Kidnapping
Deux années passèrent. J'avais visité le monde en compagnie de Jack, et on ne se lâchait pas d'une semelle. Nous nous entendions très bien tous les deux, et il était vite devenu mon meilleur (et seul) ami. Une certaine connection s'était établie entre nous, alors d'une manière ou d'une autre, on se retrouvait de toute façon.
J'avais découvert mes pouvoirs, comme prévu. Lorsque je chantais, je pouvais communiquer différentes émotions, je pouvais utiliser ma voix pour protéger, calmer, effrayer... Il me suffisait de trouver la bonne chanson. Je crois que c'est lié au fait que j'avais chanté à Angéliane jusqu'au seuil de la mort. Très poétique, je sais.
- Ary, viens par là !
Je volais jusqu'à Jack. Oui oui, volais ! J'avais découvert ça par accident et, depuis, ne pouvais m'empêcher de frimer un peu. On faisait souvent des courses d'un continent à l'autre, d'ailleurs. Je disais donc que je volais jusqu'à Jack, qui regardait des enfants s'amuser. Un autre détail : nous étions de retour à Burgess. Je tenais à voir ma famille, et Jack en avait profité pour faire neiger. Résultat, plusieurs enfants jouaient dehors.
Frost envoya une boule de neige magique à l'un d'eux, Jamie si j'ai bien entendu. Aussitôt, une bataille se déclencha. À laquelle, bien sûr, Jack et moi n'avons pas pu nous empêcher de participer. Nous nous amusions tellement que je ne vis que trop tard l'erreur de mon ami. Jamie avait grimpé sur son traineau et dévalais la pente à une vitesse phénoménale. Il atterrit bientôt sur la route.
Jack s'assurant de diriger l'enfant au mieux à travers les voitures et les passants, je volais à la hauteur de Jamie, chantant tout bas une chanson qui lui donnerait le courage de ne pas lâcher prise. S'il l'avait fait, ça l'aurait tué. Finalement, sa course s'acheva quand il se fracassa la tête contre une statue. Rien de casser, sauf une dent qui est tombée.
- Regardez ça ! s'écria-t-il. Je vais la mettre sous mon oreiller pour la fée des dents, ce soir !
À ce nom, Jack et moi nous rembrunirent. Les enfants ne semblaient pas prendre conscience que ce n'était pas leurs précieux Gardiens qui leur donnait autant de fun, mais bien deux esprits qui leur étaient inconnus. Lorsqu'ils furent partis, je ne pus m'en empêcher. J'envoyais une bonne taloche à l'arrière du crâne de l'imbécile qui me servait de meilleur ami.
- Crétin ! Tu aurais pu le tuer !
- Mais c'est pas arrivé !
- Ça aurait pu !
- Mais ça ne l'a pas fait !
Comprenant qu'il ne servait à rien d'argumenter avec lui, je laissais tomber. Puis, mon regard se déposa sur un visage familier. Le laissant planté là, je m'approchais de ma mère et de ma sœur, qui prenaient une marche silencieuse près de nous. Je les suivis jusqu'à ce qui semblait être leur nouvelle maison.
- On se retrouve dans la ruelle ce soir ? proposa Jack. À moins que tu veuilles plus de temps ?
- Ce soir, c'est parfait.
- Alors à tout à l'heure !
Et il s'envola pour faire neiger plus loin. Moi, j'entrais dans la maison. Je regardais mon père. Il semblait aller mieux que la dernière fois, mais ses yeux avaient perdus leur éclat rieur. Ma mère cuisinait en silence, et ma sœur dessinait dans son coin. Une famille brisée, voilà ce à quoi me faisait penser ce tableau. Je m'approchais d'Angie. Désormais âgée de huit ans, elle n'avait pas vraiment changé. Je me penchais sur son dessin, puis fronçais les sourcils.
Elle avait représenté d'énormes monstres, tous faits de la même matière. Du sable noire. Sans attendre, je montais à l'étage et finis par trouver sa chambre. J'en fouillais chaque recoin, avant de trouver ledit sable sous son lit. Je m'En débarrassais vite fait, et pris la poupée qui se trouvait dans le lit.
