Chapitre 14


 SEVEN    

     J'occupai le reste de la matinée à polir la planche, perfectionnant chaque détail, ponçant la surface avec patience. Il avait un gros trou sur la partie supérieure qui devait être comblé très vite pour lui redonner une nouvelle vie. Après, plus qu'un bon coup de peinture et un peu de cire avant de m'en servir.

    Il suffisait de suivre les recommandations de Mr Makan et continuer le travail qu'il n'avait jamais terminé. Bientôt, elle et moi allions vivre de belles aventures.

   Je n'arrêtais pas de m'imaginer dans l'eau, attendant le moment propice pour prendre ma première vague, glisser dessus sans tomber, encore et encore jusqu'à revenir épuisé sur le rivage.

    Monsieur Makan serait là pour me voir avec mon frère. Les deux m'observeraient avec orgueil et applaudiraient jusqu'à en rester sans forces. C'était facile de les visualiser dans ma tête. Mais moi, je regarderais au loin, cherchant concrètement d'autres yeux, quelque chose à quoi me raccrocher. Et alors, je le trouverais. Makai serait là, me regardant depuis la falaise, avec un demi-sourire, les yeux brillants exprimant autre chose que de la tristesse pour la première fois depuis longtemps.

    Je frappai la table du plat de la main pour éviter de penser à nouveau à lui.

    Je devais être stupide, il m'avait déjà fait comprendre qu'il ne voulait pas me voir. Je ne devais plus perdre mon temps en pensant à quelqu'un qui ne ferait jamais partie de ma vie, me répétai-je pour la millième fois de la matinée.

    C'est exactement ce que je pensais encore, quand, après avoir accroché ma guitare en bandoulière autour de mon épaule et avoir dit au revoir à monsieur Makan, je sortis de la boutique et commençai à courir sur le sable, sans réfléchir aux conséquences. J'étais envahissant, un peu lourd, peut-être.

    Oui, je m'en fichais, mais pas de lui. Tant pis s'il me rejetait encore une fois.

    Makai m'écouterait. Je l'obligerais à me regarder dans les yeux une fois pour toutes. S'il voulait m'envoyer balader pour toujours, il n'aurait qu'à le faire. J'allais lui servir cette nouvelle occasion sur un plateau, parce qu'une fois de plus, je suivais mes impulsions. Pourtant, ce genre de décision n'arrivait jamais à bon port. J'avais du mal à comprendre pourquoi l'être humain trébuchait plusieurs fois sur le même caillou sans être capable d'anticiper, j'en étais l'exemple vivant.

    Peut-être que j'aimais bien les désastres. Je ne savais pas vivre sans quelques rebondissements.

    — Tu vas le regretter, Seven, grognai-je dans ma barbe.

    Je devais insister. Il n'avait qu'à prendre son courage à deux mains, me regarder dans les yeux et me dire clairement qu'il ne voulait plus jamais me voir. Même si ce n'était qu'à travers un fichu cahier, j'avais besoin de l'entendre. D'avoir la certitude que je ne me trompais pas.

    S'il me priait de ne plus jamais le déranger, je m'étais promis de le faire, cette fois-ci.

    — J'arrive, murmurai-je, comme pour le prévenir.

    Quand je sentis l'humidité du sable mouillé de la plage me caresser la plante des pieds, je fis presque marche arrière pour réfléchir posément avant de commettre une autre stupidité. Évidemment, je n'en fis rien et commençai à escalader une par une les roches pour parvenir à l'endroit exact où je savais que je le trouverais.

    Quand je le vis, de dos, regardant un point au loin, je me demandai ce qu'il avait de si spécial. Pourquoi avais-je tant besoin de son attention, de son acceptation ? Qu'est-ce qui le rendait si différent des autres pour qu'il me soit impossible de le sortir de ma tête ?

    Il devait bien y avoir une raison à ce que je ressentais quand j'étais près de lui.

    — Salut.

    Il ne se retourna même pas. Son corps se tendit quand il entendit mes pas se rapprocher et il lâcha un long soupir qui se perdit dans le murmure des vagues.

Et moi, j'étais là, les mains dans les poches de mon éternel short de bain, le regard rivé à mes pieds.

