Le cinquième

Marc et Louise ont tout tenté pour nous convaincre de les laisser nous accompagner. Tristan a refusé. Cette histoire ne concerne que notre famille apparemment. J'ai bien essayé de lui faire entendre que Louise et Marc font parti de notre famille, sans succès. Tristan a encore refusé.

Alors nous nous trouvons tous les deux, dans le couloir d'un cabinet d'avocat, avec notre père derrière l'une de ces portes.

Il craque ses doigts, chaque bruit un peu trop fort attire son regard. Je m'efforce de le calmer en lui prenant la main. Nous sommes deux à vivre ça.

Un homme en costume nous rejoint d'un pas pressé.

— Bonjour, je suis Maître Rambier, l'avocat de votre père.

Tristan se lève et l'homme lui tend la main qu'il attrape sans sommation.

— Pardon pour mon retard, j'étais avec un autre client, s'excuse-t-il

Il me tend sa main. Le regard de Tristan me fait comprendre que je dois la lui serrer, donc je m'exécute. Sa peau est sèche.

— Il ne devait y avoir que nous et un psychologue, expliqué-je. Pas un avocat.

L'homme sourit et jette un regard plein d'incompréhension à mon frère. Aucun des deux ne me donne une réponse et il nous demande de le suivre jusque dans un bureau. Je n'aime pas ça. Il ouvre la porte et nous invite à entrer dans la pièce. J'attrape aussitôt la main de Tristan. Notre père se tient là, devant nous. Cela fait six ans que je ne l'ai pas vu et je remarque toutes ces années qui se sont accumulées sur ses traits. Il a les mains abîmées.

L'avocat nous propose de nous asseoir et je trouve une place autour de la table ovale au centre de la pièce, face à mon père et à côté de Tristan.

— Bon, si tout le monde est là...

— Allons droit au but, l'interrompt mon frère. J'ai aucune envie de m'éterniser ici avec lui.

L'avocat accepte et sort de sa pochette plusieurs documents agrafés qu'il pose sur la table. Tristan lui arrache quasiment des mains et lâche un rire cynique en les parcourant des yeux.

— Non...

Il jette les papiers vers notre père.

— T'as pas le droit de faire ça.

Je tourne le fichier vers moi et le lis rapidement. Restitution des droits parentaux.

— Je comprends pas...

— Cet enfoiré refuse d'abandonner définitivement ses droits envers toi, crache Tristan.

L'avocat émet un petit toussotement pour faire part de sa présence et nous l'observons.

— Comme Noé est majeur à présent, il n'est seulement question que d'une formalité pour qu'il puisse rendre visite à son père.

Je ne savais même pas qu'il était question de moi aujourd'hui.

— Mais... Et toi ? demandé-je à mon frère, surpris qu'il ne veuille pas la même chose.

— Il a pas envie de me récupérer, apparemment. Et c'est franchement pas grave. J'ai pas vraiment envie de passer le voir pour parler de la pluie et du beau temps comme si de rien n'était.

Notre père baisse la tête et fait grincer sa chaise pour se rapprocher de nous malgré la table.

— Je suis sincèrement désolé. Pour tout. Mais j'ai envie de me racheter Noé. T'es mon petit garçon.

Tristan rit. Mais il est loin d'être amusé.

— Comme t'as merdé avec moi, tu essaies avec lui ? Tout ce que tu vas réussir à faire, c'est lui retirer tout ce qu'il a de bien dans sa vie. Louise et Marc sont de bien meilleurs parents que toi.

— Ils ne seront jamais vos parents.

Tristan ne dit rien et se mord les lèvres. Observe notre père, l'homme de justice et de nouveau notre père. Je vois les larmes lui monter aux yeux.

— Tu savais que Louise et Marc avaient l'intention de lancer une procédure d'adoption...

Notre père ne dit rien, l'air coupable et je recule au fond de mon siège. Louise et Marc ont l'intention de faire de moi leur fils. Pourquoi personne ne m'a rien dit ? Pourquoi personne ne me dit jamais rien ?

— Les Bellegarde nous ont bien fait part de leur souhait, ajoute l'avocat. Mais au vu des circonstances, votre père a le droit de refuser.

Tristan se lève de son siège et fait les cent pas derrière moi, les mains tremblantes.

— Tu vas nous pourrir la vie jusqu'au bout... T'as aucun droit de refuser ça !

— Maintenant que je suis sobre depuis plus de quatre ans et que j'ai eu une évaluation psychologique positive, j'ai le droit de vous récupérer, explique notre géniteur.

