Chapitre 5
PDV Aloea :
Y a-t-il autre chose que la puissance qui régisse notre monde ? Les amoureux de l'amour répondraient certainement que non. Que chaque personne laisse toujours à un certain niveau son empreinte dans sa société. Que nous sommes tous importants et que les personnes puissantes ne seraient rien sans un plus petit sur lequel s'appuyer.
Personnellement je ne m'appuie pas sur les plus faibles que moi, je les écrase. Les piétine sans que cela ne me demande le moindre effort et les laisses s'effacer dans mon ombre. Beaucoup d'humains ne sont pas si différents de moi. Mais la plupart se mentent à eux-mêmes. Voulant ainsi effacer leurs remords et leur culpabilité. Se laissant bercer dans l'ignorance pour oublier qu'ils sont des êtres abjectes, démunis de toutes valeurs.
C'est pour cette raison qu'ils n'ont pas de scrupules à transporter des esclaves dans leurs soutes. Qu'ils ne pensent pas un instant à eux en s'habillant de vêtements dont le coton porte des traces invisibles de sang et de souffrance. Leurs monstruosités se répètent perpétuellement. Ils pleurent sur leurs erreurs passées pour les reproduire en fermant volontairement les yeux. Effaçant leur empathie au service de leur égocentrisme.
L'homme que j'ai entre les mains semble si innocent, si pur... Pourtant il est persuadé que sa chair à plus d'importance que celle d'un homme ayant la peau sombre. C'est avec assurance que je peux affirmer que leur saveur ne diffère en rien.
Pense-t-il également avoir plus de valeur que moi ? Je me souviens des mots inconnus qu'il a pu prononcer lors de notre rencontre. Un ange. Une âme. J'ai envie que ses yeux bleus se rouvrent enfin. Que sa langue se délie et qu'il me raconte, qu'il m'explique ce que cela signifie. Qu'il essaie de me faire croire en sa façon de penser, de m'imposer ses idéaux, de lui laisser la vie sauve.
Mais je me ferai un malin plaisir de détruire toutes ces croyances et ces rêves. De lui démontrer qu'il ne sert à rien de prier. Et qu'au final il ne restera bientôt plus rien de lui. Plus un os, plus un fragment de souvenir. Je lui survivrais. Je survivrais à sa famille. Je survivrais à tout ce qu'il a connu et à tout ce qu'il peut imaginer. Sa maison s'écroulera, sa civilisation également. Quant à nous créatures de l'ombre, il n'y aura pas de fin à notre règne. Parce que l'obscurité est partout. Et il est impossible de la faire disparaître.
Je caresse un instant la peau froide de sa joue sur laquelle subsistent trois lignées rouges, laissées par mes griffes. Les hommes sont tellement fragiles, leur peau et leur corps sont sans défense face à leurs prédateurs. C'est la seule marque de couleur présente sur son visage. Il est tellement pâle et paisible que je pourrais le croire mort. Pourtant son cœur bat lentement sous ma paume gauche. J'ai réussi à le maintenir en vie.
C'était un pari, pour lequel je n'étais pas sûre que l'issu lui soit favorable. Après tout, cette histoire d'un homme vivant parmi nous n'est qu'une vieille légende. Rien ne me dit d'ailleurs comment cela va pouvoir tourner. Vivra-t-il longtemps ? Arrivera-t-il à se mouvoir dans l'eau pour pouvoir me suivre ? Les hommes sont si patauds. Je n'en ai jamais vu un seul capable de nager.
Je ne l'ai pas encore réellement ramené chez nous. J'attends avec impatience son réveil alors qu'il est allongé sur le sable. S'il s'en montre digne, je pourrais par la suite l'entraîner avec moi dans les abymes. Mais s'il n'est pas capable de nager à mes côtés je serais obligée de m'en débarrasser.
