2. La tête en bas
Le silence fut ponctué des clics de l'appareil photo de Rebecca qui s'empressait de documenter la trouvaille sur le vif. Certains des éléments les plus importants de telles découvertes se situent dans leur contexte autant que dans la pierre.
Tout en faisant le tour de la salle pour relever un maximum d'informations, les trois explorateurs de ces lieux se répétèrent ce que chacun savait déjà des pérégrinations des Vikings durant le Moyen Âge.
- Ça voudrait dire qu'ils ont parcouru plus du double de la distance que ce qu'on pensait ! s'exclama Rebecca. C'est dingue !
- Attends d'avoir les résultats des datations, tempéra Charlie. On aurait dû trouver des traces bien plus conséquentes qu'une simple gravure s'ils étaient venus dans la région.
- Ouais. On risque d'avoir besoin de plus que de trois runes et demi pour faire dater ça. Mais imagine qu'on ait raison !
- En tout cas, ça collerait plutôt bien avec les histoires que les populations indigènes racontent, ajouta Camille. J'ai plusieurs fois entendu des allusions à la peau pâle des visiteurs dont elles parlent. Je soupçonnais que c'était peut-être plus qu'une métaphore, même si ce détail a pu être rajouté depuis l'arrivée des premiers colons.
Les voix se turent pour écouter le chant des gouttes qui longeait les parois pour s'écraser au sol ou rebondir sur l'eau. Seulement quelques fois, on pouvait entendre l'un des trois se murmurer à lui-même "L'homme sait peu de choses", et puis revenir dans le silence.
Stratégiquement, ils s'étaient disposés chacun à une extrémité de la cavité pour couvrir le plus de terrain possible. Quand ils convergèrent finalement, ils se retrouvèrent à nouveau sous l'inscription.
- Vous avez quelque-chose ? demanda Charlie Tiwaia.
- Non.
- Rien.
Ils soupirèrent et s'adossèrent sous les runes.
- Et ça ? demanda sans grande conviction Camille. J'ai l'impression qu'il y a de l'eau dessous.
Il pointait du doigt un rocher qui, semble-t-il, recouvrait un trou inondé.
Les deux autres y fixèrent leur regard quelque secondes et Charlie se leva.
- Allez, on le bouge !
Un peu perplexe, Rebecca et Camille la suivirent devant le caillou et agrippèrent tant bien que mal la masse.
- 3... 2... Gnnn!
Ils durent s'y reprendre à plusieurs reprises, la bête étant plus lourde qu'elle n'y paraissait, mais finir par la déloger de son socle. Dessous, révélé par le faisceau de la lampe-torche, le trou creusait assez profond pour être appelé boyau et dans sa gourmandise, avalait la lumière avant qu'elle ne puisse atteindre le fond.
Voyant Charlie aller récupérer son masque posé plus loin, Camille lui demanda, inquiet :
- Tu ne comptes quand-même pas plonger là-dedans ?
Ajustant ses lunettes de plongée sur les yeux, elle leur indiqua de faire de même.
- C'était rhétorique, ta question, hein ? lui répondit Rebecca en esquissant un sourire, avant d'attraper ces affaires et de lancer les siennes à Camille.
Le boyau était vraiment étroit, ne permettant qu'à une personne après l'autre de nager à l'intérieur.
- On va avoir du mal à se retourner, là-dedans, les informa Charlie. On y va doucement, deux mètres entre chacun de nous et on essaie de ne pas toucher les parois pour que rien ne s'écroule. Rebecca, passe-moi l'appareil, j'ouvre la marche. Camille ensuite, et...
- Si tu me demandes de la fermer, je t'en fous une, prévint Rebecca, anticipant la blague éculée.
Charlie rit, mis son masque, et se laissa basculer tête la première dans les profondeurs. Camille, puis Rebecca, firent de même.
Ils sombrèrent ainsi de longues minutes, y voyant à peine tant l'eau était opaque, et avançant à un rythme très prudent. Parfois, d'étranges petits animaux translucides croisaient leur passage ou se collaient à leur combinaison, curieux. La tiédeur de l'eau s'oublia au fur et à mesure de la descente et elle était désormais plutôt froide.
Enfin, Charlie leur fit signe qu'elle avait repéré quelque chose alors que le fond commençait enfin à se distinguer. Ils accélérèrent un peu et alors que les derniers mètres s'élargissaient, les laissant se mettre côte à côte, ils se retrouvèrent autour d'un étrange objet, à n'en pas douter, de facture humaine.