    Quelle connerie ! Je ne savais même pas pourquoi j'étais venu. J'avais accumulé un point supplémentaire dans mon carnet à bêtises. Je me retournai et soupirai, prêt à faire demi-tour.

    — Bon, ben je me casse !

    — Non !

    Non ? Je me statufiai en entendant sa voix. Ce n'était pas la première fois que j'entendais ce son, mais aujourd'hui, seuls face à l'Océan qui nous entourait, j'avais pu centrer mon attention sur lui. Pour une fois qu'il le faisait, cela m'importait vraiment.

    Makai avait parlé et il l'avait fait pour moi.

    Je ne savais pas si je devais me retourner et le regarder. Si parler, ou me taire. Finalement, je pivotai, et le vis toujours assis dans la même position, les yeux plantés vers l'Océan. Ses lèvres tremblaient et il porta un doigt à sa bouche. Je croisai mes bras, tandis qu'une chaleur bizarre parcourait mon corps entier.

    J'attendais qu'il se décide à dire quelque chose. Il n'avait pas le droit de me traiter comme il le faisait et après m'avoir demandé de rester. Je voulais être aimable avec lui et m'intégrer, surtout parce que je passais pas mal d'heures dans la boutique de son grand-père et parce que... parce que j'avais besoin d'un ami. Et c'était lui que je voulais, personne d'autre.

    Quelqu'un pour qui compter, autre que mon frère. C'était dur à admettre, mais je me sentais seul au monde.

Seul.

Perdu.

Abandonné.

    Son grand-père avait raison, lui aussi avait besoin de compagnie et ça me faisait beaucoup de peine qu'il soit incapable de l'admettre. Du temps. Voilà ce que le monsieur Makan m'avait demandé, c'était bien la seule chose que j'étais capable d'offrir.

    Un peu de temps, rien de plus, avant de me lasser pour de bon.

    —Tu viendras à la fête, parvins-je à formuler.

    La question sortit comme un murmure du fond de ma gorge tandis que je me balançais d'un pied à l'autre.

    — Tu m'as entendu ? insistai-je, parce que je voulais qu'il me réponde sincèrement.

    — Je t'ai posé une question, Makai ! Je ne pense pas que ce soit si compliqué de répondre. Tu pourrais écrire un simple « non », sur ce vieux cahier que tu trimballes partout, ajoutai-je, prenant une grande goulée d'air avant de continuer. Et vraiment, je te remercierais si tu arrêtais de te comporter comme un véritable imbécile. Je ne veux pas t'embêter, seulement une réponse et je partirai !

    Je commençais vraiment à perdre la patience, et serrai les poings, espérant qu'il réagirait.

    Il ne fit rien d'autre que se retourner et me regarder. Son indifférence était aussi froide que de la glace.

    J'aurais dû m'arrêter là avant de laisser éclater ma colère, mais j'avais beaucoup de mal à trouver mes limites quand elle m'envahissait. J'avais toujours été un peu extrême. Merci à mon géniteur pour ça !

    Tout ou rien. Blanc ou noir.

    — Tu sais quoi , Makai ? Tu n'as aucune estime de toi-même, lui assénai-je.

    Mes paroles étaient tranchantes, et lui, aussi peu réactif qu'une momie.

    — Je suis sûr que tu as tes raisons pour agir comme tu le fais, nous en avons tous, mais tu n'essaies même pas ! Tu crois sûrement que la vie est plus facile comme ça, pas vrai ? En te cachant dans l'ombre, isolé de tout ! Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais laisse-moi te dire que ton grand-père n'attend qu'une chose, que tu aies des amis ! Tu es fatiguant à force, et un égoïste de première catégorie !

    Impossible de retenir la succession de paroles qui sortirent de ma bouche. Le corps de Makai tremblait et il détourna le regard quand le dard venimeux que je lui avais envoyé atteignit la zone la plus sensible et vulnérable de son être. Son cœur. J'avais tapé en plein dans ce qui faisait le plus mal, tout comme il l'avait fait avec moi au marché. Ses yeux embués me le confirmaient.

