Le tout premier

Parfois, je me demande si ma vie a un but. Ou juste un sens. Quand je vois les autres, je m'interroge. Je ne sais pas si je suis fait pour avoir tout ce qu'ils ont. L'amour ou simplement l'amitié, resteront de grands mystères pour moi.

Dès que quelqu'un m'approche, il fuit. Et je ne fais rien pour le retenir. Je suis comme ça. Un peu... bizarre. J'ai des habitudes et des tics que les autres n'aiment pas. Ce que moi, je n'aime pas, ce sont les foules et les ambiances trop fortes ou violentes. Certains diront que c'est parce que je suis malade. Moi, je leur répondrai que c'est parce que je n'aime juste pas ça.

Comme aujourd'hui. C'est mon premier jour à l'université et je suis plongé dans un tout nouvel univers. Il y a des garçons dans un coin qui parlent fort de leurs vacances et des filles dans un autre, qui parlent de ces mêmes garçons. Je marche entre eux sans perdre un mot de leur discussion et avise mon emploi du temps que j'ai dans les mains. Précautionneux, j'avais fait les repérages du lieu au préalable pour ne pas me retrouver complètement perdu aujourd'hui. Je monte les escaliers, évitant les quelques étudiants dans les marches et pousse la porte battante qui donne sur l'amphithéâtre.

Le lycée était bien différent, tout comme le collège l'avait été avant. Entre les messes-basses dans mon dos et le fait que mon ancien meilleur ami m'ait abandonné pour ne pas être associé au malade que je suis, mes mois de scolarité n'ont pas été très simple. Heureusement -ou non-, il y avait toujours Tristan et sa mauvaise manie à casser des nez pour veiller sur moi. Mais depuis qu'il est parti à la capitale rejoindre Loïk pour vivre leur idylle, rien n'est plus pareil.

Je dépose mon sac aux pieds d'un siège dans une rangée vers le fond et m'assois. Je préfère me placer dans un recoin, pour éviter d'être entouré. Je n'ai pas envie en plus de cela, de prendre le risque de déranger les groupes qui se sont déjà formés lors de la journée d'intégration.

La salle se remplit peu à peu et je profite du temps qu'il reste avant l'arrivée du professeur pour écrire dans mon carnet. Un conseil que m'avait donné mon psychologue pour m'aider à mieux exprimer et gérer mes angoisses.

Le professeur entre dans la grande salle et fait circuler une feuille d'émargement pour que nous signalions tous notre présence, avant de nous introduire les notions que l'on verra durant cette première année. Entre théorie de communication et communication politique, je ne suis pas encore certain de parvenir à m'investir totalement. J'espère que les autres cours seront plus facile à mettre en situation pour moi.

Après quelques minutes d'explication, une des portes s'ouvre, claquant contre le mur et fait sursauter quelques étudiants autour.

— Pardon pour mon retard ! Je me suis perdu dans le bâtiment !

Le perturbateur à la chevelure d'un roux éclatant, dévale les marches pour rejoindre le professeur. Je n'avais jamais vu une chevelure aussi écarlate.

— La prochaine fois, veillez à être à l'heure monsieur Larcher, ou je ne pourrais pas vous accepter dans mon cours.

Il acquiesce vivement, remonte l'anse de son sac sur son épaule gauche et signe la feuille sur le bureau du professeur. Son regard balaie la salle et il remonte les marches de l'amphithéâtre jusqu'à trouver une place de libre. Une place non loin de moi.

Il s'installe rapidement et se penche vers son sac pour en sortir un ordinateur et remue ses affaires restées dedans, d'un air un peu affolé.

— Et merde.

Il tourne la tête dans ma direction et se penche vers moi.

— Dis... On peut se partager le livre ? J'ai oublié de le prendre.

J'ai à peine le temps d'acquiescer qu'il prend la place directement à côté de la mienne.

— D'habitude, je pense toujours à tout. C'est juste que là, je suis hyper stressé.

Je ne trouve rien à redire et ouvre le livre à la page demandée. La communication de masse ou plus simplement, "l'ensemble des techniques contemporaines qui permettent à un acteur social de s'adresser à un public extrêmement nombreux."

— Au fait, je m'appelle Abigaël.

Il me sort de mes pensées. Je me tourne vers lui pour voir son expression. Elle est simple à déchiffrer. Il attend que je lui donne le mien.

— Noé.

— Enchanté.

Il se concentre sur le discours du professeur, tapant sur son clavier avec dextérité. Je fais comme lui, n'ayant pas envie de prendre du retard dès le premier jour.

Durant les trois heures suivantes, je surprends plusieurs regards et grands sourires d'Abigaël à mon égard. Personne ne prend la peine de faire ça d'ordinaire et je trouve cela un peu étrange de sa part. Surtout que l'on ne se connaît pas.

À la fin du cours, tout le monde se lève et commence à ranger leurs affaires pour partir déjeuner, excepté Abigaël.

— Noé, ça te gêne si je mange avec toi ?

Lui, il n'est définitivement pas comme tous les autres étudiants, mais je me retiens bien de le lui faire remarquer. On m'a toujours dit de ne pas faire de réflexion au cas où la personne le prendrait mal.

— Si tu veux.

Il se lève de son siège et semble ravi en rangeant ses affaires. Mais je ne fais pas d'illusion. Quand il se rendra compte de la personne que je suis, il s'éloignera rapidement et arrêtera de vouloir passer du temps avec moi. Ça a toujours été comme ça.

— Je sais pas du tout où est la cafet', donc je te suis.