Tristan le pointe du doigt.

— T'es la plus grosse enflure que je connaisse !

— Monsieur Asselin, s'il vous plaît, l'appelle l'avocat. Calmez-vous.

— Non. Non, je ne me calmerai pas ! s'écrie Tristan. Pas tant qu'il n'aura pas signé ce putain de retrait de droit parental !

L'avocat se lève et le regard de Tristan me fait comprendre qu'il n'a aucunement l'intention de se calmer. Il le provoque.

— Arrête Tristan, lui intimé-je.

— Que j'arrête ? Il te manipule ! s'exclame-t-il plus fort.

— Je suis majeur. Alors laisse-moi aussi gérer ça.

Le sourire qu'il affiche me déchire le cœur.

— Allez tous vous faire foutre...

Il claque la porte en faisant presque trembler les murs.

— Bon... Vous êtes prêt à signer ? insiste l'avocat.

— Je... J'ai besoin de temps pour y réfléchir.

Je me lève, prêt à les abandonner, mais l'homme me retient encore.

— Je comprends. Prenez ma carte et appelez-moi quand vous aurez pris une décision.

Mon père me sourit faiblement.

— Ne m'abandonne pas toi aussi, supplie-t-il.

Je ne réponds rien et me contente de ranger le numéro au fond de ma poche.

—Excusez-moi.

J'abandonne mon père et son avocat pour tenter de rejoindre Tristan.

Je le retrouve dans la rue, à mettre des coups de pieds dans une poubelle en insultant notre père de tous les noms d'une voix forte. Les gens le regardent, choqués et d'autres, amusés. Certains se mettent même à le filmer. Mon frère est bien trop en colère pour que je tente de l'approcher. Alors je décide d'appeler Marc pour qu'ils viennent nous chercher rapidement avant que Tristan ne se blesse ou qu'il fasse du mal à quelqu'un d'autre. Le couple ne met que très peu de temps à arriver.

Marc se dirige vers mon frère pour l'éloigner de la foule, quand Louise revient vers moi en s'assurant que je vais bien.

Nous explosons en pleurs une fois en sécurité dans la voiture. J'aurais tellement aimé avoir une vie plus simple avec Tristan.

Une fois à la maison, le couple empêche Inès et Valentine de nous poser des questions. C'est trop tôt pour en parler avec elles. Tristan part dans le jardin pour respirer et je préfère me réfugier dans ma chambre. Je sors mon carnet de mon bureau et j'écris sur mon lit pour prendre une pause. Pendant longtemps. Satisfait et plus calme, je repose mon carnet et observe ma peluche renard contre mon oreiller. Abigaël a des cheveux presque aussi roux que le pelage de l'animal. Je lève la peluche en l'air et souris.

— Abi...

Je serre la peluche renard contre moi. J'aimerais voir Abigaël.

Je me rends compte que je me suis assoupi quand j'entends quelqu'un toquer à ma porte. J'observe Tristan dans l'encadrement de la porte. Ses yeux sont rouges et gonflés d'avoir bien trop pleuré. Je l'invite à venir sur mon lit.

— Je te demande pardon, s'excuse-t-il d'une faible voix.

J'ouvre grand les bras et il se presse contre moi.

— T'as toutes les raisons du monde d'être en colère.

— Je ne suis pas en colère, affirmé-je en caressant ses cheveux.

Tristan serre plus fort mes bras.

— Je suis pas comme lui...

Son index glisse sur la cicatrice de mon avant-bras.

— Je suis pas comme elle.

Je frissonne et je prends son visage entre mes bras pour le faire cesser.

— Non. Tu ne me feras jamais de mal.

Je le presse plus fort contre moi et il rit.

— Au secours ! On tente de m'étouffer !

Je ris avec lui et le relâche pour qu'il puisse mieux respirer. Il caresse ma joue et les larmes lui montent aux yeux.

— Ça me tuerait de savoir qu'il t'a fait du mal. Bien qu'il jure avoir changé, au fond de lui, il est toujours le même. Alors je t'en supplie, ne retourne pas avec lui.

— D'accord...

— Je suis sérieux. Je sais pas ce que je serais capable de faire s'il t'arrivait quelque chose.

Il repose son front contre le mien et je ferme les yeux.

— T'es mon petit frère et je ferais n'importe quoi pour toi, Noé.

Ce qu'il dit me fait presque peur. Jusqu'où serait-il prêt à aller pour moi ?

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