    J'avais dépassé les limites, encore. J'aurais dû tourner cent fois ma langue dans ma bouche avant de l'ouvrir, mais, si je ne voulais pas lui faire de mal, je voulais qu'il voit le mal qu'il faisait à son grand-père. Ce manque de motivation à aller de l'avant, ce n'était pas bien. À cet instant, je me fichais pas mal qu'il ait besoin d'espace.

    — Écoute, repris-je en baissant d'un ton. Peut-être que le problème vient de moi, mais je veux que tu comprennes pourquoi je suis venu jusqu'ici. Je suis conscient que je ne peux pas plaire à tout le monde et, vraiment, je peux comprendre que tu aies du mal à me supporter, dis-je en esquissant un sourire ironique. Le problème, c'est que tu ne me laisses même pas le bénéfice du doute, tu ne t'es pas laissé la chance de me connaître un peu plus. Quand j'ai l'impression que tu vas le faire, tu te bloques et tu refermes à clé ta porte avec un millier de cadenas. J'ai du mal à te comprendre, Makai. J'ai besoin que tu m'apprennes à te comprendre un peu mieux, tu veux bien ?

    Il se retourna et me regarda, perplexe. Je portai mes mains à ma tête pour balayer en arrière quelques mèches de cheveux qui me gênaient. Pourquoi tout devait-il être aussi compliqué ?

    J'approchai mes doigts des siens, essayant de trouver une manière de me connecter à lui, mais il les retira brusquement. Nous étions très différents, deux opposés. Si avec la vie que j'avais eue, je devais fuir tout le monde, Kane et moi n'étions pas sortis de l'auberge !

    — N'aie pas peur de moi, s'il te plaît, je ne te ferai jamais de mal. Jamais intentionnellement, en tout cas, je ne suis pas comme ça !

    Il commença à sangloter et le nœud qui se forma dans ma gorge devint de plus en plus pesant quand il prit son visage entre ses mains.

    J'avais été dur avec lui, un peu trop. J'étais sûr que j'aurai pu faire les choses d'une autre manière et je ne savais même pas comment arranger ça, maintenant. J'avais presque envie de partir et de le laisser là, mais ce n'était pas ma façon d'assumer mes bêtises. Quand on n'avait que trop souffert, on ne pouvait pas agir de cette manière. J'aimais rendre les gens heureux et pouvoir partager des sourires.

    Mais avec Makai, c'était comme frapper contre un mur. Quelque chose dans ses yeux me demandait de rester, d'insister. Il n'en était même pas conscient, se livrant à l'intérieur de lui à une bataille constante sur ce qu'il voulait réellement et qu'il ne se permettait pas de faire.

    Il essuya ses yeux avec le revers de son sweat-shirt, prit son cahier et écrivit deux paroles très simples, mais pleines de signification.

« Je regrette »

    Il me montra le cahier en me regardant dans les yeux, et après quelques instants de réflexion j'acquiesçai d'un mouvement de tête, acceptant ces excuses. Je restai là, comme un idiot, les bras croisés, attendant qu'il écrive quelque chose de plus, mais je crois qu'il en avait fait assez. Il sembla comprendre mes pensées et changea de feuille, continua à écrire et me montra la page avec son écriture si particulière. Des lettres bien rondes avec un tracé fin. Il écrivait bien, on voyait bien qu'il avait l'habitude de se servir d'un stylo.

« Je me comporte comme un idiot. J'ai beaucoup de mal à entrer en contact avec les gens, ça fait dix ans que je suis comme ça. Est-ce que mon grand-père t'a payé pour que tu viennes me dire tout ça ? »

    J'éclatai de rire immédiatement et il esquissa un timide sourire à travers ses larmes. Il baissa la tête, laissant à ma vue son nez fin parsemé de taches de rousseur qui ressemblaient à de petites constellations.

    Il chassa ses pleurs du plat de la main en tremblant. J'avais envie de lui prêter ma veste, mais je savais que ce n'était pas de froid qu'il grelottait. C'était d'appréhension.

    C'était bien pire, plus compliqué de se défaire de ce sentiment.

    Moi aussi j'avais dû apprendre à contrôler mes tremblements, à dominer ma peur. Mais c'était possible et je comptais le lui démontrer. J'avais réussi à le faire sans aide extérieure, même si c'était dur, certaines personnes avaient besoin d'une petite impulsion pour pouvoir avancer.