Tais toi, mon bébé
Sois sage ne pleur pas
Dors bercé par le fleuve sacré...
Ça suffirait. La poupée devrait la préserver de ces étranges cauchemars pour un bon bout de temps. Je passais le reste de la journée à les observer, à chanter quelques fois pour leur redonner le sourire, mais je compris bien vite que ma mort, bien qu'elle remontait à deux ans plus tôt, les avais marqués à jamais et qu'ils ne pourraient pas entièrement s'en remettre.
Je finis par quitter la maison. Je me faisais du mal pour rien. En voyant la nuit qui commençait à tomber, je me dirigeais vers notre point de rendez-vous. Pourtant, à peine fus-je arrivée que je me figeais.
- ... hiver 68, si je me souviens bien.
Je ne connaissais pas cette voix.
- Tu m'en veux encore pour cette histoire ? rigola Jack.
- Oui. Mais c'est pas pour ça que je suis ici, soupira la voix.
Je m'approchais un peu, et vis que mon ami discutait avec... un lapin géant ? Ça devait être le Lapin de Pâques.
- Les gars, embarquez le.
Avant que je n'ai pu faire quoi que ce soit, deux yétis sortis de nul part attrapèrent Jack, le fourrèrent dans un sac et ouvrirent un portail, avant d'y entrer. J'y croyais pas, mon meilleur ami venait de se faire kidnapper ! Je vis le lapin ouvrir un terrier et il sauta dedans. Sans hésiter, je l'imitais.
Retenant mes cris, je me laissais glisser le long du tunnel, pour finalement voler en dehors. Trop préoccupé par ce qui se passait plus loin, le lapin ne m'avait pas remarqué et s'éloignait déjà.
Je regardais autour de moi quelques secondes. Je me trouvais dans ce qui semblait être un immense atelier. Serais-je dans celui du Père Noël ? C'était fort probable. J'entendis alors la voix de Jack de l'autre côté et, sans attendre, me précipitais à sa rescousse.
- T'inquiète pas, Jack, je viens te sauver ! hurlais-je en entrant dans la salle.
Profitant de l'effet de surprise, je poussais les yétis et les lutins hors de mon chemin avant de prendre la main de Jack et de forcer un chemin vers la fenêtre la plus près. Pourtant, nous sombrâmes dans un trou avant de pouvoir l'atteindre. Nous volâmes ensuite sur quelques mètres de hauteur, avant nous écraser lamentablement par terre, aux pieds de quatre personnes assez bizarres.
Le Lapin de Pâques se pencha sur moi, et je compris que je lui devais l'échec de ma tentative de sauvetage.
- C'est qui, elle ?
Il me releva par le collet et me souleva en l'air. Les jambes pendant dans le vide, je tentais de me libérer, en vain. Il était super fort !
- Toi queue de coton, je te jure que je vais te zigouiller ! m'énervais-je. Espèce de cloche de Pâques de mon c...
- Lâche là, la peluche, ordonna Jack en le menaçant de son bâton.
- Bunny, déposes la immédiatement ! ordonna une jeune femme ailée semblable à un colibri.
Il grommela, mais obéit malgré tout. Je lui donnais un bon coup de coude dans le ventre, lui arrachant un sifflement de douleur, avant de rejoindre Jack. Il me regardait dans les yeux, mort de rire, mais je voyais qu'il se retenait.
- C'est ça, rigole tant que tu le peux, grognais-je. J'étais venue te sauver, je te signale !
- Très réussi, c'est sûr, répondit-il.
- Bon, alors pourquoi ces barjos t'ont kidnappés ?
- Ça ne te regarde... commença le lapin.
- Ces barjos, comme tu dis, sont les Gardiens, rigola Jack.
- Oh.
Maintenant que j'y regardais de plus près, je compris qu'il avait raison. Bunny le Lapin de Pâques, North le Père Noël, Fée la Fée des Dents et Sab, le Marchand de Sable.
- Qu'est-ce que vous lui voulez ? demandais-je d'un air mauvais.
