Le dix-huitième

Je ramasse le premier roman et le range dans la bibliothèque. Cela me fait du bien de mettre de l'ordre surtout que j'étais le seul fautif pour avoir tout déranger suite à ma crise. Je prends mon temps, faisant attention à ne pas davantage abîmer mes livres.

Quelqu'un toque à la porte et je l'autorise à entrer. Louise passe dans l'entrebâillement.

— Tout va bien Noé ?

— Je fais un peu de rangement, expliqué-je.

— Tu veux que je t'aide ?

Je hoche la tête et Louise ferme la porte derrière elle, avec un sac-poubelle dans la main. Il semblerait qu'elle avait déjà l'intention de m'aider. Elle ramasse les feuilles déchirées, quand moi, je remets les livres à leurs places sur les étagères, les classant par couleurs, par genre et par taille.

— Louise ?

— Oui mon chéri ?

— Abigaël et moi, je crois qu'on est ensemble.

— Je suis heureuse pour toi. C'est un gentil garçon.

Elle me sourit. Je sais qu'elle le pense vraiment.

— Et je ne veux plus voir mon père.

Elle marque une pause, la main au-dessus du sac-poubelle et jette finalement la boulette de papier.

— Tu... Tu es sûr de toi ? Parce que tu peux très bien aller le voir si tu en as envie. Ne prends pas en compte ce que l'on t'a dit avec Marc. Tu es capable de prendre tes propres décisions.

— Je suis sûr de moi. Et j'ai envie que l'on discute de l'adoption.

La mère de famille s'arrête définitivement et s'assoit sur mon lit. Je le rejoins et commence à gratter mes doigts. Est-ce qu'elle regrette leur demande ?

— Je serai contente si on pouvait discuter de ça. Tu as le droit de ne pas prendre ta décision tout de suite, ce n'est pas grave. Mais si tu acceptais, ça nous rendrait vraiment heureux avec Marc.

Elle pose sa main sur ma joue. Louise n'a jamais été brusque ou violente avec moi.

— Je pourrais t'appeler Maman ?

— Oui. Ou juste Louise si tu préfères.

— Non. Ma vraie mère ne m'a jamais aimé. Toi, je sais que tu m'aimes.

— Mon bébé...

Elle me serre contre elle. Son contact ne me fait pas peur. Je me sens prêt à mettre les choses à plat et à enfin pouvoir vivre avec les Bellegarde comme je le souhaitais. Peu importe si Tristan ne veut pas la même chose. Moi, j'ai pris ma décision.

Elle s'essuie la joue et se redresse sur ses pieds.

— Allez, il faut se remettre au travail. Cette chambre ne va pas se ranger toute seule.

* * *

L'université sans Abigaël n'est pas aussi difficile à gérer que je ne le pensais. Depuis quelques semaines, je passe la majeure partie de mon temps à travailler mes cours et je n'ai donc pas le temps de me faire embêter.

Mais Abigaël me manque quand même. Beaucoup. Nous nous appelons régulièrement et envoyons aussi des messages. Notre relation est au même stade que le jour de son départ. Il n'y a pas de nom sur ce que nous sommes et Ulysse me charrie à ce sujet.

Je lui ai précisé qu'un de nos appels avait particulièrement émoustillé nos sens et nous avait confortés dans notre idée de sortir officiellement ensemble le jour de son retour. Ulysse s'est caché derrière son livre en marmonnant ce jour-là.

Le brun n'est pas un ami, mais il m'a même rejoint une fois pour le cours de droit. Je pense que l'on s'accepte mutuellement.

Je relis une nouvelle fois les lignes de définitions de sociologie et écoute d'une oreille la conversation de trois filles assises autour et sur une table. Elles parlent fort.

— Il est tellement sexy !

— Et puis ses yeux vairons...

— Oh mon Dieu ! J'en ai des frissons !

— Dommage qu'il soit en couple. J'aurais trop aimé qu'on fasse des bébés !

Les trois filles gloussent en s'extasiant devant leurs téléphones.

Je tente de me concentrer sur mon cours. Puis l'une des filles éclate de rire.

— Franchement, cette fille est une chanceuse !

— Tu l'as vu ? Elle est trop belle.

— Il y a que les beaux qui finissent ensemble.

