Chapitre 7
SEVEN
Le vent soufflait de plus en plus fort tandis que je m'éloignais en courant. Quand je fus assez loin pour qu'il ne me voie plus, je m'arrêtai et regardai en arrière. Il n'était plus là.
J'avais l'impression qu'il n'avait été qu'une chimère, une vision, comme la montée d'adrénaline après la prise d'une drogue quelconque. Je jetai un coup d'œil vers la plage déserte. Il n'y avait que moi pour trainer dehors sous cette intempérie. Enfin, moi, et le mec le plus bizarre que j'avais rencontré de ma vie. La marée avançait sur le sable et les déferlantes s'écrasaient de plus en plus fort contre la falaise. Le plus gros de la tempête allait me tomber dessus avant que je n'aie le temps d'arriver à la maison.
Les palmiers s'agitaient avec violence tandis qu'un déluge s'abattit sur moi. Je me mis à courir, tandis que le ciel semblait cracher sa furie, frappant ma poitrine nue, mais je ne pensais qu'au mec silencieux aux yeux tristes.
Il n'avait rien de particulier, si ce n'est la capacité de me laisser presque sans paroles. C'était bizarre que quelqu'un comme Makai, qui ne disait rien et fuyait les gens, ait réussi à me faire sentir aussi bien. Comme si je le connaissais depuis toujours. Ça me déstabilisait et me faisait peur, mais son silence avait été le bienvenu, car il avait réussi à faire taire les pensées qui habitaient ma tête un moment.
Comment ? Je n'avais pas la réponse.
Je m'en voulais de ne pas l'avoir remercié pour ça. Makai portait ses propres casseroles et un mal profond au fond de lui. Il suffisait de le regarder pour le percevoir.
Dans le reflet de ses yeux, je me voyais, moi, d'une certaine manière. Comme si nous souffrions du même mal et je sentais qu'il pouvait me comprendre. Il devait être comme moi, seul à mener ses batailles. Sans quelqu'un pour nous aider, nous ne serions jamais assez forts pour les affronter.
Je n'oubliais pas son grand-père qui m'avait accueilli à bras ouverts dans sa boutique. Cet homme avait été comme un point de lumière vers lequel se diriger. Il m'avait offert ce que je désirais le plus, une planche. Mais c'était une excuse, finalement, parce que, ce qui me remplissait vraiment de joie, c'était la possibilité de passer du temps avec lui et en apprendre le plus possible sur cette île. Je sentais que cette personne ne serait pas dégoûtée de me regarder et que ses phalanges ne changeraient pas de couleur chaque soir parce qu'il m'avait frappé. Ce serait peut-être quelqu'un à qui je pourrais parler quand j'aurais un problème, à qui je pourrais tout dire si les choses devenaient trop pesantes.
Ou si mon monde s'effondrait et tombait en morceaux.
Il me faudrait du temps pour réparer la planche. En partie, parce que je n'avais pas la moindre idée de comment faire, et j'avais envie de passer du temps dans la boutique, cet endroit me plaisait beaucoup.
Cette journée avait été merveilleuse. Une de celles qui te donnent le sourire.
J'accélérai le pas, haletant d'avoir couru contre le vent quand j'aperçus l'endroit rêvé pour se réfugier de la tempête. Notre maison.
Je poussai la porte avec fracas, trempé et grelottant.
— Seven, tu es un grand malade ! tu vas attraper la mort, hurla Kane en courant chercher une grosse serviette dans la salle de bain pour m'envelopper dedans.
Sa voix trembla quand il me dit :
— Tu m'as fichu une peur bleue, où t'étais passé ? Et qu'est-ce que tu fais sans tee-shirt par ce temps de chien ?
Il me secoua en fronçant les sourcils.
— Excuse-moi, Kane, je t'expliquerai tout à l'heure, répondis-je tandis que je cherchais encore mon souffle. J'aidais un ami, je suis désolé.
Et je l'étais. Je ne voulais pas qu'il se fasse du souci pour moi.
— Tu as déjà un ami ? C'est génial ! Bon, d'accord, le plus important, c'est que tu sois revenu. Et pourquoi ton tee-shirt est tout déchiré ? Bon sang, tu as intérêt à m'expliquer tout ça !
Je hochai la tête et le suivis en riant. IL voulait s'occuper de moi et je le laissais faire, il avait besoin de se sentir indispensable. À mes yeux, il n'était, plus que n'importe qui dans ce monde. Il ouvrit l'armoire blanche de la petite chambre dans laquelle j'avais rangé mes affaires après être rentré de la boutique et jeta sur le lit un tee-shirt et un short.
J'aimais bien cette pièce, même si elle n'était que sommairement meublée d'un lit, d'un chevet et d'un petit placard.
