Le dixième

Je me retourne sur le dos et ouvre grand les bras. Il fait jour et la vie parisienne a déjà repris son cours. Je m'assois sur le lit et caresse la tête de Ruwann qui ronronne sous mes doigts. Je prends l'animal entre mes bras et quitte la chambre pour réveiller Tristan. Au bout du couloir, je tombe nez à nez avec le rendez-vous nocturne de Tristan. Un grand blond au corps musclé et bien plus âgé que mon frère. Il ne doit pas être loin de la quarantaine et sa nuque est parsemée de plusieurs taches violettes.

— Salut ! T'es le coloc de...

— De Tristan, complété-je en le voyant chercher son prénom. Et non. Je suis son petit frère.

— Ah ! Donc tu... Merde. Désolé pour le bruit hier.

— Ce n'est pas grave.

L'homme me salue pour disparaître rapidement dans l'ascenseur. Je n'allais pas dire à un inconnu que ses cris où il disait à mon frère "de le pilonner plus fort" m'ont empêché de dormir.

Je relâche le chat et me dirige vers la chambre de Tristan, décidé à enfin avoir une vraie conversation avec lui. Son comportement nocif à assez durer. J'ouvre la porte en la claquant contre le mur, ce qui a pour effet de faire sursauter Tristan.

— C'était qui ?

— On a pas idée d'ouvrir les portes comme ça... marmonne-t-il.

— C'était qui, Tristan ?

— Un gars...

— Ça je l'ai vu, imbécile. Je te demande qui il est pour toi.

— Personne. Maintenant, si tu veux bien, je veux continuer ma nuit.

— Non. Il faut qu'on parle.

Tristan grogne et se cache avec son oreiller. Je ne veux pas abandonner maintenant, alors je m'assois sur son lit.

— Pourquoi tu fais tout ça ? Tu as quelque chose à prouver ?

— Va prendre ton petit-déj' et laisse moi dormir.

Je me lève et retire la couette du lit pour le faire lever avant de lui remettre aussi vite. Je n'ai aucune envie de voir la nudité de mon frère.

— D'accord. Mais ne t'attends pas à ce que je le fasse pour toi. Ou à ce que je te parle de la journée.

— Va chier Noé.

— Toi, va chier.

Je claque sa porte et me retiens de lancer un juron contre le bois. Cela ne servirait à rien de toute manière.

Je nourris ses chats et je prépare mon repas. Tristan ne daigne pas se présenter de la matinée alors j'en profite pour étudier un peu. Louise et Marc m'envoient de temps en temps des messages, en me demandant comment nous allons. Je passe sous silence le comportement de Tristan et leur réponds avec des messages joyeux.

Tristan ne réapparaît qu'en milieu d'après-midi, habillé d'une façon que je n'avais jamais vu sur lui. Ses vêtements lui collent à la peau.

— Change-toi, on sort.

Ne souhaitant pas me retrouver seul une nouvelle fois, je me change comme il me l'a demandé et nous descendons jusque dans le parking. Il ouvre une voiture tout aussi brillante que la moto et nous partons vers une destination inconnue. Je ne sais pas où l'on va ce soir et je n'apprécie pas du tout.

Après presque une heure de route, nous arrivons devant une maison moderne en bois et en béton qui respire le luxe. Des gens riches vivent ici. Je le suis à l'intérieur de la bâtisse et Tristan salue des dizaines de personnes en robes et en costumes de fête que je n'ai jamais vu. Tout le monde le reconnaît et tient à lui parler. Je cherche des gens que je connaîtrais, en particulier Loïk, et je le vois.

Il se tient au milieu de tous, une belle jeune femme à la peau mate à son bras. Ils se font les yeux doux. Tristan grogne à côté de moi et s'en va au bar pour prendre un verre.

— Noé ! Ça fait tellement longtemps qu'on ne s'était pas vu ! Comment tu vas ?