Sous ma main, je sens les battements de son cœur devenir plus rapides. Me prévenant ainsi de son éveil qui approche. Ses grands yeux bleus s'ouvrent doucement sur le nouveau monde qui l'entoure. Rapidement son regard s'ancre dans le mien et un sentiment étrange prend possession de mes pensées. Je ne comprends pas ce qu'il se passe, la situation me semble irréelle, dangereuse. Dans un même mouvement nous nous éloignons l'un de l'autre. Lui se recule en prenant un air horrifié alors que je lui montre férocement les dents.
Mes sentiments d'alertes et d'incompréhensions se muent alors en autre chose de nouveau. J'ai mal au ventre, mon cœur bat plus vite et ma respiration s'accélère également. Que m'arrive-t-il ?
- Vous ! Vous êtes la créature du bateau !
Son regard quitte le mien alors qu'il inspecte son corps, vérifiant certainement si j'ai osé le goûter pendant son sommeil. Mais il n'en est rien. L'homme est toujours intact et cela me soulage grandement. Je me rapproche cependant de lui en restant méfiante avant de m'offusquer de mon attitude. Pourquoi ne suis je plus sereine en sa présence ? De quoi pourrais-je bien me méfier venant de sa part ? Il ne représente pas plus de danger qu'une étoile de mer face à moi. Je pourrais me débarrasser de lui avant qu'il n'ai le temps d'émettre la moindre pensée malveillante à mon égard.
- Ne soit pas si vague dans tes propos. Je ne suis pas une simple créature. Je suis une sirène et mon nom est Aloea. Je me présente enfin, en nageant autour de lui. J'imagine que les humains ont dû compter de nombreux mythes à notre sujet. Il est déjà arrivé dans l'histoire que la terre refuse de nous céder ses enfants. Mais cela n'est pas arrivé depuis des siècles à présent. Comme si votre unique protectrice vous avait tourné le dos. Qu'avez vous bien pu lui faire pour vous attirer ses foudres ?
L'homme reste coi face à mes paroles, ne semblant pas leur accorder le moindre sens. Il reste simplement là, à m'observer avec son air étrange alors que ses cheveux blonds forment une couronne autour de sa tête. Ondulant au gré des légers courants provenant de l'ouest.
- Pourquoi ne parles-tu pas ? À présent que je t'ai dit mon nom, il serait juste que je puisse connaître le tien.
Ma curiosité se ravive alors que je me souviens du pourquoi je ne l'ai pas tué. Je veux en connaître plus sur lui. Sur son monde et ses règles. Sur ses comptes et ses anges... Il me semble plus intéressant de boire ses paroles que son sang. Ses yeux semblent soudain s'illuminer alors qu'il retrouve enfin l'usage de sa voix.
- Je me nomme Marin. Venez-vous des enfers ? Est-ce le diable qui vous a créé sous cette forme ?
- Marin ? Cela est bien ridicule et loin d'être inventif... Moi qui t'imaginais plein de surprises. Les hommes sont-ils tous fades et prévisibles ? Je ne connais ni les enfers ni le diable. Je viens des abymes, d'un trou béant qui se rapproche du centre de la terre.
Ma nouvelle occupation regarde un instant ses pieds qui sont ancrés dans le sable avant de reporter son attention sur moi. Sa peur semble s'être atténuée à présent. Sûrement a-t-il compris que je ne représente pas un danger pour le moment.
- Allons nous nous rendre dans ton monde ? S'il est aussi loin de la surface alors... Comment vos âmes peuvent-elles trouver leur chemin vers les cieux ?
Un sourire satisfait attire mes lèvres alors qu'un rire m'échappe pour la première fois depuis longtemps. J'ai fait le bon choix, cela fait des siècles que ma routine m'accable. Je vais pouvoir enfin redécouvrir la vie qui m'entoure à travers ses yeux. J'ai perdu le goût de la première fois depuis une éternité...
Euphorique, j'attrape son bras et ne prends pas garde à ses plaintes et son refus de sombrer avec moi. Pourtant il s'habituera à l'obscurité, il est si doux de s'y laisser glisser...
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