    Makai allait être mon plus grand défi. J'avais besoin de me sentir utile, d'aider quelqu'un qui avait souffert comme moi. Aider pour m'élever, pour ne plus sombrer à mon tour. Trouver une raison d'être, de me prouver à moi-même que ça valait la peine de se maintenir debout. Et ça m'aiderait à me poser vraiment sur cette île qui, pour le moment, était toujours une inconnue pour moi.

    — Bon, disons qu'il pourrait payer un peu plus. Un petit million de dollars seraient les bienvenus pour me construire un château. Mais la planche de surf est plus que suffisante, plaisantai-je.

    Je lui fis un clin d'œil et il fit un énorme effort pour ne pas détourner les yeux.

    — C'est une plaisanterie, répétai-je. Il m'a seulement dit d'avoir de la patience. Et... je regrette de t'avoir parlé comme ça.

    Le bruit d'une feuille de papier attira mon attention vers ses mains.

    « Ne t'inquiète pas. Tu as raison dans tout ce que tu dis. C'est vrai que tu pourrais baisser d'un cran ta mauvaise humeur, mais il faut avoir de la patience avec les nouveaux, non ? »

    Je lui tirais la langue. Ainsi il pouvait faire de l'ironie? Ça tombait bien, le sarcasme était ma langue préférée.

    Je m'installai à ses côtés et je crois qu'il se tendit un peu plus qu'il ne l'était déjà. Sans réfléchir, je posai ma main sur son genou.

    — Je ne suis pas une menace, je veux juste que tu arrêtes de paniquer quand tu me vois. J'ai l'impression d'être quelqu'un de connu qui terrorise son plus grand fan quand tu te paralyses en me voyant. Tu ne veux pas que mon ego en prenne un coup, si ?

« Un peu plus d'ego ? Non, merci, c'est assez pour aujourd'hui ».

    Je le poussai d'un petit coup d'épaule et nous rîmes tous les deux. Un petit moment de complicité, comme celui que nous avions partagé l'après-midi que j'avais passé avec lui, ici, face à la nuit qui tombait. Au même endroit, pratiquement à la même heure. Quand Makai était dans ce coin, il était complètement différent.

    J'entendis le crayon frotter contre le papier, mais j'attendis qu'il m'invite à lire en tapotant mon épaule.

« Tu ne chantes pas aujourd'hui ? »

    Je souris. Qu'il veuille écouter ma musique signifiait beaucoup pour moi.

    Mon père n'avait jamais voulu que j'apprenne à jouer de la guitare.

    — Tu aimes mes chansons ? demandais-je, humblement.

    Moi aussi, j'avais mes insécurités.

    Il hocha la tête et j'entendis à nouveau le frottement de la mine sur le papier.

« Qui n'aimerait pas »

    Je souris amèrement, me souvenant qui n'aimait pas ma musique. Qui avait ruiné mon seul loisir pendant des années. Qui m'avait fait me sentir comme un inutile, m'obligeant à croire que je ne valais rien. J'avais intériorisé ses reproches de telle manière que j'avais du mal à échapper à ses moqueries.

    Les petits monstres dans ma tête étaient toujours là, m'incitant à cesser de m'acharner, étouffant ma créativité dans l'œuf, m'invitant à abandonner.

    Par chance, la passion avait toujours été un peu plus forte que la peur.

    La passion emportait tout.

    — Tu serais surpris de savoir le nombre de fois qu'on m'a fait sentir que je n'étais pas bon à ça, répondis-je sincère. Je ne prétends pas faire de grandes choses. Mon frère m'assure qu'un jour, il écoutera quelques-unes de mes chansons à la radio, mais honnêtement, je n'y crois pas trop. Ces choses-là n'arrivent qu'à ceux qui ont de la chance, et je n'en fais pas partie. Mais j'aime composer et écrire des chansons, alors je le fais. Je me contente de savoir que ma musique plait à quelqu'un, peu importe qui c'est. Qu'elle fasse ressentir des émotions à celui qui m'écoute. C'est ma récompense, tu comprends ?

    Il hocha la tête. Cette fois, ce fut lui qui posa sa main sur mon genou, et je me sentis accompagné dans cette solitude qui m'envahissait, parfois.