Il me serre contre lui et je l'entoure avec mes bras. Je l'ai toujours beaucoup apprécié.

— Pas très bien. Tristan...

Nos regards se bloquent sur mon frère qui enchaîne les shots autour du bar.

— Il est comme ça depuis des mois et rien ne le fait changer de comportement. Dieu sait que j'ai essayé de l'aider. À part ça, je te présente Priyanka. Priyanka, Noé.

La jeune femme m'offre un sourire magnifique et me fait la bise. Elle sent la fleur d'oranger.

— Enchanté de te connaître Noé.

— Moi aussi.

— Mon amour, ça ne te dérange pas si je te laisse seul cinq minutes, lui demande-t-elle avec un sourire charmeur. Je dois passer un coup de fil.

— Vas-y, on se voit plus tard.

Ils s'embrassent doucement et Priyanka disparaît à l'étage.

Loïk me pose des questions sur ma vie, les études et je lui réponds volontiers. Le revoir m'apaise un peu. Je sais qu'il veille sur mon frère malgré leur différend. Il ne le quitte jamais vraiment des yeux.

— Et sinon... Tu as quelqu'un ?

— Il y a bien un garçon qui me plaît mais il est en couple. Alors non.

— Je peux quand même voir sa tête ?

Je sors mon téléphone et lui montre une photo d'Abigaël depuis son profil à lui. Voir son sourire me fait mal. Je sens une main me frotter le dos. Loïk me sourit.

— L'amour ça peut faire mal.

— Souvent.

Nous regardons une nouvelle fois Tristan, qui danse sur la terrasse de la maison, avec une grande bouteille entre les doigts. J'observe plus en détail Loïk. Une lueur brille dans ses yeux.

Mon téléphone vibre dans ma main, m'indiquant que je viens de recevoir un message vocal. Je m'excuse auprès de Loïk pour aller l'écouter.

— Salut Noé, c'est encore Abi. T'étais pas en cours aujourd'hui alors je voulais juste savoir comment tu allais. C'est con, parce que t'es peut-être juste malade, mais je m'inquiète pour toi. Hésite pas à appeler si tu as besoin des devoirs. Ou même juste comme ça... Tu me manques.

Je range mon portable au fond de ma poche et lève les yeux vers la fenêtre.

Mon frère titube autour de la piscine, complètement éméché avec sa bouteille de champagne encore à la main. Je me dépêche de le rejoindre avant qu'il ne glisse et tombe dans l'eau.

Sa voix hasardeuse chantonne des paroles du refrain d'une chanson d'amour que Loïk a écrite. Tout le monde qui l'écoute connaît cette chanson. Mais personne ne sait qu'elle est dédiée à mon frère.

— Sans réserve, sans conditions, Je t'aimerai sans conditions...

Tristan danse seul dans la nuit, accompagné d'alcool.

— Il n'y a plus de crainte à présent, Laissons-nous aller librement...

Mon frère est dévasté.

— Je t'aimerai sans conditions...

Il boit de nombreuses gorgées et pointe du doigt la maison.

— Toi, Loïk, t'es le plus gros enfoiré de toute la planète ! Mais je t'aime. Qu'est-ce que je t'aime, putain... Des fois, j'ai envie de t'étrangler et d'autres fois, qu'on fasse l'amour comme des bêtes. Mais t'auras jamais les couilles de sortir avec un mec devant les caméras ! Toi qui me disais d'assumer... À la première occasion, tu te défiles ! T'es le plus grand hypocrite que je connaisse ! Une histoire de faux couple... Mon cul, oui !

Il boit une longue gorgée avant de jeter la bouteille dans l'herbe.

— Et toi, Noé...

Il se retourne vers moi et pour la première fois, mon frère me fait peur.

— Pourquoi t'es là, hein ? Parce que ton petit-copain est déjà maquer ? On fait bien la paire tous les deux.

— Tristan...

Les larmes me montent aux yeux.

— Tu pleures ? Oh... Il pleure !

— Arrête...

