Chapitre 31 : Le temps perdu
Chapitre 31 : Le temps perdu
De mon point de vue, cette phrase permettrait de régler tous les problèmes, à la manière de ces contes de fées. Lorsqu'on y faisait une grande révélation, une discussion s'engageait en général pour trouver une solution à laquelle le pardon était la seule réponse. Ce ne fut pas exactement ce qui se passa ici.
Sous le choc, Lorette secoua la tête pour renier ce que je venais de lui annoncer. Elle se leva, puis quitta la pièce pour remonter à l'étage, m'abandonnant au passage avec son père, furieux. Je n'osai pas l'affronter, le regard braqué sur la cage d'escalier dans l'espoir qu'il disparaisse à son tour. Vint inévitablement le moment où fixer le vide agaça Iphranir.
— Tu es fier de toi ? demanda l'elfe d'une voix glaciale. Comment pensais-tu qu'elle allait réagir à la nouvelle ?
— Je suis désolé, répondis-je en me frottant la nuque. Elle avait le droit de savoir. Ce n'est pas juste de me le reprocher. Elle aurait fini par le savoir tôt ou tard, et sa réaction aurait été la même. Il fallait le faire plus tôt.
— Ce n'était pas à toi de prendre cette décision. Ça ne te concerne pas. Tu es un étranger pour notre famille, et ça aurait dû rester comme ça.
L'elfe se releva. Il attrapa son arc d'un geste rageur et quitta la maison en claquant la porte. Je baissai les yeux. Peut-être qu'il avait raison. Ce n'était pas moi qui aurais dû faire cette annonce. J'avais agi sans réfléchir et j'en payai le prix. Seul au milieu du salon, je doutai d'être toujours le bienvenu. Je devrais sans doute partir avant d'aggraver encore les choses. Mais avais-je vraiment fait tout ce chemin pour abandonner maintenant ? J'étais si déterminé en arrivant.
Pour tout dire, je ne savais plus où j'en étais. Je n'avais pas de racines, pas de famille, et les rares amis que je m'étais faits tendaient à disparaître à mesure que je traçai mon chemin dans le monde. Que restait-il à la fin ? La douleur, la peine, la mort.
Je me levai, et lançai un regard vers le premier étage. Ma seule lueur d'espoir, c'était elle. Je ne pouvais pas l'abandonner. Il fallait que ce voyage ait un but, un objectif. Et cet objectif, c'était elle. Ça avait toujours été elle.
Je pris mon courage à demain et montait les marches pour la rejoindre. Le couloir sur lequel elles menaient était aussi blanc que le rez-de-chaussée. Il n'y avait que trois portes. La première coulissa à mon approche et dévoila une salle d'eau remplie de bidules technologiques que je n'avais jamais vu. Curieux, j'aurais adoré jouer avec si j'en avais l'occasion, mais ce n'était pas ma priorité. La deuxième porte ne s'ouvrit pas et aucun son n'était perceptible de l'autre côté. J'en déduis que ce devait être la chambre d'Iphranir et qu'il devait être le seul à pouvoir l'ouvrir. La troisième... ne s'ouvrit pas non plus. En collant l'oreille cependant, je réussis à percevoir les sanglots de Lorette.
Je levai la main et toquai. Les pleurs s'interrompirent. Je dansai d'un pied sur l'autre, dans l'attente qu'elle m'ouvre, ce qui, je le compris vite, n'arriverai pas de sitôt. Elle pensait sans doute que j'étais son père.
— Lorette ? appelai-je. C'est moi.
Aucun bruit. Elle devait écouter.
— Je... Je suis désolé que tu aies eu à l'apprendre comme ça. Je ne voulais pas te blesser. C'est ton père qui... Il refusait de m'écouter. C'était pour le mieux. Tu devais l'apprendre, d'une façon ou d'une autre. Je comprends si... Si tu veux qu'on en reste là et que je parte. Je voulais juste m'excuser et... Euh... Voilà.
