Près du feu
Peut-être que ma plus grande peur en réalité n'était pas cette forêt effrayante ou les hurlements sinistres des loups. Peut-être craignais-je plus encore la solitude que je ressentais, perdu dans cette maison au milieu des montagnes.
Cela pourrait expliquer la vague brûlante de soulagement qui étreignait mon cœur lorsque j'apercevais ce vif éclat de lumière danser sous les arbres.
Papa !
D'un geste brusque, je m'arrachais à l'étreinte de ma couverture, je sautais sur le sol et accourais à la fenêtre. Cela réveillait Pépin qui grognait, et clopinait tant bien que mal jusqu'à la porte. Il ne voyait plus rien et entendait avec peine, mais il savait d'expérience que mon excitation était due au retour de son maître.
Comme la vitre était froide sur mes mains ! Je cherchais à effacer la buée que formait ma respiration sur le verre. Au dehors, seule la lumière de la lampe torche me parvint. En me concentrant, je finis par apercevoir la silhouette courbée qui s'approchait de la maison. Un énorme fagot de bois attaché dans le dos, un lourd manteau enveloppant son corps, se déplaçant avec peine au milieu de la neige qui tombait sur la plaine et qui lui arrivait aux genoux, il avait cette allure qu'on retrouvait chez tous les Hommes des montagnes. La posture et l'endurance du combattant qui a bravé le froid toute sa vie, et qui ne craint plus la forêt.
Comme je l'admirais, en cet instant ! Il venait me sauver. Il revenait des ténèbres glaciales des bois, auxquelles il avait survécu pour me retrouver.
J'attendais toujours qu'il arrive jusqu'à la porte. La peur s'était transformée en excitation. Je ne sentais plus le froid, alors même que je n'étais vêtu que de cette chemise qui tombait jusqu'à mes pieds. Je sautillais frénétiquement. Lorsqu'il poussait le portail qui empêchait les chiens de s'enfuir, dehors, je me précipitais vers la porte et tirais sur la poignée avec force. La neige s'était infiltrée dans tous les trous, et je peinais à l'ouvrir. Je sentais qu'on donnait un coup contre le bois, et la porte cédait soudainement.
Vite, je me décalais pour laisser place à l'homme qui rentrait dans la maison. Autour de ses bottes qui claquaient contre le sol, des paquets de flocons se répandaient en tas éparpillés. Il lâchait son fagot de bois qui s'écrasait dans un bruit sourd. Puis, il retirait son manteau pour me le poser sur la tête. Il savait que cela me faisait rire. A chaque fois, je tombais à la renverse et essayais de trouver les manches dans cet amas de fourrure. Je l'enfilais alors et imitais sa démarche lente et difficile. C'était à lui d'éclater d'un rire tonitruant qui semblait faire rougir de joie le feu. Pépin agitait doucement sa queue, aussi heureux que moi de ne plus être seul.
Mon père s'approchait du feu et se laissait tomber sur un fauteuil. Les yeux remplis d'étoiles, j'accourais vers lui et sautillais sur place.
- Papa ! Papa ! Tu as vu les fées ?
Un sourire caché par sa barbe venait illuminer son visage ridé.
- Pas ce soir gamin. Mais tu veux savoir ce que j'ai vu ?
- C'est quoi ? C'est quoi, dis !
Il prenait alors un air mystérieux, et il imitait avec ses mains les griffes d'un animal.
- J'ai vu la Mère des loups.
- Nooooon ! C'est vrai ?
- Et oui Loupiot. Aussi vrai que j'te vois. Elle était toute blanche, de la truffe jusqu'aux pattes.
- Est-ce qu'elle... dis, est-ce qu'elle était belle ?
- Très belle. Elle m'a regardé de ses grands yeux bleus...
Il plaçait ses mains autour de ses yeux gris grands ouverts pour mimer l'animal. J'étais suspendu à son récit.
- Et puis... pouf !
Son grand geste me fit sursauter. Mon père sourit.
- Elle a disparu.
- Disparu ? Elle est allée où ?
- Sûrement nourrir ses petits. Elle devait chercher des lapins à grignoter.
- On a des lapins nous ! On peut lui en donner !
- Eh non Loupiot. On doit garder la nourriture, sinon c'est un d'nos chiens qu'on aura à lui donner !
Je jetais un coup d'œil à Pépin, qui s'était affalé sur le tapis.
- Pépin il est trop vieux. Il peut plus chasser les lapins comme les loups.
- Non. Mais il a vu les fées, tu sais ?
- Quoi ?
- Quand il était plus jeune, j'allais avec lui dans la forêt.
Je me courbais pour caresser la tête du vieux chien.
- Pépin ! Elles étaient comment les fées ? Tu t'en rappelles ?
Pour toute réponse, il grogna et ferma les yeux.
- Papa, je crois qu'il a oublié. Tu peux me parler des fées ?
- Des fées, tu es sûr ? Pas des dévoreurs ?
Il fit une grimace et mima leur démarche saccadée.
- Non ! Pas les dévoreurs, ça fait trop peur ! Je veux entendre l'histoire de la fée blessée que tu as trouvé dans la montagne !
Dans un sourire paisible, mon père s'installait plus confortablement dans son fauteuil. Je me dépêchais de rajouter quelques bûches de son fagot au feu qui crépitait, puis je me jetais sur l'autre siège et m'entourais de ma couverture.
- Je suis prêt !
Alors, il commençait à parler.
C'était toujours ainsi que se passaient nos nuits. Ces nuits d'hiver où le vent soufflait toujours aussi fort, où les poutres craquaient toujours autant. Mais à présent, il était là, avec moi. Je n'avais plus à craindre de ne pas le voir revenir de ces forêts effrayantes. Il se trouvait devant moi, souriant, et les histoires qu'il contait me transportaient dans un univers fascinant, où la peur de la nuit se mélangeait à la paix des étoiles et au mystère des ténèbres.
Il me parlait des esprits qui vagabondaient dans le noir.
Des loups qui sillonnaient la forêt en meute.
Des fées tapies dans la neige.
Des dévoreurs qui avalaient des roches des montagnes en faisant s'écrouler les falaises.
Il me contait les histoires du feu et de l'obscurité.
Il me parlait des lièvres malins et des renards poilus. Il me parlait de la chouette aux yeux si grands qu'ils pouvaient voir le ciel entier, et du cerf aux bois d'or dont les pas ne laissaient pas de traces dans la neige.
Il écrivait sur mon cœur ébahi les légendes de la nuit.
Et moi, j'écoutais, je vivais de ce monde vibrant sous la lune. La nuit prenait un autre tournant, la forêt changeait de face.
Sans même m'en rendre compte, mes paupières devenaient lourdes. Mes yeux se fermaient peu à peu.
Je m'endormais au milieu des contes de la nuit, et mes rêves étaient peuplés de loups au regard d'argent et des esprits voyageurs qui m'entraînaient dans leur ronde.
« Bonne nuit, Loupiot. »
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