Chapitre 25.

La coche était agitée par les cahots de la route méridionale. Les rayons du vif soleil d'été filtraient à travers les persiennes lourdes qui couvraient les portières et maintenaient l'intérieur de l'habitacle dans une semi-obscurité. Il y faisait frais malgré la chaleur extérieure.

Assise sur la banquette, les jupons gris perle étalé en une corolle de satin autour d'elle, Mara lisait, silencieuse. Dans ses mains, elle tenait un livre de vers iriguois, écrit par un poète connu sur tout le continent. Un certain Durante Bardi, auteur des Tragédies infernales. Dans ses poèmes, il dépeignait l'Homme dans toute sa splendeur, toute sa noirceur... Traitant de tout, d'amour ou de pouvoir, il parlait aussi bien de guerre, que de vie quotidienne et même de religion. La Foi n'avait atteint son apogée dans l'art qu'à travers ses rimes célébrissimes. Nul doute que la duchesse trouvait à cette œuvre un charme certain. Ses lèvres incurvées en un sourire léger, ses yeux bleus ne quittaient pas les pages, pétillant étrangement. Si le poète avait été encore vivant lors de son séjour en Irigua, elle n'aurait guère hésité à le séduire. Il représentait tout ce qui la fascinait, loin du danger certain des hommes tels que son époux... Il était un artiste. Et dans un certain sens, les artistes étaient peut-être plus puissants encore que les daemons. Car leur folie en eux, cette folie créatrice ne venait pas d'un autre monde. Elle venait de leurs cœurs.

Et pendant quelques instant, son esprit s'évadait à travers les vers jusqu'à quitter cette réalité où elle était empêtrée dans un jeu dangereux.

Aleksi l'observait faire, assis sur la banquette face à elle. Il aimait peu voyager en coche. Ce qu'il préférait, c'était monter à cheval, battre la campagne au galop, sentir le vent siffler à ses oreilles, tel un esprit furieux désirant le jeter à bas. Plus la bête était sauvage et plus il aimait ces instants de pure et totale liberté où une simple chute pourrait se révéler plus mortelle que tout... et tandis qu'il ne craignait guère de mourir, frôler cet état de limite le rendait plus euphorique que jamais.

C'était l'action pure, la nature qui régnait seule, la loi intransigeante de celui qui oserait défier la déesse du destin le plus loin possible.

Ici, dans cet espace clos, renfermé, il se sentait à l'étroit. Il était si grand qu'il avait failli s'assommer une ou deux fois sur le plafond et il ne pouvait étendre ses jambes. Il aurait pu aisément prendre place aux côtés du cocher, peut-être même chevaucher près du véhicule. Mais la Meravigliosa avait absolument tenu à l'avoir auprès d'elle. Et au fond de lui, Iskela jubilait de tout ce temps passé à proximité de la merveilleuse duchesse. Ils se frôlaient parfois, leurs souffles se mêlaient sans que pourtant il ne la touche jamais. Et Aleksi... Aleksi tempérait les ardeurs de son démon, rencogné contre la portière, son chapeau noir à moitié rabaissé au-dessus de sa tête, sa main gantée de cuir emprisonnant fiévreusement le pommeau de son épée.

« Aleksi...

Il releva la tête, surpris qu'elle l'interpelle.

Elle avait refermé son livre et dardait désormais sur lui ses prunelles bleues, tranchant avec la semi-obscurité de l'habitacle. Assurée d'avoir capté son attention, elle enchaîna aussitôt de sa voix douce, enjôleuse :

— Comment est Montefortino ?

Surpris par la question, le mercenaire fronça des sourcils.

— C'est votre demeure, madame.

— Mais tu y as résidé plus que moi. Tu y as passé plusieurs mois...

Les souvenirs de ces quelques mois lui remontèrent en mémoire comme autant de flash. Ces moments avaient été à la fois douloureux puisqu'il avait dû être éloignée d'elle mais parallèlement... Pendant ces quelques mois, il avait vécu avec des garçons de son âge, ses anciens compagnons de l'orphelinat... Et il s'était senti un peu plus normal, un peu moins différent.

— C'était il y a dix ans... éluda-t-il, se frottant la nuque mal à l'aise.

— Tu ne me feras pas croire que tu as tout oublié.

La duchesse se rencogna au fond de son assise, un sourire malicieux aux lèvres tandis qu'elle répliquait, taquine. Il esquissa un rictus.

— C'est vrai.

Elle haussa un sourcil, l'air de ricaner « tu vois ». Mais elle ne dit rien de plus, comme pour l'encourager à continuer à parler. Laissant tomber son silence joueur, le jeune homme visualisa face à ses yeux l'image de ce château des montagnes qui avait été synonyme pour lui d'une seconde maison.