Je me giflai mentalement. Les longs discours n'avaient jamais été ma spécialité. Je me sentis bête derrière cette porte toujours close. Et si l'isolation était si bonne qu'elle n'avait pas entendu un traitre mot de tout ce que je venais de dire ? Je parlais peut-être dans le vide depuis le début. J'aurais presque préféré cette option.
J'appuyai une nouvelle fois mon oreille contre la porte. Celle-ci coulissa juste à ce moment précis. Déséquilibré, je tombai sur Lorette qui, surprise, ne parvint pas à me remettre sur mes jambes et s'échoua au sol, m'entraînant dans sa chute. Les joues écarlates, je fis mon possible pour me dégager. Cependant, en voulant me retourner, j'oubliai mes ailes et l'une d'entre elles s'écrasa malencontreusement contre le visage de ma bien aimée. Elle poussa un cri de surprise et retomba au sol une deuxième fois.
— Tu m'écrases ! se plaignit-elle en peinant à cacher son rire. Adrick !
— Je fais ce que je peux, répondis-je en me redressant sur mes genoux pour lui laisser de l'air.
Nous restâmes ainsi face à face, à genoux sur le sol, à nous regarder dans les yeux. Je n'arrivai pas à croire que je l'avais retrouvée. Tout semblait toujours si lointain. Ses mains effleurèrent les miennes, puis elle sourit.
— Je ne t'en veux pas. Et je suis désolée que mon père t'ait forcé à me mentir. Je sais qu'il peut être... étouffant. Je ne suis pas certaine de... réaliser tout ce que ça signifie, et honnêtement, je n'ai pas envie de le découvrir maintenant. Est-ce que tu m'accompagneras ? En ville. J'aimerais te faire visiter.
Je ris nerveusement. Il était vrai que, mis à part la prison, je n'avais pas vu grand-chose de Lothariel pour le moment. Je décidai de lui épargner cette partie de mon voyage et hochai la tête. Je me relevai, et lui tendit la main pour l'aider à en faire de même. Elle poussa sur ses jambes, et, soudainement, se jeta contre moi pour m'enlacer. Je me figeai un moment, surpris, avant de la serrer à mon tour. Ce parfum boisé qui m'avait tant manqué emplit mes narines. Je la tenais. Pour de vrai.
Après quelques secondes, elle me relâcha et me prit la main. Je la suivis vers la porte. Elle quitta cependant l'allée pour contourner la maison et m'encouragea à la
rejoindre.
Le jardin était gigantesque, bien plus grand que tout ce que j'avais connu jusqu'à présent. Il y avait une plantation de légumes sur une bonne partie du terrain, ainsi qu'un enclos où plusieurs cerfs broutaient paisiblement. À ma grande surprise, elle commença à en seller un, qui ne parut pas gêné par le soudain poids sur son dos. J'ignorais que l'on pouvait monter ces créatures.
— Il s'appelle Bosco. C'est moi qui l'ai élevé.
Elle me prit la main et la pressa contre la bouche de l'animal qui me renifla, curieux. Il y avait quelque chose d'étrange avec cette monture. Il était plus grand qu'un cerf normal, certes, ça arrivait, mais il y avait autre chose que je ne parvenais pas à nommer. Quelque chose qui m'appelait, au plus profond de mon être.
Lorette dut sentir mon trouble puisqu'elle me toucha l'épaule pour me sortir de ma rêverie. Elle m'interrogea silencieusement du regard, mais je ne pus lui répondre. J'ignorais ce qui se passait.
La jeune femme monta gracieusement sur la monture, puis me tendit la main. Je chevauchai l'animal comme un cheval, mais j'avais sous-estimé la largeur de son arrière-train. Ma jambe glissa et manqua d'emporter le reste mon corps de l'autre côté. Lorette me retint avec précipitation. Je l'avais échappé belle. De belles fumées de cerf bien fraîches patientaient à quelques centimètres seulement de mon nez. Je tentai de garder la face, mais elle ne m'épargna pas et éclata de rire. Je rougis, blessé dans ma virilité.