- Ils veulent que je devienne Gardien.
Je le regardais quelques secondes, perdue. Mon regard passa de lui, aux Légendes, à lui, puis encore aux Légendes. Et je craquais. Me tordant de rire, les larmes aux yeux, je n'arrivais plus à articuler une seule phrase. C'est seulement en voyant qu'il ne se joignait pas à moi que je compris que ce n'était pas un blague.
- Attends... t'es sérieux ? soufflais-je.
- C'est pas comme si j'allais accepter, de toute façon, dit-il en haussant les épaules. Aller, on y va.
- Jack... tu ne sembles pas comprendre notre mission, fit remarquer Fée en s'approchant.
Elle vola jusqu'à l'énorme globe lumineux qui tournait derrière nous.
- Chacune de ces lumières représente un enfant.
- Un enfant qui croit en nous, ajouta North. Qu'il soit sage ou pas, coquin ou gentil, notre devoir est de les protéger.
- On perd du temps à papoter ! s'énerva Bunny. Pendant qu'on est ici à essayer de convaincre un cerveau gelé de devenir Gardien, la menace de Pitch grandit !
- Pitch ? répétais-je. Le bonhomme sept-heure ? Le croquemitaine ? Il existe aussi ?
- Pour sûr qu'il existe ! Et il est plus menaçant que jamais. Et lorsqu'on est menacés, alors les enfants le sont aussi ! assura North.
- Raison de plus pour vous trouver quelqu'un de plus compétent, rétorqua Jack.
- Trouver ? Ce n'est pas nous qui décidons ! Tu as été choisi, Jack, comme nous l'avons tous étés ! Par l'Homme de la Lune !
Nous nous figeâmes tous les deux.
- Il... il s'adresse à vous ? souffla Frosty. Et il m'a choisit ?
- La nuit dernière, Jack, confirma Fée.
- Alors pourquoi ne pas me le dire lui-même ? demanda-t-il en désignant la lune qu'on voyait à cause du toit ouvert.
Il garde le silence quelques instants, avant de reprendre.
- Alors c'est ça, sa réponse après 300 ans ? Que je me planque comme vous dans un trou à rats en essayant d'acheter la bonne conduite de tous les enfants de cette planète ? s'énerva-t-il. Non, cent fois non ! Je vaux mieux que ça ! Sans vouloir vous froisser, bien sûr, ajouta-t-il précipitamment.
- Idiot, grognais-je.
- Comment veux-tu que ça ne nous froisse pas ? s'agaça Bunny. Et puis, de toute façon, je crois que c'est mieux comme ça. Il ne serait pas capable d'apporter du bonheur aux enfants.
Je vis rouge.
- Est-ce que tu as déjà vu leurs yeux lorsqu'ils voient la neige ? Lorsqu'ils font des batailles, lorsqu'ils glissent, lorsqu'ils font des courses de traineau ? Est-ce que tu sais le bonheur que peut apporter un seul flocon ? Je crois que toi et tes œufs cuits durs sont loin du compte, alors tes commentaires, tu peux te les garder ! crachais-je.
- S'ils étaient si heureux, ils croiraient en lui. Mais non, il est invisible, il n'existe pas à leurs yeux, et ça ne changera jamais ! s'énerva-t-il. Et toi, tu es quoi, hein ? Tu n'es même pas le quart d'un Esprit, on ne peut pas dire que tu sers à grand chose !
- Bunny ! s'horrifia Fée.
Je levais la main pour l'interdire d'intervenir.
- Non, tu as raison. Je ne sers à rien. Donner ma vie pour sauver celle de ma sœur n'était qu'un gâchis. Chasser chacun de ses cauchemars à coup de pieds au cul n'était qu'une perte de temps. Réunir des couples brisés ne servait à rien. Redonner confiance en soi aux gens qui doutaient d'eux-mêmes n'en valait pas la peine. Protéger les enfants des malheurs de la réalité alors que vous faisiez des jouets, ramassiez des dents et peigniez des œufs était sans valeur. Tu as raison, je ne sert strictement à rien, répliquais-je d'un ton calme. Après tout, je ne faisais qu'aider les gens, enfants comme adultes, à longueur de temps alors que vous, c'est un jour l'an ou juste la nuit.
