Le neuvième

Ils se sont embrassés et je suis rentré pour pleurer dans mon lit. Toute la nuit, sans m'arrêter. Je me sens stupide. Évidemment qu'Abigaël a quelqu'un dans sa vie. C'est impossible de ne pas l'aimer. La peluche renard me nargue avec son sourire et je la lance à l'autre bout de ma chambre avec un cri de rage. Abigaël est amoureux d'un garçon. Abigaël a embrassé un garçon. Et je sais qu'Abigaël fait l'amour avec un garçon. Je pleure plus fort. Je suis amoureux d'Abigaël. Mais pour lui, je suis juste un ami. Mon cœur me fait mal. J'ai envie de l'arracher de ma poitrine pour arrêter de souffrir.
Je me tire les cheveux, me frappe le crâne. Je suis stupide. Tout le monde me le dit. Je hurle, pleure. C'est horrible de souffrir autant.

Le couple fait irruption dans ma chambre et Louise me retient les poignets, sûrement pour m'empêcher de me faire plus de mal.

— Noé, m'appelle-t-elle. Noé, arrête.

Je n'entends pas sa voix bienveillante. Je ne perçois que des rires moqueurs et des insultes. Je suis tellement stupide. Abigaël ne m'aime pas. Les larmes continuent de couler.

Elle grimpe sur mon lit et me tient fort contre sa poitrine, m'obligeant à poser ma tête sur son épaule.

— Chut... Je suis là...

Elle me retient, me berce, me parle doucement. Je m'accroche à ses épaules et pleure plus fort. Mon cœur bat trop vite. Je vais étouffer.

— Respire, Noé... Respire...

Sa main continue de caresser ma joue et elle embrasse mon crâne. Je sanglote plus doucement, mais je continue de me raccrocher à elle. Si je la lâche, je vais sombrer.

— Abigaël...

— Il t'a fait du mal ? s'enquiert immédiatement Marc. Noé, s'il t'a fait quoi que ce soit, je te jure que-

— Non... Il...

Marc grimpe également sur le lit et nous serre, moi et Louise, dans ses bras.

— Il a quelqu'un... Il a un petit-ami.

— Oh mon cœur...

Je n'ai pas besoin de dire plus. Ils comprennent facilement tout ce que je ressens pour Abigaël.

Louise embrasse une nouvelle fois mes cheveux et m'allonge sur le lit, toujours prisonnier de ses bras. Marc fait de même et passe une main dans mes cheveux. C'est un des endroits où je me sens le plus en sécurité, avec eux.

— Est-ce que tu as besoin d'une pause ? demande la mère de famille.

Je hoche la tête. Revenir à l'université et devoir l'affronter lundi va être bien trop difficile. Je ne supporterais pas d'apercevoir son sourire en sachant qu'un autre a droit à bien plus que ça.

— On va prévenir ton école, précise Marc. Dis-nous simplement de combien de temps tu as besoin.

— Je sais pas... Quelques jours.

— D'accord, accepte Louise avec un sourire bienveillant.

— Je peux aller voir Tristan ?

— Évidement, mon cœur. Et prends le temps qu'il te faudra. On sera toujours là pour toi.

Ils m'embrassent le front chacun leur tour et je finis par fermer les yeux, épuisé d'avoir trop pleuré.

J'aimerais tellement qu'Abi me prenne dans ses bras.

*  *  *

Louise et Marc n'ont pas regardé à la dépense pour me prendre un billet de train. Le prix était un peu exorbitant, mais ils ont affirmé que ça leur faisait plaisir que je puisse passer du temps avec mon frère.

J'ai de la chance d'être arrivé à l'heure. Ce n'est pas facile de l'être quand on prend en condition les problèmes de retard ou les accidents sur les voies. Je resserre les lanières de mon sac à dos en descendant les marches jusqu'à la place centrale de la gare.

Depuis que je l'ai vu la dernière fois, Tristan a changé sa tendance capillaire. Ses cheveux sont maintenant tout aussi gris que ses yeux. Il me fait un grand signe et je le prends dans mes bras.

— Tu m'as manqué...

— Tu me manques toujours, petit frère.

On se relâche et il me guide jusqu'au parking de la gare, évitant les passants avec habilité.

— On va à l'appart' et tu me racontes tout.

Il me tend un casque de moto.

— Tu as une moto ?

— Ouais. Et puis je pouvais pas te laisser prendre en plus les transports en communs.

Nous descendons dans un parking souterrain et il déverrouille l'un des véhicules à deux-roues. La carrosserie noire rutile. Je ne sais pas combien elle lui a coûté, mais il faudrait au moins plusieurs milliers pour y parvenir. Il enfonce le casque sur ma tête et me demande de m'accrocher fort à lui, une fois assis. Le moteur grogne et je me raccroche à sa taille aussi fort que je peux. Je n'aime pas ce véhicule et je sais que me voir dans cet état l'amuse un peu. Heureusement, il finit par s'arrêter au bout de longues minutes, dans un autre parking souterrain et me mène jusqu'à un ascenseur. Tout l'habitacle brille du sol au plafond. Si le petit espace démontre tout le luxe de l'endroit, je n'ose pas imaginer l'appartement où il vit.