Bosco n'attendit pas que je sois prêt pour bondir au-dessus de la barrière de l'enclos. Balancé vers l'avant, je me retins de justesse aux épaules de Lorette. Elle attrapa mes mains et les fit glisser le long de sa taille. Je restai un long moment à considérer si je devais les laisser là ou non, mais un deuxième bond au-dessus du portail de l'entrée me convainquit de ne pas lâcher prise.
Trop concentré sur ma volonté pour ne pas tomber, je ne m'intéressai au paysage qu'après une dizaine de minutes de promenade. Nous venions de passer l'immense arbre au centre de la citadelle pour explorer ce qui se trouvait au-delà. Je fus soulagé de ne pas avoir à y remettre les pieds. Ma première expérience avait amplement suffi.
Moins technologique, le reste de la ville ressemblait grandement à ce que j'avais connu à Mornepierre avant que la situation ne déraille entièrement : de petites maisons bien entretenues, à la différence que celles-ci étaient camouflées par la verdure. Ici, des plantes poussaient le long des façades, là, des arbres épais cachaient l'allée qui menait à l'habitation. Plusieurs elfes sur les perrons me dévisageaient avec méfiance, les enfants dans les bras. Tous regardaient mes ailes, sans surprise.
— Comment est-ce arrivé ? me demanda Lorette, en me voyant fixer mes ailes.
— Je l'ignore, avouai-je. J'ai... rencontré quelques difficultés à Mornepierre. Et à la fin de ces difficultés, je les ai eues.
— Quelles difficultés ?
Je pianotai mes doigts sur ses hanches, nerveux. J'ignorai moi-même toujours comment ce miracle avait été rendu possible et craignis qu'elle ne me crût pas. Toute cette histoire était tout de même sacrément extraordinaire. Cependant, je n'avais pas envie d'entacher nos retrouvailles par de nouveaux mensonges. Alors je lui avouai tout. La peste noire, le dictateur qui avait embrigadé l'entièreté de la ville, mon exécution et mon réveil alors que ce devait être la fin. Elle m'écouta sans mot dire, et resta silencieuse longtemps après que j'eus terminé, en pleine réflexion.
— Peut-être que tu n'es pas vraiment mort ? Que ton corps ait réagi instinctivement et que des pouvoirs se sont déclenchés suite à la panique ? tenta-t-elle de rationnaliser. Je n'ai jamais entendu parler d'hommes capables de se pousser des ailes après la mort.
— Je l'ignore. Toute cette partie est floue, même pour moi. Parfois, je me demande si je n'ai pas tout imaginé, et puis je me retourne et je vois ces deux ailes dans mon dos, et je me rends compte que ce n'est pas qu'un cauchemar.
— Je connais un endroit où l'on pourrait trouver des réponses.
Je me figeai. Je ne m'attendais pas à cela. Elle se retourna vers moi pour me questionner du regard. J'hochai la tête. Je n'avais rien à perdre de toute façon. Au mieux, j'en découvrais plus, au pire, ça ne changerait rien à mon quotidien.
— Nous irons demain, me dit-elle. La tour de la connaissance est située plus loin dans la forêt et nécessite quelques jours de marche pour s'y rendre. C'est un endroit incroyable, tu vas l'adorer.
— Mais, et ton père ?
— Je... Je lui parlerai ce soir. Tu es libre de loger chez nous. Nous avons une chambre d'ami au rez-de-chaussée.
Je n'avais même pas réfléchi à la possibilité qu'elle ne veuille pas de moi chez elle. Il fallait dire que j'avais passé les derniers jours logés. De manière sommaire, certes, mais à l'abri. Je redoutais la cohabitation avec Iphranir, mais si je restai caché dans ma chambre, peut-être parviendrais-je à l'éviter.
Il s'agissait d'un de mes talents naturels après tout.
Lorette prit mon silence pour une affirmation et, satisfaite, fit trotter son cerf jusqu'à un grand parc, où nous passâmes le reste de l'après-midi à rattraper le temps perdu.
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