Nous avions entièrement nettoyé la maison après avoir mangé une pizza que Kane avait préparée avec plein de fromage, comme on l'aimait, ce midi. Maintenant, ça sentait le propre, seule la pluie qui s'infiltrait par les tuiles cassées, et ricochait dans les casseroles dispersées un peu partout sur le sol du petit salon aurait pu plomber l'ambiance. Ça ne m'énerva même pas, il y avait plus grave que quelques gouttières.
— Pfff, file à la douche et change-toi tout de suite, si tu t'enrhumes, j'ai même pas de sirop à te donner, ici !
— D'accord, j'y vais de suite, répondis-je en riant.
Il ne jurait que par ça. Le sirop soignait tout, d'après lui.
— Tu devrais acheter des piles pour ton appareil photo, comme ça, tu pourras en faire plein et les accrocher aux murs pour décorer.
— Oui, on va faire ça, remplir les murs de choses qu'on aimera tous les deux.
— Oui, moi, j'accrocherai mes tableaux et je sculpterai des statuettes pour les poser sur le buffet... enfin, si t'es d'accord. Il me faut un ciseau à bois. Tu m'en achèteras un ? Tu dois m'en acheter un ! J'en ai besoin !
Je soupirai. Il devrait prendre l'habitude d'agir sans demander.
— Et de la peinture pour les murs, oui, il nous faut ça, de la peinture ! T'es d'accord ?
Je le serrai dans mes bras. Quand il angoissait comme ça, je savais exactement comment faire pour le calmer.
— Bien sûr que je le suis ! On fera ce que tu voudras, Kane, je te l'ai déjà dit, pas besoin de demander, d'accord ? Je t'achèterai ça, demain.
Il sourit, et ça me suffit.
— Un joli bleu lagon pour ta chambre et moi du blanc pour la mienne, c'est sûr !
— Je prendrai ça, ne t'inquiète pas.
Nous n'avions rien amené de nos anciennes chambres, on voulait que celles-ci ne contiennent que des choses qui nous laisseraient plus tard le souvenirs de moments heureux.
Soudain, il s'assit sur le lit et porta la main à son front. Je me tournai vers lui pour vérifier qu'il allait bien.
— Kane, ça va ? demandai-je, alarmé, m'agenouillant entre ses jambes.
Il mit un peu de temps à me répondre, comme s'il avait du mal à s'exprimer. Un peu comme l'avait fait Makai cet après-midi.
— Oui, ça va, pas de souci, m'assura-t-il. Je suis fatigué et... je crois que je vais aller m'allonger un peu.
J'avais perdu le compte du nombre de fois que j'avais entendu ce mensonge ces derniers jours. Je commençais à m'inquiéter sérieusement. Et si tout ce que nous avions encaissé l'avait cassé de telle façon que ça l'avait rendu malade ? Et s'il avait reçu un coup mal placé et que c'était grave ?
Je secouai la tête pour effacer cette possibilité, parce que si c'était le cas, je crois que j'allais tuer le monstre de mes propres mains. Le mieux était de le laisser se reposer et de dormir avec lui. Les jours à venir nous diraient pourquoi il était aussi fatigué alors qu'il était si jeune.
— Repose-toi un peu, je vais préparer le dîner. Demain je demanderai à Monsieur Makan l'adresse d'un médecin, Kane, je veux savoir ce qu'il t'arrive, hein ?
— Non !
Ça n'allait pas être facile de le convaincre et l'obliger ne servait à rien. C'était le seul moment où l'on voyait clairement qu'il avait un problème, quand il piquait une crise.
Je n'insistai pas, l'accompagnai dans sa chambre, l'aidai à s'allonger sur son lit et le couvrit avant de l'embrasser sur le front, de la même façon qu'il le faisait avec moi. Ça le fit rire, alors j'étais content.
Je m'assis à ses côtés et caressai ses cheveux un bon moment après qu'il se soit endormi.
À un moment donné, la pluie cessa et la lune brilla avec force. L'Astre brillait peut-être pour nous, pensai-je en m'allongeant à ses côtés en faisant bien attention de ne pas le réveiller.
Je me souvins de l'après-midi que j'avais passé avec Makai, sans oublier qu'il ne parlait pas, me demandant pourquoi.
S'il n'était pas muet, pourquoi se taisait-il ? Pourquoi utilisait-il un cahier usé jusqu'à la corde ? Et pourquoi m'avait-il fui de cette manière dans la boutique ?
Ça faisait trop de questions, mais je voulais savoir. En partie, parce que peut-être que je pouvais l'aider même si je devais me contenter de regarder l'Océan pour lui tenir compagnie et partager ses silences, je le ferais. Je rendrais à son grand-père ce qu'il avait fait pour moi, d'une manière ou d'une autre.
Mes yeux se fermaient, la chanson que j'avais composée et jouée dans l'après-midi m'accompagna et je m'endormis contre Kane.
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