— C'est une belle forteresse, vos gens en ont pris grand soin. La vue sur la vallée est splendide. On se croirait presque dans une des vastes forêts du nord de...

— Je me fiche de cela, l'interrompit-elle. Parle-moi des garçons.

Un instant, il plissa les yeux, scrutant la dame. Les garçons... On en venait au vif du sujet. Pendant des années elle s'en était à peine soucier, se fiant entièrement à ceux auprès desquels elle les avait laissés. Mais désormais, tout avait changé...

— Vous serez fière, finit-il par assurer, convaincu. Vos hommes ont été d'excellentes professeurs. J'en suis la preuve.

— Voyons Aleksi, tu sais bien que personne n'arrivera jamais à ta hauteur, susurra-t-elle, malicieuse.

Le mercenaire sentit une vague de chaleur le gagner à l'entente de ces mots, un tourbillon d'émotions contradictoires contre lequel il ne pouvait lutter. Ni ne le voulait.

— Pas même Iskela ?

Les mots lui avaient échappé sur un ton vif, presque piquant. Il n'avait pu retenir cette éternelle rancune qu'il étouffait au quotidien et qui nourrissait tant cette dualité en lui, le déchirant entre l'humain et le démon. Il était jaloux de lui-même ! Il ne pouvait s'empêcher de s'admonester d'être si stupide. Pourtant, il savait à quel point il se trouvait dans le vrai. C'était la présence de son double démoniaque qui l'avait mené là où il était aujourd'hui...

— Je vous aime tous les deux, se contenta-t-elle toutefois de ronronner, un rictus indéchiffrable aux lèvres, se réadossant à la paroi du carrosse.

Mais le geste sembla tirer sur sa taille encore blessée car son rictus se transforma en une grimace douloureuse. Car peu importe si la plaie cicatrisait. La magie qui se cachait derrière puisait en la duchesse toute sa force, la rongeant de l'intérieur. Comme une flamme éternelle, grignotant ses chairs, elle la sentait œuvrer, impuissante, subissant les décharges douloureuses qui parcourait son abdomen, frappant son cœur de plein fouet. Elle souffrait. Et personne ne pouvait rien contre. Il fallait briser le sceau. Et seul celui qui l'avait apposé en était capable.

Cela fit aussitôt oublier au mercenaire sa jalousie, ses doutes et sa souffrance. Encore une fois, il s'oubliait lui-même, tout dévoué qu'il était à celle qui le possédait entièrement, cœur et âme.

— Comment va votre blessure ? s'enquit-il avec empressement.

Le regard de la duchesse se perdit dans le vide, son sourire se figeant dans une sorte de grimace indescriptible. Songeuse, elle souffla d'un ton sombre :

Il est là. Quelque part sur ce continent. Il va venir. Ce n'est plus qu'une question de temps...

Résonnant telle une prophétie, menaçants, ses mots se répercutèrent dans l'habitacle. La menace du duc planait au-dessus de leur tête, plus lourde que jamais.

Mais le jeune homme secoua lentement la tête de gauche à droite, raide comme un piquet. D'une voix basse, rauque, il articula difficilement, scrutant de ses prunelles sombres la sublime femme :

— Ce n'était pas ce que je demandais.

Elle battit des paupières, l'air de revenir à la réalité. Retour du sourire mutin, de l'éclat royal dans ses prunelles. Chassant l'inquiétude de son âme damnée d'un geste de la main comme s'il s'agissait d'une bagatelle sans importance, elle répondit avec légèreté :

— Je vais bien. Ne t'en fais pas.

Aleksi retint un soupir d'agacement, sentant dans sa poitrine son cœur se serrer.

Elle mentait.

Ils voyageaient depuis plus de trois jours désormais. Et elle fermait à peine l'œil la nuit, lorsqu'ils faisaient halte dans des auberges, hantée par les visites oniriques de son ancien époux. Plus le temps passait et plus l'emprise du sceau augmentait. Les cauchemars se multipliaient.

Le mercenaire le savait. Il ne dormait pas non plus, mû par ce besoin trop pressant de toujours veiller sur elle, pour que plus jamais on ne puisse lui faire de mal. Alors, les nuits se déroulaient toujours d'une étrange façon. Par sécurité, il demeurait dans la chambre, dans un fauteuil ou un lit de camp. Ils discutaient parfois, ou restaient silencieux tandis qu'elle lisait et qu'il l'observait, sans un mot, conservant la distance. Avant que l'un d'eux ne se détourne en premier pour fuir dans l'obscurité, dans les ténèbres.