Je repris mon souffle, et poursuivit.
- Tu vois, la peluche, tu ne connais pas grand chose du vraie monde. Toujours caché dans ton terrier en attente de Pâques, sans sortir de ta zone de confort. Toi, qu'as-tu fait jusqu'à présent, à part de servir de mascotte pour une fête stupide ? Tu te crois supérieur aux autres car tu es un Gardien et que les enfants croient en toi, mais que serais-tu sans eux ? Rien du tout. Alors ne vient pas me dire que je ne sers à rien, et ne vient pas le cracher au visage de Jack ou d'un autre esprit, car entre nous et toi, c'est toi qui es le plus inutile.
J'avais été un peu fort sur ce coup là, mais il fallait que ça sorte. Il ne répondit rien, apparemment soufflé par ma tirade.
- Bunny, elle a raison, déclara Fée. Tu ne peux pas, on, ne peut pas, les juger ainsi.
- Jack, viens. On doit parler.
- Je viens si Aryane viens.
Je le regardais avec de grands yeux. Il allait vraiment les mettre à bout. Pour montrer sa détermination, il me prit la main. Je la serrais très fort.
- Très bien, qu'elle vienne, dit North en levant les yeux au ciel.
Nous le suivîmes dans un ascenseur, et je restais derrière, silencieuse, lorsque nous débarquâmes un étage plus bas.
- North, j'ai rien contre toi, mais ce que toi et les trois faites... c'est pas mon truc.
- L'Homme de la Lune dit le contraire, rétorqua le Père Noël.
- Doucement ! demanda Jack en ralentissant. Ça fait des années que j'essaie d'entrer par effraction !
- Par effraction ? répéta North.
- T'inquiète, j'ai jamais pu berne les yétis.
D'ailleurs, l'un d'eux le fixait avec un regard meurtrier, et il frappa son poing dans sa paume en signe d'avertissement. Nous poursuivîmes notre chemin, North lançant des consignes à tout va, et nous entrâmes finalement dans un bureau. Je m'installais plus loin, les laissant parler. La porte se ferma d'un coup et je vis, inquiète, North s'approcher de Jack en craquant ses doigts. Mais je compris que ce n'était pas pour le tabasser.
- Dis moi, qui es-tu, Jack Frost ? s'exclama-t-il.
- Quoi ?
- Qu'est-ce qui t'animes au fond de toi ? Si l'Homme de la Lune t'a choisit, c'est qu'il devait avoir une raison !
North réfléchit un peu, puis saisit une poupée russe sur une étagère le représentant.
- On me voit comme ça : menaçant, costaud, fort ! Mais quand on me connaît bien... vas-y, regarde !
Jack ouvrit la première poupée.
- Tu es carrément... jovial ?
- Oui, continue !
Il ouvrit la deuxième.
- Je peux être aussi mystérieux !
La troisième.
- Et courageux !
La quatrième.
- Attentionné. Et qu'y a-t-il au fond ?
Il l'ouvrit, révélant un petit bébé.
- Un bébé en bois ?
- Crétin, grognais-je en secouant la tête.
- Regarde encore ! l'encouragea North.
- Euh... tu as de grands yeux ?
- Oui ! C'est ça ! Des yeux énormes car ils se remplissent de merveilles ! s'écria North. C'est ça qui m'anime au fond, je suis né avec de grands yeux qui sont capables de voir la merveille dans tout ce qui m'entoure !
Ils sortirent, et je les suivis.
- C'est ce que je préserve chez les enfants, l'émerveillement ! C'est ce qui fait de moi un Gardien, c'est ce qui m'anime au fond ! Et toi, qu'est-ce que c'est ?
- J'en sais rien.
Soudainement, Fée passa derrière la fenêtre du bureau à toute vitesse. La seconde suivante, Bunny et Sab furent à nos côtés.
- On a un problème, les gars, annonça Bunny. C'est la panique au palais des dents.
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