Chapitre 13
SEVEN
Je passai le reste de la matinée en silence, me maudissant d'avoir été aussi bête. Je n'avais pas voulu le bousculer, mais... je l'avais senti si proche. Et il m'attirait beaucoup trop...
Il y avait eu tant de vérité dans son regard quand il avait accroché le mien. Il pouvait tenter de le nier, j'en étais sûr. J'étais intimidé aussi devant lui, mais à mon avis, nous étions assez adultes pour admettre que l'air se chargeait d'une tension bizarre chaque fois que nos yeux se croisaient.
Monsieur Makan comprit que quelque chose n'allait pas quand Makai partit. Il s'approcha de moi, les mains calées sur ses hanches, un sourcil relevé et la bouche sur le point d'esquisser son fameux sourire.
— Seven, est-ce que tout va bien ? me demanda-t-il étonné.
Je soupirai.
— Il y a quelque chose dont tu voudrais me parler ? Tu sais que je peux tout entendre, pas vrai ?
Je levai la tête lentement en hochant la tête. Je ne prononçai que son nom, mais cela suffit à lui faire comprendre ce qu'il se passait, je crois.
— Makai...
— Ah, mon petit-fils ! ajouta-t-il en souriant.
Je hochai la tête une nouvelle fois, comme un âne bâté. Oui, c'était bien son petit fils qui me donnait des maux de crâne, ces derniers temps. Moi qui croyais pouvoir me mettre à la portée de tout le monde, Makai était un véritable un casse-tête pour moi.
— C'est un garçon différent, un peu spécial, mais il a un cœur en or, et il mérite d'être connu. Je sais que ce n'est pas facile, et je ne pense pas me tromper en te disant que vous avez tous deux besoin d'un peu de compagnie, me conseilla-t-il.
— Je sais, mais je ne mens pas en vous disant qu'il ne me laisse aucune chance de l'approcher, j'ai essayé, je vous jure.
Je haussai les mains en signe de reddition.
— Quand je crois qu'il va m'accepter, repris-je. Il disparaît et rentre dans sa coquille, mais bon, vous le connaissez mieux que moi, vous savez de quoi je parle. Je ne veux pas le juger, mais je crois qu'il a peur de moi, admis-je. Et je comprends, moi non plus je n'aime pas les gens qui me font peur.
Il sourit, hocha la tête à son tour en faisant le tour de la boutique, les mains derrière le dos, jouant de ses doigts avec un objet métallique que je ne distinguais pas.
— Hum... je vois... laisse-lui un peu de temps, juste un peu. Ne l'abandonne pas, s'il te plaît. Makai a besoin d'un ami, même s'il ne s'en rend pas compte, il a beaucoup souffert ces dernières années, bien plus que tu ne l'imagines. Je sais que tu peux lui apprendre pas mal de choses de la vie, tu as beaucoup à offrir, Seven.
Oui, mais j'étais à deux doigts de l'embrasser, et ça, quand même, je ne pouvais pas le lui dire ! Et s'il le prenait mal ? S'il ne comprenait pas ?
Son ton me suppliait d'essayer à nouveau, même si je sentais que ce serait une perte de temps. S'il savait à quel point j'étais prêt à lui laisser sa chance, je ne sais pas s'il insisterait autant.
J'acquiesçai, et restai un moment à regarder à travers la fenêtre les jeunes qui jouaient au ballon sur la plage, la motivation en berne. Je n'aimais pas me sentir rejeté.
Il faisait toujours les cent pas dans le local, regrettant peut-être d'avoir offert et invité un inconnu à réparer une planche avec lui.
Tout ne pouvait pas être aussi parfait, après tout.
Il arrêta ses va-et-vient brusquement, me lança un regard amusé et me lança le petit objet métallique que je n'avais pas identifié quelques instants plus tôt.
Je l'attrapai au vol, et levai vers lui des yeux ronds comme des soucoupes. Ça ne pouvait pas être ce que je pensais, impossible... c'était une blague ?
Des clés.
— Euh... je ne crois pas que..., balbutiai-je en fixant le trousseau.
— Elles sont à toi parce que j'ai confiance en toi. J'aime ce que tu es, Seven, une belle personne, sans méchanceté. Je veux que tu les gardes et que tu viennes ici autant que tu voudras, même si je n'y suis pas, évidemment. Qu'est-ce que tu en penses ?
J'avalai ma salive, c'était plus que je ne pouvais exprimer avec de simples paroles.
— Je vous remercie, monsieur Makan, murmurai-je, m'approchant de lui pour appuyer mon front contre sa poitrine, laissant son odeur à tabac m'envelopper.
— Merci à toi, Seven, tu as apporté un peu de joie dans cette boutique. Tu fais partie d'Aloha Surf, maintenant, et il faut toujours ouvrir la porte de sa maison aux amis. Celles du cœur aussi, toujours. Ça, ne l'oublie jamais.
Nos yeux s'accrochèrent une fois de plus, et je tentai de lui transmettre ma gratitude à travers mon regard. Je savais qu'il saisirait mon message, c'était une personne vraiment incroyable. Il esquissa le sourire qui le caractérisait.