Mais il n'ignorait rien de ses tics de souffrance, de ses artifices pour cacher l'étendue du maléfice. La Meravigliosa conservait la face, mais dans son regard brûlait une flamme de haine et de peur, étouffée par son intelligence vive et ses plans.

La beauté de la dame demeurait de porcelaine malgré les désagréments du voyage, malgré le manque de sommeil. Sans recourir au moindre far, son teint demeurait pâle, si pâle... Et aucun cerne ne venait ternir l'éclat de son regard. Mais pour la première fois, le temps semblait avoir eu une prise sur elle. Un petit pli était apparu sur son front, comme un premier sillon laissé par cette arme fatale qu'était le destin.

Aux yeux de son âme damnée, elle n'en était que plus belle.

Soudain, un nouveau cahot bien plus violent secoua toute la coche. Le geste fut si brusque qu'un sifflement de douleur échappa à la duchesse. Elle avait senti tous ses muscles se contracter et la brûlure au niveau de son flanc s'était ravivée avec une ardeur terrible. Comme si la lame s'y enfonçait une dernière fois. La magie explosa dans ses veines, se ravivant en des milliers de picotements désagréables qui grignotaient petit à petit sa raison pour l'emplir de dégoût.

Presque instinctivement, Aleksi quitta sa banquette pour s'agenouiller face à elle, son regard aussitôt porté sur son buste afin de s'assurer que la plaie ne s'était pas rouverte et ne saignait pas de nouveau. Mais le tissu gris qui enserrait sa taille dans un étau soyeux ne semblait guère taché de sang.

— Vous souffrez, asséna-t-il d'un ton sans appel, en observant tout de même avec attention tout potentiel changement.

Quelle idée de mettre un corset lorsqu'on s'était fait poignarder ! Quelle idée de porter un corset tout court à vrai dire. La seule utilité qu'il voyait à cet accessoire de torture était la satisfaction de l'ôter, lorsque les doigts trop empressés butaient sur les cordons, dévoilant peu à peu ce qui se dissimulait derrière cette armure de taffetas...

Tout à ses pensées à moitié parasitée par son inquiétude incontrôlable et par la frustration amère du démon qui était tapis au fond de son être, la réponse sèche de la duchesse lui parvint comme au travers d'un brouillard qui se brisa aussitôt :

— Ce n'est rien.

Il se crispa un peu plus et au fond de lui, Iskela se révolta aussitôt, se ruant aux limites de sa conscience. Elle lui mentait. Encore. Toujours. La colère bouillonna soudain en lui. Pourquoi faire cela ? Pourquoi taire sa douleur ? Pourquoi faire comme si de rien n'était ?

Il était prêt à tout pour elle. Absolument tout. Il le lui avait prouvé. Il avait tué la reine, il avait tué le forgeron et Sigrid. Il tuerait encore. Il tuerait même le duc si elle le lui autorisait. Tout ce qu'il voulait en échange, tout ce qu'il désirait c'était... elle. Pas seulement son corps. Il voulait sa confiance, ses secrets, son cœur...

Mais Mara n'en avait plus. Ce dernier était enterré sous trop de peines, de plaies, de rages. Le duc des Merveilles le lui avait ravi et l'avait détruit.

La dame de cœur n'en avait point...

— Et puis, que je sache, tu sais très bien comment atténuer cette souffrance, le piqua-t-elle soudain.

Aleksi se figea, sa main à quelque millimètre à peine de la taille de la Meravigliosa. Avait-il bien compris ? Brusquement, il releva la tête d'un geste si sec que sa nuque craqua.

Elle l'observait patiemment, inébranlable, à travers le voile de ses cils noirs recourbés, une lueur de défi dans le regard. Un défi qu'il brûlait de relever. Entre ses côtes, prisonnier de cette chaire qui l'entravait, Iskela poussa un grondement presque animal.

Qu'est-ce que tu attends ! semblait-il vociférer.

Ses doigts épousant finalement la courbe de ses côtes, effleurant la blessure presque dans une volonté inconsciente de la punir de se jouer de lui, de lui mentir sur son état, il se redressa légèrement. Dans le si petit habitacle, même à genoux, il parvenait de la toiser, d'égale à égale.

Et enfin, il se pencha en avant, tentant de cueillir un baiser.

Mais elle le priva aussitôt de ses lèvres, rejetant la tête en arrière, lui dévoilant volontairement le bas de sa mâchoire, son cou gracile, dégagé par le filet qui retenait comme toujours sa chevelure blonde.

