« Ethan, nous allons rater le batelage, dépêche-t... »

Le visage mutin de Louis s'éclaira d'un sourire. L'adolescent, tout prêt, attendait sur le seuil, dansant d'un pied sur l'autre. La porte claqua et deux inspirations puissantes plus tard, ils dévalaient les ruelles, bousculant les vieilles dames et les étals colorés sur leur passage. Les deux garçons zigzaguaient entre les obstacles avec l'habitude d'enfants des rues que les factions ne parviennent pas à contenir entre les murs de l'éducation morale. Le choc brutal stoppa net la course d'Ethan. Un géant grimaçant se retourna avec une agilité insoupçonnable. Cependant, Ethan, habitué à ce genre d'incident, avait glissé entre ses jambes, rattrapant son frère en deux foulées.

Sur le quai, seules des bribes de conversations filtraient du brouhaha, mais la plupart avaient pour sujet le batelage et le festin merveilleux qui s'ensuivrait. Louis, installé accroupi près des pitons d'amarrage, s'esclaffait. L'imitation d'Ethan, restituant le visage expressif du géant tenait du meilleur comique, ce qui lui valut les sourires de connivences d'un jeune couple qui attendait, lui aussi, le coup d'envoi de la fête.

Survint le silence. Les cinq vaisseaux des azurites venaient de pénétrer l'atmosphère de la planète océan. Les tympans des auditeurs, d'abord ouatés par l'arrivée de la flotte, perçurent bientôt le chant des baleines. Les visages s'épanouirent. La surface irisée de l'eau tremblotait. Les vibrations, pénétrant les corps et les âmes, dénouaient les tensions. Juste sous la surface pelliculée de l'eau saline, les algues brunes, vertes, roses et mordorées ployaient et ondulaient, réalisant un balai fantasque, chimérique et fascinant. L'odeur chargée de musc des baleines commença à déferler sur le rivage par vagues successives, signe qu'elles avaient quittées leurs cages spatiales.

Le troupeau ondulait dans les flots avec grâce et détermination. Scheïa, reine de la fête, offrande du jour, portait d'immenses perles multicolores sur sa bosse. Les gouttes d'eau faisaient chatoyer ces bijoux chaque fois que les évents immenses rejetaient l'air chargé d'hydrogène produit par son ossature musclée. Tournoyant dans des jets de lumière humide, les mammifères marins exécutaient un ballet féerique rythmé par le chant profond et doux qui paraissait monter des abîmes de l'océan lui-même.

Les spectateurs, sous le charme de cette féerie, battaient des mains et des pieds - cœur de la planète, sourd et puissant. Quelques minutes plus tard, l'effet de communion bien que toujours aussi pressant, Ethan sentit ses yeux le piquer. Le temps qu'il porte le revers de sa main à ses paupières, ses muscles le trahirent. Son corps heurta le sol.

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