L'ascenseur s'ouvre directement sur une entrée et il m'invite à le suivre.

— Mi casa es tu casa ! s'exclame-t-il en ouvrant les bras.

C'est digne d'un magazine de décoration et pourtant, ce n'est pas pour autant absent de vie. Je n'aurai pas aimé que Tristan vive dans ce genre d'endroit de toute manière.

Un chat siamois vient se frotter à mes jambes et je le prends dans mes bras pour lui offrir des caresses. Un autre gros chat tigré m'observe depuis le canapé.

— Celui que tu tiens, c'est Ruwann. Et lui là-bas, c'est Bergamote.

Le dernier qu'il a présenté feule sur lui et marche jusqu'à un arbre à chat.

— Comment tu t'es payé tout ça ? l'interrogé-je avec sérieux.

— Loïk. Il m'a laissé l'appartement et sa moto. Il m'a dit qu'avec le fric qu'il se fait, c'est pas bien grave pour lui. Et vu ce que me rapporte mon boulot, j'ai pas craché dessus. T'as la chambre d'amis sur la droite.

Je repose le chat pour me rendre dans ladite chambre et Tristan m'interpelle avant que je ferme la porte.

— Oui ?

— Rien. Laisse tomber.

Mes affaires installées, on se retrouve tous les deux à discuter de choses plus légères pendant plusieurs heures. Aucun de nous n'ose aborder le sujet réellement important. Notre père. Tristan ne veut pas savoir pour le moment le choix que j'ai pris vis-à-vis de la situation actuelle et je n'ai pas non plus envie d'en parler. Et nous ne parlons pas de nos peines de cœur. Pas pour le moment en tout cas.

Nous sommes tous les deux assis sur des sièges de jardin sur sa petite terrasse, lui avec une cigarette entre les doigts et moi avec Ruwann sur les genoux.

— Comment va Arllem ? demandé-je en caressant le félin.

— De ce que je sais, il file le parfait amour avec Brevan. Et ils ont même emménagés ensemble y a pas longtemps.

Il prend une énième bouffée de tabac et la recrache d'un air un peu songeur.

— Pourquoi tu ne vois plus tes amis ?

— J'ai tout abandonné pour suivre Loïk. Je peux pas revenir juste comme ça en leur demandant pardon.

— Tu ne leur as pas dit ?

— Non. Et j'ai jamais rien dit à personne pour Papa. Sauf à Loik.

Sa fin de cigarette finit dans un pot à côté de sa chaise.

— Demain, j'ai un gros truc de prévu. Et je t'emmène.

— On va voir Loïk ?

Il hausse ses épaules, se relève de son siège et enfile une veste.

— Tu vas où ?

— Un endroit qui va pas te plaire. Promis, je rentre pas tard.

Il frotte mes cheveux et m'abandonne dans le grand appartement. Je sais qu'il va boire à s'en rendre ivre. Je n'aime pas ça et pourtant, je ne peux pas le retenir sans prendre le risque de créer une dispute.

Je mange seul avec ses chats devant une émission de cuisine, prends une douche et me change pour aller au lit. Les deux félins de Tristan s'allongent sur ma couette et je me perds un peu sur les réseaux. Sur le profil d'Abigaël précisément. Notre photo est toujours supprimée. Je reçois la notification d'un message privé. Je vais dans l'onglet conversation et me rends compte que c'est Abigaël qui a cherché à me joindre. Il m'a envoyé un message vocal.
Sa voix résonne dans la chambre et fait battre plus vite mon cœur.

— Salut Noé... Hum... C'est Abigaël. Je t'ai cherché partout sur le réseau et j'ai fini par te retrouver !

Il rit un peu.

— Je sais pas ce qu'il s'est passé samedi soir pour que tu partes aussi vite et ça m'inquiète un peu. J'espère juste que tu vas bien. Envoie-moi un message dès que tu peux.

J'éteins mon téléphone et tente tant bien que mal de m'endormir en fermant les yeux. Je vois Abi et son sourire. Sa voix et son rire résonnent encore dans ma tête. Puis je revois le baiser qu'il donne à ce garçon. Les larmes me montent aux yeux. Je me retourne dans le lit et jette un coup d'œil par la fenêtre. Je ne ferme jamais les volets. La nuit est claire et l'on peut voir la Lune briller dans le ciel pollué des autres lumières de la capitale.

L'ascenseur s'ouvre. À travers la porte de ma chambre, j'entends des rires étouffés dans le couloir et des personnes s'embrassent sous des petits gémissements. Mon frère est avec quelqu'un.

La porte de sa chambre claque. Les murs ont beau être épais, si on veut se faire entendre, on se fait entendre. Et le partenaire de Tristan a bien envie de montrer qu'il prend du plaisir.
Mon frère aussi apparemment.
Bizarrement, ils s'insultent en disant à l'autre d'aller plus vite et plus fort.
Je recouvre ma tête avec l'oreiller et ils crient davantage. Ma nuit va être horrible.
Il faut impérativement que Loïk revienne dans sa vie.

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