« Moi, je l'entends, ta musique, elle me fait ressentir beaucoup de choses ».

    J'ouvris grand les yeux, heureux comme tout en lisant ses mots. J'avais tant besoin que quelqu'un soit heureux de m'entendre jouer.

    Makai était devenu ce quelqu'un.

    Je voulais le remercier en me dévoilant un peu plus, mais je le faisais mieux dans ma propre langue : la musique. Je sortis ma guitare de sa housse et je sentis le sourire timide de Makai à mes côtés. Je grattai plusieurs fois les cordes qui se mirent à vibrer, libérant des accords qui, ces derniers jours, affluaient dans ma tête sans parvenir à se transformer en musique ou en paroles cohérentes.

« When won't you want me ?

( Quand voudras-tu de moi ?)

Just open the door.

(Ouvre simplement la porte)

Why won't you see it ?

(Pourquoi ne me vois-tu pas ?)

Get off the rocks.

(Descends de tes rochers)

Come on, sad eyed boy,

(Allez, garçon aux yeux tristes)

I wanna hear your voice

(Je veux entendre ta voix.) »

    Sad Eyes boy. Le garçon aux yeux tristes. Le titre était approprié. Ces paroles que j'essayais de mettre en ordre dans ma tête sans succès depuis des jours et qui n'avaient été qu'un amas de phrases en désordre prenaient toute leur signification. Enfin, elles semblaient avoir retrouvé leur place devant le garçon aux yeux tristes qui regardait la mer, comme chaque après-midi, le regard brillant, attendant en secret que quelqu'un soutienne un petit moment sa douleur.

    Qui saurait l'écouter au-delà de ses silences.

    Un léger gémissement sortit de sa gorge et il écrivit à nouveau dans son cahier, cette fois en majuscules. Comme s'il voulait crier, mais sans pouvoir le faire.

« POURQUOI TU ARRÊTES DE CHANTER !? »

    J'éclatai de rire en voyant qu'il voulait que je chante encore. Je le regardai du coin de l'œil, sans cesser de gratter les cordes de ma guitare.

    — Je ne sais pas, je suppose qu'il n'y a rien de plus pour le moment. C'est ce qui m'est venu en te regardant, c'est complètement nouveau, répondis-je, avec sincérité en attrapant son regard. La vérité, c'est que je suis sans idées, les paroles n'arrivent pas aussi facilement, ces derniers jours.

« Tu continueras à composer cette chanson ? »

    — Si tu veux, oui. Tu as aimé ? demandai-je.

    — Oui... J'ai adoré.

    Entendre sa voix me fit trembler. Makai n'était vraiment pas comme tout le monde. Il n'avait pas besoin de l'être non plus.

    Il esquissa un sourire qui illumina tout, autour de moi. J'étais tellement heureux qu'il apprécie ma chanson. Après tout, ça avait été lui, ma source d'inspiration.

    — Alors je vais être obligé de continuer, je ne peux pas décevoir mon public, commentai-je en tirant la langue et me moquant gentiment

    Il cligna des paupières et son sourire me retourna l'estomac.

    — Mais je te préviens, si tu veux l'entendre entièrement ce sera à une condition. Une seule.

    Il me regarda d'un air soucieux, comme si j'allais le menacer avec un pistolet.

    — Hé, doucement, je ne vais pas te demander de me remettre ton argent, lançai-je en riant. Je veux seulement que tu viennes à la fête, vendredi.

Je lançais l'invitation et il porta les mains à son visage pour le cacher comme s'il voulait disparaître avant d'écrire.

« Je n'aime pas du tout les fêtes, je ne suis pas de bonne compagnie ».

    — Tu exagères, non ? Eh bien, à cette fête-là, oui, parce que c'est la mienne et dans mes fêtes, il y aura toujours de la place pour toi. Allez, ce sera amusant, argumentai-je en tirant sur son bras. Ton grand-père sera là puisque c'est lui qui l'organise, et mon frère aussi. J'aimerais que tu le rencontres pour de bon, c'est un garçon extraordinaire, en plus, ce sera à la plage, tout près de la mer.