Il se rapproche de moi et son regard me terrifie.

— Je te hais, petit frère, chuchote-il à mon oreille.

Les larmes coulent le long de mes joues. Il me déteste à ce point ? Lui qui a toujours pris soin de moi ?

— Tristan...

— Arrête de chialer, putain ! T'es plus un gamin !

— Pourquoi t'es en colère ?

Mes bras se retrouvent prisonniers entre ses mains qu'il resserre plus fort.

— Tu demandes pourquoi je suis en colère ?

— Arrête. Tu me fais mal...

Sa prise se fait plus forte et il commence à me secouer par les épaules.

— Et toi ? T'as pensé une seule seconde à ce que j'ai subi pour toi ? Les coups que j'ai reçus pour ne pas qu'il te frappe ? Tu m'as jamais demandé comment j'allais ?!

— Tristan, lâche-moi...

— T'es un enfoiré, Noé ! crie-t-il. Je souffre depuis toujours à cause de toi ! T'as fait de ma vie un enfer ! T'AURAIS DÛ CREVER AVEC ELLE CE JOUR-LÀ !

J'entends le son d'une claque et les mains de Tristan me relâchent. Loïk est entre nous, la paume encore en l'air à côté du visage de mon frère. Il vient de le gifler.

— T'as tous les droits d'être en colère. Mais je t'interdis de l'être contre lui et de dire ça. Noé est ton petit frère, bordel. Il n'est en rien la cause de ce qu'il t'est arrivé.

Nos regards gris se croisent. Une vraie tempête se joue dans ses yeux. Je ne l'ai jamais vu autant dévasté. Tristan quitte la terrasse, la tête basse en prenant soin de bousculer Loïk d'un coup d'épaule. Mon cœur se compresse quand je comprends enfin le sens de ses mots. Il me hait. Mon frère me hait. Ma respiration devient erratique. Tristan aurait préféré que je meure.

— Noé, calme-toi, me souffle Loïk.

— Il me hait...

— Non. S'il te plaît, calme-toi.

Il tente de s'approcher de moi, les mains en avant de la même manière qu'il s'approcherait d'un animal blessé.

— Il faut que tu arrives à te calmer. Je vais vous ramener chez lui. Mais pour ça, il faut que tu réussisses à ralentir ta respiration et que tu me suives jusqu'à sa voiture.

Je recule jusqu'à m'asseoir sur un fauteuil et ferme les yeux. Je dois faire comme ma psy me dit. Inspiré, expiré. Inspiré, expiré. Loïk pose doucement sa main sur mon genou et je l'observe. Il me sourit en suivant le même rythme que moi. C'est plus facile comme ça.

— Ça va un peu mieux ?

Je hoche la tête et me mets debout, Loïk pose sa main sur mon dos pour m'aider.

— Allez, je vous ramène.

Il me guide jusqu'au parking où nous attend déjà Tristan, appuyé contre la portière du côté passager. Son regard est brumeux et sa joue prend une belle couleur rose. Le geste de Loïk semble lui avoir remis les idées en place. Il lui jette les clefs, que Loïk attrape d'un bon reflex.

— Conduis. J'ai un coup dans le nez.

Il disparaît à l'arrière du véhicule, me laissant la place à côté de Loïk.
Je prends la place qu'il m'a léguée et Loïk envoie un message depuis son téléphone avant de s'asseoir derrière le volant. Personne ne parle durant tout le trajet jusqu'à son appartement.

Une fois garé sous l'immeuble, je sors du véhicule et Loïk part ouvrir la portière à Tristan. Il se penche pour lui dire quelque chose que je ne peux pas entendre, mais cela fait pleurer mon frère.

Loïk l'aide à se mettre debout et le soutient. Tristan se met à jurer qu'il nous aime et que Loïk est l'amour de sa vie. Nous montons dans l'ascenseur et au milieu de son salon, il vomit en pleurant.
Mon frère a besoin d'aide.

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