Charlie passa sa main sur sa surface pour le découvrir des sédiments et des organismes qui s'y étaient déposés. Il s'agissait d'une sorte de grand vase fermé, d'approximativement un mètre de long, gravé de toutes parts. Ils voyaient mal à cette profondeur, et les années passées dans l'eau avaient altéré les motifs considérablement, mais ils ne pouvaient qu'avoir en tête l'art nordique en constatant les nombreux angles et les formes caractéristiques qui couvraient l'artefact.
Par un langage des signes rudimentaire, élaboré entre les trois amis au cours de leurs aventures, ils se mirent d'accord pour remonter l'objet dès à présent. Ils ne pouvaient malheureusement pas prendre le risque de faire les choses bien et de revenir mieux préparés une fois un hypothétique financement obtenu, qui ne leur serait de toute façon jamais accordé dans ces circonstances. Ils prirent une fois de plus autant de photos qu'ils le pouvaient, tout en étant pressés par la quantité limitée d'air dans leurs bouteilles, puis emballèrent et attachèrent le vase aussi délicatement que possible, pour le remonter sans tarder.
Jetant un dernier coup d'œil à l'étrange alvéole dans laquelle ils se trouvaient, ils commencèrent la remontée, l'un hissant le vase à l'aide des cordes, un autre le poussant par-dessous, et un troisième au milieu, prenant soin à ce que l'objet ne heurte pas les parois.
Ce fut bien plus long que pour descendre et tous étaient un peu nerveux, à cause des risques qu'ils prenaient et aussi parce qu'ils n'apercevaient toujours pas la sortie et que le noir tout autour d'eux depuis maintenant vingt minutes commençait à les faire douter qu'ils allaient dans le bon sens. Pourtant, il n'y avait qu'une direction et ils continuèrent donc.
Les animaux aquatiques qu'ils avaient croisés lors de la descente avait bizarrement disparut et il ne restait plus que le silence et l'obscurité pour leur tenir compagnie.
Mais enfin, ils aperçurent un petit point loin au-dessus d'eux qui reflétait la lumière de leurs lampes. Ils gravirent les derniers mètres avec une soudaine poussée d'adrénaline et se retrouvèrent enfin dans la salle aux runes, émergeant doucement le vase, et laissant s'échapper des cris de joie.
La fatigue qui commençait à les gagner les calma vite et ils s'assirent autour de l'étrange poterie pour reprendre leur souffle.
- Vous avez vu comme moi ? demanda Rebecca. C'était pile au milieu, posé debout sur le sol ! Ça a été mis là intentionnellement !
- Ouais, j'en ai aussi l'impression, confirma Charlie.
- Je propose qu'on ne traine pas trop, invita Camille. On a plus beaucoup d'air dans les bombonnes, autant sortir vite tant qu'il nous reste de l'énergie.
Les deux filles acquiescèrent. Camille et Rebecca se préparèrent tandis que Charlie passait son doigt sur le bas du vase à travers la protection de plastique, comme hypnotisée par ce qu'elle observait.
- Tu viens ? lui demanda Rebecca.
- Vous avez vu cette sorte de spirale à la base ? lui offrit-elle pour toute réponse. C'est... étrange.
Rebecca s'approcha.
- Oui, c'est la première fois que je vois un truc pareil. Mais on y verra mieux dehors. Faut y aller là !
- Tu as raison.
Sortir du complexe immergé ne fut pas chose facile, mais à côté du boyau dans lequel ils avaient trouvé le vase, c'était presque une baignade agréable. Ils finirent enfin par percer le voile de la mer et rejoignirent leur monde sous le soleil, alors que celui-ci se couchait, dessinant la silhouette de la jungle et transformant les nuages en montagnes d'or flottantes.
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Pour la petite histoire...
Alors qu'il se rendait en Islande depuis le Groenland récemment colonisé par les Vikings, le négociant nommé Bjarni Herjólfsson dû contourner une tempête et se retrouva sur une mauvaise route qui l'amena vers des côtes encore inexplorées. C'est ainsi que fut découverte, accidentellement, l'Amérique du Nord par les Vikings.
De retour, il raconta son histoire à un certain Leif Erikson, explorateur et fils d'Erik le Rouge, qui lui racheta ses vaisseaux et partit à la conquête de ces terres, autours de l'an 1000. Il les nomma Vinland, littéralement « Terre de la vigne », car la vigne y poussait toute seule et produisait le meilleur vin.
S'ensuivirent de nombreuses expéditions jusqu'à la fin du Moyen Âge au XVe siècle, qui longèrent la côte est de l'Amérique du Nord jusqu'à l'actuel Maine.
Il faudra attendre 1492 et Christophe Colomb pour que les Européens redécouvrent les Amériques, près de cinq siècles après les Vikings.
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