Un grondement de frustration échappa au jeune homme, sans qu'il ne fût totalement humain. Mais s'il souffrait de cette privation, au fond de lui, Iskela se délectait de ce petit jeu tordu. Dans cette partie d'échec qu'était l'art de la séduction, le démon se révélait bien plus patient que son hôte cette fois ci.

La bouche du mercenaire se posa juste sous son oreille, avant de courir le long de la gorge de la sublime femme, effleurant une ligne imaginaire sur sa peau diaphane, laissant une traînée incandescente sur leur passage. Il inspirait à plein poumon le parfum fleurit qu'elle dégageait, embrumant son esprit. Elle sentait la rose. Ses mains gantées quittèrent la taille qu'elles encerclaient quelques instants auparavant, remontèrent le long de sa nuque jusqu'à atteindre les longues mèches blondes prisonnières du filet d'argent qui couvraient ses cheveux. Il tira légèrement dessus, sentant sous sa paume, les perles de nacre qui y étaient brodées.

Un soupire de plaisir s'échappa soudain d'entre les lèvres carmin de la Meravigliosa lorsqu'il descendit un peu plus bas, dans l'échancrure de son décolleté.

Aleksi ferma les yeux à ce son, savourant chacun des frémissements de sa maîtresse, sa légère cambrure, sa respiration agitée qui gonflait sa poitrine à un rythme effréné, offrant en délicats pétales les renflements de sa peau pale.

Lentement, elle avait écarté les cuisses, presque pour l'inviter à se presser plus contre elle, leurs bassins s'épousant à travers la barrière de tissus soyeux que formaient leurs vêtements. Mais ni le cuir, ni la soie ne parvinrent à faire obstacle à cette chaleur bouillante qui s'échappait de cette étreinte.

Soudain, la duchesse le repoussa, en douceur, presque plus malicieuse encore. Et une moue mutine aux lèvres, elle frappa contre la carrosserie, faisant signe au cocher de s'arrêter.

Le véhicule, après une dernière secousse, stoppa sa progression et la mélodie des sabots contre les graviers cessa aussitôt. Au-dehors, les chevaux piaffaient.

Rajustant le décolleté de sa robe, Mara n'attendit pas que le conducteur saute de sa place pour lui ouvrir la portière. Elle ouvrit l'habitacle et mit pieds à terre, plissant les yeux pour s'habituer à la lumière du jour. Une brise douce, tiède, soufflait, agitant ses jupes. Dans l'air flottait un parfum frais, de pins et de cèdres.

Ils se trouvaient sur le versant de la montagne, sur une route qui semblait monter jusqu'à un promontoire assez avancé, surplombant la vallée qui s'élançait en contrebas. La silhouette massive de la forteresse de Montefortino se dessinait à travers le halo éclatant du ciel dénué de nuages. La pinède grimpait le long du flanc de la montagne, éclairée par un soleil chaud d'été. Déjà, à l'atmosphère douce et enchanteresse du lieu, l'on sentait que l'on se trouvait bien plus au sud du royaume de Navarie. Pour peu, on se serait presque cru déjà en Irigua. Un rapace la survolait, tournoyant dans les airs, avant de se diriger vers le promontoire rocheux.

La noble esquissa un petit sourire satisfait. Fermant les yeux, elle inspira à plein poumon cet air montagnard.

Avant de s'engouffrer sur l'escalier qui menait à la forteresse d'un pas énergique et déterminé, brûlante d'impatience, relevant ses jupes de ses deux mains. En quelques minutes, elle avait atteint le sommet du promontoire, talonnée par Aleksi. Cela lui ressemblait peu d'agir de la sorte mais la balade semblait lui avoir rendu le sourire. Ses joues avaient rosi sous l'effort, son regard pétillait et sa respiration ahanée lui donnait l'air d'une déesse de la nature vivante, échappée des contes et des légendes de la région.

Rajustant sa mise, recallant une mèche de cheveux qui s'était échappée de son filet pendant la folle course, elle s'avança vers l'entrée du fort, le cœur battant la chamade dans sa poitrine. Cela faisait tant de temps...

Lorsqu'elle avait fui le cercle, elle avait été accompagnée par un petit groupe de serviteurs qui lui étaient purement fidèles. Elle leur avait laissé la forteresse, dirigeant au loin. Parmi eux, il y avait quelques soldats, les deux vieilles femmes qui dirigeaient l'orphelinat et une servante qui avait toujours été à ses côtés lorsqu'elle était encore duchesse des Merveilles. Cette dernière s'était précipitée pour l'accueillir, s'inclinant avec déférence alors qu'elle passait le porche de pierre.