    Il me regarda fixement, les yeux un peu fermés, l'air peu convaincu, mais je savais qu'il allait changer d'avis. Qu'il le ferait pour moi, pour ce garçon aux idées folles et pour ses rêves qui s'accumulaient sous la pulpe de ses doigts sous les accords de sa guitare.

    — S'il te plaît ? le priai-je pour la dernière fois. Je te promets que je resterai avec toi et que je ne participerai pas à de longues conversations en te laissant de côté. Et je jouerai de la guitare pour toi chaque fois que tu le voudras. S'il te plaît, Makai, j'aimerais beaucoup que tu viennes.

    Son expression s'adoucit et après avoir claqué la langue au moins deux fois, il écrivit sur son cahier.

« Très bien, tu as gagné »

    Je haussai les bras en signe de victoire, euphorique, emporté par l'émotion, sans me rendre compte de ce que je faisais jusqu'à ce que je l'entoure de mes bras.

    Je ne sais pas lequel des deux se crispa le plus, mais aucun de nous ne repoussa l'autre. Même pas lui, qui avait tant de mal avec les contacts physiques. Il me caressa gentiment l'épaule, frôlant mes bleus et mes souvenirs douloureux. Il le fit avec tant de douceur que j'avais l'impression qu'il pouvait les guérir.

    J'avais besoin de lui, et je crois qu'il le comprit. Il était d'une grande sensibilité.

    Je me remis sur pied pour rentrer à la maison et retrouver mon frère. Dernièrement, il passait beaucoup trop de temps seul, même si c'était un besoin pour lui et qu'il se sentait mieux ainsi qu'avec moi à ses côtés, je ne voulais pas m'éloigner trop longtemps. Il avait besoin d'espace, de solitude, de calme, de se calfeutrer dans ce monde que je ne comprenais pas et où il ne me laissait jamais entrer, mais je ne voulais pas m'éloigner trop longtemps. Il était le pilier de ma vie. Ça pouvait paraitre bête, mais ça ne l'était pas. Notre misère, nous l'avions partagée à deux et le bonheur, si nous parvenions à l'atteindre pleinement un jour, ce serait lui et moi, quoi qu'il arrive.

    Il était chaque jour un peu plus fatigué. J'étais de plus en plus préoccupé par son état, même si, parfois, il simulait pour ne pas m'alarmer. Ça, il savait faire, et moi, comme un idiot, je m'accrochais à l'espoir que le lendemain, tout irait mieux. Qu'il reprendrait des couleurs et recommencerait à chanter avec moi. Alors même si j'étais dans le déni, je rentrais de plus en plus tôt à la maison pour être m'assurer qu'il allait bien.

    —Demain... même endroit, même heure ?

    J'avais besoin de son accord pour revenir. C'était son monde, et j'étais l'envahisseur. S'il m'acceptait, j'en serais heureux, sinon, je respecterais son espace comme je le faisais avec Kane.

    Ce fut la dernière chose qu'il écrivit sur son cahier cet après-midi-là, et il le fit avec soin.

« Si tu amènes ta guitare avec toi, tu es le bienvenu »

    Je souris.

    — Il n'y a donc que ma musique qui intéresse le garçon aux yeux tristes ?

    La référence réussit à colorer ses joues. Il haussa les épaules.

    — Qui sait ?

    Je n'ajoutai rien. L'après-midi avait été trop agréable pour le gâcher. Ce fut lui qui me tira la langue tandis que moi, j'éclatais de rire en m'éloignant, déconcerté par ce garçon bizarre qui, à sa manière, s'arrangeait toujours par réveiller un peu de chaleur dans ma poitrine.

    Sa compagnie était si agréable quand il se laissait aller.

    J'espérais qu'il n'y aurait plus de rejet, que le mur qui avait commencé à se fissurer autour de lui s'effondrerait complètement. Qu'il me montrerait qui il était réellement pour pouvoir terminer ma chanson.

    Je m'éloignai, mais cette fois-ci, je me tournai pour regarder derrière moi et tombai sur ses yeux bleus qui me détaillaient sans ciller et sur la rougeur de ses joues.

    Cette fois encore, je sentis l'étrange picotement dans le creux de l'estomac qui ne me quittait plus quand j'étais en sa présence.

    Makai, qu'es-tu en train de faire de moi ?


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