Chapitre 10
MAKAI
La lumière des flammes m'aveuglait, mais même comme ça, je ne pouvais en détourner mes yeux. J'aimais voir et entendre crépiter les étincelles, ça me rassurait. Peut-être parce que ça me rappelait Aniata, qui adorait allumer des feux de Bengale en courant dans le jardin. Moi, les flammes ça m'effrayait un peu alors je m'en approchais le moins possible tandis qu'elle, elle n'avait peur de rien. Tout la fascinait. J'aurais aimé l'avoir à mes côtés le soir, comme aujourd'hui pour lui raconter tout ce que j'avais en tête. Lui parler de ces doutes qui m'empêchaient de dormir et la culpabilité qui m'envahissait constamment.
Pas seulement la culpabilité, mais aussi la colère la plus absolue. Je ne pouvais pas arrêter de penser à ma rencontre avec Seven au marché. Le garçon qui l'accompagnait et que je n'avais même pas regardé devait avoir une piètre opinion de moi, et pour cause, je ne lui avais pas adressé la parole, et ignoré comme s'il n'avait pas été là. Je m'en voulais tellement d'être comme ça.
Il avait réussi à me sortir de ma zone de confort, me mettant devant une ligne rouge et m'obligeant à la franchir.
J'avais rompu mon silence avec lui. Et même si c'était bien, je ne m'en réjouissais pas. Je ne pouvais pas. Parce que reparler signifiait que tout allait bien alors qu'en réalité, tout semblait empirer. Un pas en avant, dix en arrière. Je faisais mon possible depuis quelques jours pour faire les courses. Jusqu'à me balader dans les rues, quitte à rentrer en courant à la maison tant ça m'angoissait.
J'avais beau essayer de décrocher de ce passé, il était là. Et Seven ne changerait rien à ça. Ni lui ni sa guitare.
— Grand-père, l'appelai-je.
— Dis-moi, la tortue !
Je me mis à rire. Ça faisait bien longtemps qu'il ne m'appelait plus comme ça. Depuis des années. Je ne sais pas d'où lui était venue cette idée, d'ailleurs. Du coup, c'était l'une des premières paroles que j'avais prononcées.
C'était souvent que nous allions à la plage voir les tortues. Quand elles apparaissaient, c'étaient des moments spéciaux, parce que la nature était merveilleuse. Elle nous donnait la vie et un jour, nous reviendrions à elle de la même façon.
— Seven va revenir à la boutique ? demandai-je sans avoir le courage de le regarder.
Il fronça le sourcil.
— À l'Aloha Surf, tu veux dire ?
Je hochai la tête tandis que je réchauffais mes mains.
— Ça t'embête qu'il soit au magasin avec moi ? C'est vrai que je ne t'ai pas demandé ton avis, et que j'aurais dû le faire. Tu ne l'apprécies pas ?
— Ce n'est pas ça, répondis-je en secouant la tête, cherchant les mots adéquats pour m'exprimer sentant revenir la piqûre dans ma poitrine. Exactement celle qui me dérangeait quand je pensais à ce garçon. Tu sais que j'ai du mal à côtoyer les étrangers.
— Je sais, mais tu ne le fais pas qu'avec les étrangers, tu fais ça avec tout le monde ! répondit-il d'une voix grave. Pense que lui et son frère sont venus de loin et ont besoin d'être accueillis à bras ouverts. Qu'est-ce que je t'ai appris quand tu as été en âge de comprendre, Makai !?
— Que tout le monde a le droit à sa chance ! répétai-je, me souvenant de ses paroles par cœur.
— Ohana ! me rappela-t-il en haussant le ton.
— Oui, c'est vrai, admis-je. Ohana.
Comme il semblait bizarre ce mot dans ma bouche. Et combien je me sentis bête tout à coup.
— Il existe un manuel pour apprendre à ne plus être un idiot ? balbutiai-je en grimaçant.
— Malheureusement, non. Mais ce serait bien d'en avoir un à portée de main de temps en temps, ça pourrait être utile à l'humanité. Toi qui écris tout le temps, tu pourrais en publier un, non ? suggéra-t-il.
— Un manuel pour idiots, peut-être pas, ricanai-je. Mais un jour, je signerai un livre même si ce n'est que pour toi, grand-père.
J'étais ému, et très mauvais pour simuler. Mes yeux brillèrent en pensant à ce rêve. Je n'avais aucune idée de comment faire, mais, comme le disait mon grand-père, l'important était de garder l'espoir et de ne jamais lâcher.
— Bien sûr que tu le feras. Tous les grands écrivains ont été petits à un moment donné.
Il avait raison, comme toujours, mais je ne deviendrais jamais écrivain, je tiendrais notre boutique, comme prévu.
— Grand-père... je voulais te dire. Seven a le dos lacéré de bleus, je les ai vus.
Il se tendit brusquement, se tourna vers moi et porta les mains à sa tête.
— Oh, mon Dieu, tu en es sûr ? Je sais qu'ils sont venus se réfugier ici pour fuir quelqu'un, mais ça...
— Oui, c'est certain, il a été battu.
— Par tous les Dieux qui veillent sur cette île ! jura-t-il en claquant les mains sur ses cuisses et en se levant pour faire les cent pas comme un lion en cage. Tu vois, Makai, c'est une raison de plus pour lui ouvrir les bras, tu ne crois pas ? On n'abandonne pas quelqu'un qui est certainement plus malheureux que soi et qui a besoin de soutien !
— Je ne te promets pas d'y arriver, mais je vais essayer, grand-père, je vais essayer.
J'allais le faire, même si je savais que ça ne serait pas facile.
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