Je me dirige naturellement vers le réfectoire, lui à côté de moi, prenant le temps de saluer chaque personne que l'on croise. Ce n'est pas le genre de garçon à vouloir passer inaperçu, entre son treillis gris, ses boots noires aux pieds et son t-shirt gris affublé d'un phœnix en plein centre, accompagné d'une veste en cuir. Sa chevelure rousse apporte une touche explosive à son style.

— Tu étais là pour la journée d'intégration ? reprend-t-il en poussant la porte dans la cafétéria.

— Non. Je n'aime pas ce genre d'événement. Et toi ?

Je me force un peu à lui parler pour ne pas paraître trop froid selon un autre conseil de mon médecin.

— Nope. J'étais à l'autre bout du pays pour le boulot de mes parents. Et pour répondre à une question qui viendrait, ils détestent me laisser seul. Au cas où j'aurais l'idée d'inviter des gens chez eux. Va savoir pourquoi ils me pensent incapables de prendre soin de moi et de la baraque. J'ai plus six ans !

Nous récupérons des plateaux et Abigaël trouve une place en plein milieu de la pièce. Moi qui préférais me faire discret en me mettant dans un coin en retrait, je suis mal tombé avec lui.

— Excuse-moi, mais je peux te poser une question plutôt directe ?

Je hoche la tête. Je sais sans difficulté qu'il est question de mon TSA. Les gens le remarquent quasiment tous.

— Tu vas manger ta pomme ?

Son sourire est contagieux à un point inimaginable. Je pose le fruit sur son plateau sans plus lui en demander.

— Merci. Je note que je te dois un dessert.

Il sort un stylo de sa trousse et remonte sa manche pour griffonner sur son bras. J'imaginais plutôt que c'était imagé, mais apparemment, tout est à prendre au pied de la lettre avec lui. Il range son crayon au fond de son sac et commence à me poser des questions. Des dizaines de questions sur ce que j'aime, ce que j'écoute, regarde ou lis. Abigaël possède un débit de parole impressionnant, pour ne pas simplement dire qu'il est vraiment bavard.

— Pourquoi t'as choisi le journalisme ? Je veux dire... Ça se voit que tu as des problèmes pour communiquer.

Il a donc bel et bien remarqué mon trouble, mais ça ne semble pas le déranger plus que ça. Alors je préfère lui répondre honnêtement. Je ne suis pas un bon menteur de toute manière.

— Je veux passer outre tout ça. J'ai envie de voyager, rencontrer des gens et écrire leurs histoires pour les partager avec les autres.

— Sympa comme plan.

— Et toi ? Pourquoi tu es ici ? reprenne-je, curieux de savoir sa raison.

— Mes parents. Ils sont rédacteurs et rêvent que je récupère leur place dans l'entreprise à leurs retraites.

Il dit cela sans un sourire. Je crois qu'au fond de lui, il n'a aucune envie de faire ça.

Nous finissons de manger et débarrassons nos plateaux. Abigaël lève la tête vers l'horloge et jette ses couverts sales au milieu des autres.

— On va être en retard !

Nous rendons nos plateaux vides et dévalons les marches pour rejoindre le bâtiment principal. Je sais qu'il n'a aucune connaissance des lieux ni de son emploi du temps. Je le pousse à avancer plus vite et nous nous arrêtons devant notre salle au deuxième étage, complètement essoufflé. Sa main se pose sur son rein.

— Oh putain... J'étais pas prêt à courir autant après manger.

— Au moins on est à l'heure, le rassuré-je.

— J'aurai pas apprécié que notre course ne serve à rien, rit-il.

Nous trouvons deux places côte à côte dans une rangée, quelques minutes avant que la professeur de langues étrangères n'entre à son tour en classe.

Et Abigaël n'est pas vraiment brillant durant celui-ci. Il se trompe constamment et ne fait pas le moindre effort pour se corriger, pourtant, ça ne semble pas l'affecter. Il rit de ses erreurs avec tout le monde. Y compris avec l'enseignante. Rien ne semble l'atteindre et le gêner. Il est facile de deviner que dans quelques jours, tout le reste de notre classe le connaîtra et fera de lui un garçon populaire à l'université. Tout le monde aura remarqué Abigaël et il s'éloignera de moi comme tous les autres avant lui. Je ne me fais pas d'illusion.

Les heures défilent et la fin de journée est annoncée. Tout le monde se retrouve dehors pour se saluer et prendre le chemin de leurs résidences.

Abigaël me tend son poing devant le parking.

— À demain Noé.

— À demain Abigaël.

Il commence à partir, s'arrête net et fait volt-face, tout en mordillant sa lèvre.

— Je peux t'avouer un truc ? Franchement, appelle-moi Abi.

J'accepte avec la volonté de devenir ami avec lui. Au moins pour quelques jours. J'ai envie que l'on soit proche au moins le temps de m'acclimater à tous ces changements.

Je retourne vers les casiers pour récupérer mon skate dans l'un d'entre eux. Le vélo est trop encombrant et j'évite le bus au maximum. Le skateboard est donc l'un des meilleurs moyens de pouvoir rentrer rapidement chez les Bellegarde.

Je maîtrise mon véhicule à la perfection. La façon dont je dois me tenir ou plier les genoux pour tourner dans un sens puis dans l'autre. J'esquive les passants avec rapidité et une facilité qui m'est propre. Éviter le contact physique ou visuel au maximum. Je plane sur ma planche, plongé dans mon monde avec mon casque. Je marmonne des paroles que moi seul, peux comprendre. Mon monde à moi, le temps d'une pause après cette journée. Ma rencontre avec ce garçon aux cheveux écarlate et ce sourire communicatif. Abi ; Abi ; Abi. J'ai envie d'appeler Tristan pour tout lui raconter, mais je sais qu'il n'aura sûrement aucune envie de me répondre. En ce moment, il n'a même pas le temps de répondre à mes messages. Mon frère me manque.

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