.

Si lui m'accepte comme je suis, je ne suis pas certain que les autres fassent de même.

— Non, je préfère pas...

— S'il te plaît, va au moins leur dire bonjour et après, on va en cours, promis. J'ai pas envie que tu te retrouves tout seul s'il y a un jour où je peux pas venir ou que je suis malade, persévère-t-il.

J'ai envie de lui répondre que la solitude ne me changera pas de d'habitude, mais il semble tellement heureux que je fais un petit effort. J'accepte avec un petit hochement de tête et il m'amène vers les étudiants. Abigaël met déjà le désordre dans mon quotidien en seulement deux jours et je ne sais pas si c'est une réelle bonne nouvelle.

— Les gars, je vous présente Noé, il est dans notre classe.

Ils me saluent tous et je leur donne simplement un signe de main par politesse.

— Ulysse, ça te dérange pas si je mange pas avec vous ce midi ? demande-t-il avec un rictus.

— Mais t'avais promis hier ! s'esclaffe un garçon aux cheveux bruns.

— Je sais, mais j'ai un truc de prévu.

Ils semblent tous déçus d'être privés de sa présence et me foudroient du regard, m'accusant probablement d'être le ''truc de prévu''. Je n'aime pas les expressions qu'ils me donnent. Inconsciemment, l'ongle de mon pouce gratte mon index et la main d'Abigaël presse doucement mon épaule et je cesse mon geste. Il nous retourne pour partir vers le bâtiment principal et je me dégage de son emprise. J'ai encore besoin de garder un semblant de bulle autour de moi en sa présence.

— T'as un truc de prévu ce midi ? me demande-t-il en grimpant les marches.

— Je...

— Je vais me sentir con si tu dis non, ajoute-t-il en poussant la porte pour me laisser entrer dans le bâtiment avant lui.

J'accepte, de peur de le froisser en refusant de passer du temps avec lui.

Nous nous rendons à notre cours de techniques d'expression écrite et orale, qui a pour sujet d'aujourd'hui la discrimination. Chacun doit écrire un texte sur ce qu'il a vécu ou vu, tout en se rapprochant le plus possible de la réalité. Pour ensuite le présenter devant la classe pour le cours de la semaine prochaine.

Abigaël me précise qu'il veut parler de sexisme et que je n'ai pas intérêt à lui voler son idée de sujet, alors je lui précise mon souhait de vouloir parler d'homophobie. Il fixe un point invisible devant lui et m'observe à nouveau.

— Pourquoi tu veux parler de ça ?

Sa question ne semble rien avoir de malveillant et il paraît vraiment intéressé par mon choix de sujet.

— Mon frère sort avec un garçon.

— Ah.

Ses lèvres se pincent et il se remet à écrire. Je ne sais pas si j'ai réellement bien fait de lui donner cette information aussi tôt.

Les cours de la matinée s'enchaînent sans qu'Abigaël ne me parle à nouveau. Mais à l'heure du déjeuner, alors que je m'attendais à ce qu'il parte manger avec le groupe qu'il m'a présenté, au vu de l'absence d'échange entre nous, il se dirige naturellement vers ma table.

— On va manger dehors ? Il fait beau aujourd'hui.

Mon regard se perd derrière lui. Le fameux Ulysse me lance un regard mauvais et un de ses amis lui dit de laisser tomber. Comme je ne lui réponds pas, Abigaël insiste davantage et je finis par accepter de partir chercher des sandwichs à la boulangerie située non loin de l'université. Il en choisit un au poulet et bourré de sauce mayonnaise, pendant que je vérifie mes comptes dans mon porte-monnaie.

— Je vais payer, déclare-t-il en ouvrant son sac.

— Mais...

— Je te devais un dessert de toute façon.

Il me fait un clin d'œil et donne l'argent pour ma commande à la femme derrière la caisse. En sortant de la petite boutique, il remonte sa manche et efface une phrase écrite à l'encre sur son avant-bras à l'aide de son pouce. Des nombreux bracelets en fils et en cuirs ornent son poignet.

— J'oublie souvent ce genre de truc et comme ça, pas moyen d'oublier quand je dois des choses aux gens, précise-t-il en me voyant détailler son bras.

Il n'attend pas que nous soyons assis pour dévorer son plat en jurant constamment que c'est délicieux. Moi, je préfère attendre que l'on trouve une place dans le parc adjacent pour manger.

Nous trouvons une place sous un grand arbre et nous finissons de déjeuner sans se parler.

Grâce au silence, agrémenté de quelques discussions aux alentours qui me parviennent, des questions le concernant germent dans mon esprit. Et une en particulier me taraude depuis le début de la journée.

— Pourquoi tu restes avec moi ?

— Parce que j'en ai envie. C'est pas une raison suffisante ?

Sa réponse est immédiate, il n'a pas réfléchi pour me la donner.

Personne n'a jamais eu envie de passer du temps avec moi sans en avoir été obligé. Abigaël m'intrigue sérieusement.

Une fois nos sandwichs finis, il se lève pour jeter les sachets à la poubelle et revient auprès de moi sans dire un mot. Son regard se perd sur les habitants autour de nous et il se met à triturer des brins d'herbe à côté de sa cuisse. Je comprends aisément que quelque chose le dérange et quand je vois le groupe d'étudiants de ce matin attirer son regard, tout devient plus clair.

— Tu peux aller avec eux si tu préfères.

Son visage se tourne dans ma direction et ses sourcils se froncent.

— Pourquoi ?

— On dirait que tu as envie d'aller parler avec eux.

Il observe de nouveau le groupe discuter et il hausse les épaules.

— Franchement, je m'en fous de ces gens... C'est con, mais vu leur ambition, c'est plus le souhait d'avoir une place dans la maison d'édition de mes parents qui les intéresse que moi.

— Tes parents sont connus ?

— Ça te dit rien la maison Larcher ?

— Non...

— Si je m'attendais à ça ! Franchement, tu me plais de plus en plus Noé.

— Moi ?

— Ça t'étonne ? T'es sympa et tu t'intéresses à plein de trucs.

— Toi aussi. Et c'est certainement plus facile d'être ami avec toi qu'avec moi.

— Si tu le dis.

Son regard se perd devant nous. Pendant quelques secondes, j'ai l'impression qu'Abigaël cache bien des choses sous son sourire à toute épreuve.

— Au fait, t'es occupé ce week-end ?

— Mon frère revient de Paris. Pourquoi ?

— Ah ! Tant pis.

Il se relève, faisant craquer ses jambes et s'étire de tout son long en levant les bras.

— Viens, faudrait pas qu'on arrive en retard.

Je remets mon sac sur mes épaules et me gratte l'index. Est-ce que je dois lui préciser qu'il ne doit pas s'étirer quand son haut est trop petit et qu'il fait apparaître la peau blanche de son ventre ainsi que la ligne de poils roux sous son nombril ?

Je secoue la tête. Non. Ce n'est certainement pas quelque chose qui se dit.

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