— Chanteur et actrice. On va les voir partout maintenant !

Je me gratte l'index avec le pouce. Elles font beaucoup trop de bruit. Ulysse prend une chaise à côté de moi et pose deux feuilles sur la table.

— J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle, commence-t-il. La mauvaise, c'est que j'ai eu huit.

— Et la bonne ?

— T'as eu quatorze.

Je repose mon crayon et récupère mon dernier devoir. Ulysse m'a aidé à réviser, au détriment de sa propre note. Il me fait un clin d'œil, en rien fâché de notre différence de point et sort son téléphone comme il le fait avant chaque cours.

— Vivement le mariage ! s'exclame une des filles.

— J'ai trop hâte de voir sa robe !

Elles ne s'arrêteront donc jamais ?

— Hey les filles ! les appelle Ulysse.

Elles relèvent toutes les trois leurs têtes vers l'étudiant.

— Vos gueules.

L'une d'elle lui montre son majeur en faisant la grimace et parle plus doucement avec ses amis.

— Merci...

Il me tapote l'épaule et je jette un coup d'œil indiscret à son écran. Je regrette aussitôt.

Je sors mon téléphone de ma poche pour m'assurer de ce que j'ai vu. Mais je ne rêve pas.

« Loïk et Priyanka, un amour à toute épreuve. » J'ouvre et lis l'article rapidement. J'éteins mon écran. Loïk va se fiancer. Loïk va se marier avec Priyanka.

— Noé ?

Je quitte ma table et lance un appel pour Tristan à peine sorti de la salle. Son téléphone est éteint. Je tente de l'appeler de nouveau. Mais je tombe une nouvelle fois sur sa messagerie. Mon frère est déjà au courant, c'est évident. Je tente d'appeler Loïk, mais là aussi, ça sonne dans le vide. Le stress monte. Tristan ne s'en remettra pas. Là, j'en suis certain. J'ai vraiment peur pour mon frère.

Ulysse me rejoint dans le couloir et me tend mon sac.

— Ça va ?

Je ne le laisse pas m'approcher, peu importe qu'il tienne encore mes affaires dans ses mains. Je fuis dans un autre couloir, toujours le téléphone sur l'oreille. Je jongle entre les appels sur le téléphone de Loïk et celui de Tristan. Je fuis dans l'école, avec la seule idée de pouvoir entendre mon frère ou avoir des nouvelles de lui. Je stresse. J'ai peur. J'ai envie de hurler. J'ai besoin de savoir qu'il va bien.

Je m'adosse contre le mur dans un couloir vide, essayant de calmer ma respiration.

Mon téléphone sonne. Loïk m'appelle. Je décroche avec la peur au ventre.

— Noé... Je t'assure que je voulais pas... Je pensais pas qu'il...

Ses mots sont entrecoupés de sanglots. Il pleure. Loïk pleure. J'entends des sirènes d'ambulance derrière lui. Je n'ai pas envie de poser d'autres questions. Je n'en ai pas le courage.

— Tristan a... Il a pris des médocs. Il est aux urgences. Il faut que tu viennes à Paris.

— D'accord. Préviens Marc et Louise. On te rejoint dès que possible. Tu as leur numéro ?

— Oui, sur le téléphone de Tristan... Noé, je te jure, je voulais pas...

— Tu aurais dû y penser avant.

Je raccroche et me laisse tomber contre le mur avant d'entourer mes jambes avec mes bras.

Tristan allait mieux et il a fallu que Loïk détruise tout. Je le déteste.

Je reprends mon téléphone et appelle la seule personne avec qui j'ai envie de parler. Abigaël décroche rapidement.

— T'es pas censé être en cours ? Tu joues les rebelles !

Il rit et je n'ai même pas la force de sourire.

— Mon frère est à l'hôpital. Il a pris des médicaments...

— Noé...

— J'ai envie de te voir...

— Je rentre dès que possible, affirme-t-il. Même si mes parents me renient après ça, et même si je dois traverser l'Océan à la nage. Je serai là pour toi. Compte sur moi.

Je n'ose pas raccrocher de peur de ne plus le sentir avec moi. Je fonds en larmes avec le téléphone encore dans ma main.

Tristan a voulu m'abandonner.

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