— Ah, au fait ! Vendredi, il y aura une petite fête sur la plage, commenta-t-il, captant mon intérêt, même si je n'étais toujours pas remis de mon trouble pour les clés qu'il avait mises entre mes mains. Que l'émotion était bloquée dans ma gorge et pouvait surgir à n'importe quel moment.
Depuis notre arrivée ici, je n'avais assisté à rien. Je ne laissais jamais Kane seul, seulement pour réparer la planche, quelques heures.
J'avais sacrifié tant de choses déjà à cause d'un crétin qui n'aurait jamais du faire partie de nos vies...
— Une fête ? répétai-je, surpris tout de même. Vous fêtez quoi ?
— Eh bien, à Kailua, nous avons une tradition. Chaque fois qu'une nouvelle personne vient s'installer ici, on lui fait un accueil comme il se doit. Juste quelques grillades, un peu de musique et des gens sympathiques, les voisins seront là.
— C'est vrai ? demandai-je incrédule.
Je me sentis tout à coup comme un gamin en attente d'une hypothétique histoire.
— Bien sûr ! Tu connais la signification, d'Aloha ? demanda-t-il.
Je niai d'un mouvement de tête.
— C'est un apprentissage qui vient de nos ancêtres et nous montre comment ils ont appris eux-mêmes à prendre soin de notre terre. Ils aimaient cet endroit et ils se sont rendu compte que vivre en harmonie et en paix est bien mieux que de se chercher querelle. En conséquence, « Aloha » représente la force vitale qui nous unit aux autres. Le devoir de les traiter correctement, avec gentillesse et respect. Ce n'est pas une loi, c'est une philosophie de vie que nous appliquons presque tous ici.
— Oh, c'est génial ! ajoutai-je bouleversé par ce que j'entendais.
J'adorais la signification de ce mot. Partout il devrait y avoir des gens comme ça.
— Oui, c'est quelque chose qui nous unit à cette terre et à ceux qui en font partie, me dit-il en clignant de l'œil. C'est un honneur de recevoir de nouveaux habitants, et nous nous devons de les faire sentir comme chez eux. Comme ça, vous connaîtrez les voisins de ce quartier et vous vous intégrerez, petit à petit.
Je ne savais plus quoi dire. C'était la plus belle chose que quelqu'un avait faite pour nous.
Quand Kane ou moi criions la nuit, désespérés, nos voisins éteignaient les lumières. Quand les coups devenaient aussi forts qu'insupportables, ils tiraient les rideaux. Quand on n'avait plus de voix pour demander à l'aide, ils regardaient ailleurs.
Jamais ils n'avaient appelé la police. Jamais ils ne nous avaient tendu la main.
Alors j'étais impressionné par l'amabilité de nos voisins de Kailua. Depuis toujours, je pensais qu'il ne restait aucune bonté dans ce monde et que, peut-être, l'être humain serait cruel partout où l'on irait.
Même si je me trompais, je ne pouvais pas m'en vouloir. Mes pensées étaient alors dans un endroit malsain et je manquais d'expérience pour avoir ma propre vision des choses.
— Je ne sais pas quoi dire, monsieur Makan. Je vous remercie beaucoup. Je suppose que ce sera une jolie fête.
— Oui, toute simple, avec des personnes sympathiques, tu aimeras et je suis certain que tu ne l'oublieras pas.
J'avais besoin et envie d'y croire. De toutes mes forces. C'était bien ici notre paradis, l'endroit où nous devions être.
— Nous viendrons, répondis-je. Mais je vais garder ça pour moi, mon frère Kane est un peu spécial, lui aussi, et si je lui dis maintenant, il va paniquer, il n'est pas habitué à rencontrer du monde, mais ça lui fera du bien.
— Oui, j'en suis certain.
— J'ai tellement envie de vous le présenter, monsieur Makan. Vous n'imaginez pas comme il est gentil, affectueux et serviable. Il est un peu autiste, mais très intelligent et ses yeux brillent presque tout le temps depuis que nous sommes à Kailua, je suis sûr que vous l'apprécierez, nous avons envie de faire partie de cet endroit.
— Je n'en doute pas, mon petit, me dit-il, riant devant mon enthousiasme. J'ai hâte de le rencontrer.
Il posa la main sur mon épaule, juste où se trouvaient les bleus qui faisaient si mal. Ce n'était plus de la douleur physique, c'était l'émotionnelle, celle qui comprimait le cœur.
Il partit en riant derrière le comptoir, attendant que les premiers clients arrivent tandis que je filai à la réserve, en silence où je pus respirer enfin, les clés collées contre ma poitrine, comme si c'était l'objet le plus précieux du monde. Il l'était. C'était une invitation à entrer dans sa vie aussi souvent qu'on le voudrait.
Quand je me retrouvai enfin en compagnie de la planche qui m'appartiendrait un jour, je me laissai porter par un ouragan de joie. Les larmes humidifiaient mes joues, mais je me sentais complet. À cet instant, il n'existait qu'une parole pour décrire ce qui m'habitait.
"Ohana" . Famille.
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