Nuits éternelles

Aujourd'hui, les choses ont bien changé.

Les nuits hivernales ne sont plus froides. Le feu crépite dans l'âtre propre et soigné, éclairé par les lumières de la maison. Les poutres ne craquent plus. Les bûches ne s'entassent plus sur le tapis. Il n'y a plus de vent pour siffler dans les montagnes, pas plus qu'il n'y a de montagnes pour cacher le ciel noir de la nuit. Pépin n'est plus qu'une vague silhouette effacée dans mon esprit. J'ai perdu depuis bien longtemps ma couverture de laine et ma chemise trop petite pour l'homme que je suis à présent.

A vrai dire, j'oublie presque tout de cette époque dans la forêt, peu à peu. Je passe l'année entière à rire et à danser sur le chemin de ma vie, sous le soleil brûlant de la ville et l'herbe rasée du printemps.


J'oublierais presque tout, oui, s'il n'y avait pas ces nuits d'hiver.


Ces nuits où la neige tombe doucement par la fenêtre pour effleurer le sol des jardins.


Alors, lorsque je me laisse porter par cette douce valse des flocons, je retrouve quelque chose, au fond de mon cœur. Les vestiges d'une enfance lointaine, si lointaine qu'elle s'est tapie en moi pour s'oublier. Je me revois sous cette couverture, à essayer d'ignorer le vent hurler dans les arbres. Je revois la lune traverser le ciel, et le chant des loups bercer mes chansons. Je ressens à nouveau cette attente et cette angoisse teintée d'espoir qui me tenait éveillé toute la nuit.


Une voiture passe dans la rue.

Et ce n'est pas la lumière des phares que je vois. C'est cette lampe qui perce les arbres, et Pépin qui gratte contre la porte. C'est mon père qui entre en laissant tomber au sol son fardeau dans un bruit sourd. C'est son sourire quand il me contait des histoires, affalé dans son fauteuil.

Et je revois les loups aux museaux d'argent, guidés par leur reine à la fourrure lunaire.

Je revois les fées qui se cachent dans la neige et qui vous entraînent à jamais dans les bois.

Je revois ces monstres qui avalent les pierres des montagnes une à une, déclenchant les avalanches.

Je sais bien que ces contes n'ont jamais existé. Mais ces nuits-là... durant quelques secondes... c'est comme si tout pouvait devenir réel à nouveau.


Oui, je retrouve mes rires et mes cris de joie dans ceux de mes enfants qui gambadent dans la neige. Je me retrouve dans leurs yeux scintillants lorsqu'ils attendent que je leur conte une de mes fameuses histoires.

A force de vivre tourné vers l'avenir, j'ai parfois l'impression d'être un bateau dans la tempête : sans attaches, sans port ni terre sur laquelle s'abriter. Mais ces nuits-là...

Ces nuits-là, je me rappelle d'où je viens. Je suis comme un arbre qui redécouvre ses racines. Et si ces souvenirs s'éloignent de moi, années après années, je les chéris de tout mon cœur. Je les explore lentement, un à un, comme j'aurais apprécié relire les chapitres d'un livre que je chéris.

Certains disent que le souvenir des êtres perdus est un fardeau. Je sais la chance que j'ai de tenir au mien.

Non, pour rien au monde je ne laisserais filer ces quelques instants où je sens la chaleur du feu sur mes joues et le vent qui siffle au-dehors.

Pour rien au monde je ne refoulerais cette sensation de froid et d'angoisse qui s'évapore d'un coup, par la simple lueur d'une lampe.

Pour rien au monde je n'oublierais les aventures que mon père me contait, car elles étaient une porte ouverte sur un univers incroyable. Un univers dont il m'a légué la clé.

C'est cette clé que j'espère donner à mon tour à ces enfants qui cherchent les fées dans la neige du jardin, et qui hurlent comme des loups quand la lune se lève, pour voir leur mère éclater de rire.

J'aimerais leur donner ce souffle de vie qui m'a relevé dans les moments difficiles que j'ai rencontré ; cette phrase soufflée à mon oreille qui a réchauffé mon cœur lorsqu'il faisait froid...





« Bonne nuit, Loupiots. »

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