Hertogaynja*... Nous ne vous attendions pas...

Mara sentit un étrange coup au cœur face à ce visage connu, familier. Ce visage d'avant. Avant sa fuite, avant qu'elle ne se libère. Cette femme... Cette femme la servait depuis son mariage. Elle y avait assisté. Elle avait assisté à la naissance de Freyja. C'était l'image la plus vivace de Rhün qui lui restait, à travers ses cheveux blonds cendre, son menton volontaire, ses quelques rides et son regard gris. Une image qu'elle abhorrait de tout son être pour ce qu'elle lui rappelait... Mais qu'elle avait conservé. Comme un reliquaire de ce que la duchesse avait été avant de devenir la fameuse Meravigliosa. Si elle l'aimait ? Elle ne le savait pas. Elle ne lui avait guère manqué et désormais qu'elle la revoyait, un arrière-goût amer se déposait au fond de sa gorge. Pourtant, elle lui offrit un sourire et l'invita à se relever.

— Nettie... Si ça n'avait tenu qu'à moi je ne serais pas là aujourd'hui.

La femme hocha de la tête.

Son regard se posa soudain sur Aleksi qui suivait de près la duchesse. Son expression avenante et bienveillante se referma aussitôt. Le mercenaire n'avait jamais su pourquoi la servante ne l'avait jamais apprécié et toujours regardé avec méfiance. Peut-être était-ce parce qu'elle avait fréquenté le cercle des merveilles et qu'elle savait de quoi étaient capables ceux qui avaient acceptés un démon en eux ? Mais Aleksi n'était pas comme les autres membres de ce cercle infernal. Il n'avait pas accepté Iskela. Il était simplement venu. Il s'était faufilé et ils se partageaient désormais ce corps.

Reposant son attention sur la duchesse, Nettie se racla la gorge pour annoncer d'une voix douce et basse :

— Ils sont dans la grande cours. Ils vous attendent.

Mara hocha de la tête et sans plus attendre, s'y dirigea.

Là, sous le soleil ardant de l'été, au centre d'une vaste place dont le sol était recouvert d'un gravier d'ocre, se dressait un se dressait une cinquantaine d'hommes qui tous s'inclinèrent face à elle. Ils étaient vêtus des couleurs de la duchesse, le pourpre et l'argent, un cœur brodé sur leur poitrail. Epée au flanc, ils étaient vêtus à la manière des mercenaires iriguois, le même air féroce au visage.

Mais la duchesse ne craignait rien. Elle porta une main à son cœur, presque surprise, peinant encore à y croire.

Ils étaient tous là. Tous les enfants qui étaient dans cet orphelinat lorsqu'elle était partie de Rhün, qui avaient traversé avec elle l'océan cyclone. Ceux qui étaient jadis de petits garçons pauvres et seuls au monde, étaient désormais devenus des hommes forts, des guerriers. Ses guerriers.

Elle les regarda avec fierté, sentant son cœur se serrer d'émotion.

— Vous avez tous tant grandis... laissa-t-elle échappé, les yeux étincelant de surprise.

L'un d'entre eux se détacha enfin des rangs pour s'avancer vers elle avant de s'agenouiller, dans un geste de vénération et de respect total.

— C'est un honneur d'enfin vous revoir, ma Dame.

Un instant, elle laissa courir son doigt le long de la joue du jeune homme, dans un geste presque tendre. Presque maternel. Sur ses lèvres, flottaient un sourire doux, presque heureux. Aleksi lui avait rarement vu une telle expression. Ce n'était pas tout à fait cette jovialité apparente qu'elle renvoyait à la cour. C'était autre chose. De plus sincère.

Avant qu'elle ne récupère son masque de grande et digne dame.

Elle recula d'un pas pour tous les toiser de son regard perçant. La maîtresse des lieux avait refait surface et dans sa robe iriguoise couleur argent, elle ressemblait presque à un chef de guerre en armure. Dans cette forteresse, entourée de ses soldats, son aura dégageait quelque chose de nouveau, de plus dur, bien loin de la tendresse et du charme des salons mondains et des festivités nobles. Et pourtant, malgré l'écart entre ces deux mondes, elle était toujours autant à l'aise, se fondant à n'importe quel milieu avec la grâce d'un caméléon.

Avec sérénité, elle prit la parole, sa voix s'envolant, claire comme de l'eau de roche :

— Lorsque je vous ai quitté, vous n'étiez que des orphelins, des évadés d'une île qui n'avait rien à vous offrir. Vous n'avez pas de magie, pas de daemon. Vous n'avez que votre cœur. Votre courage. Et c'est ce qui est plus précieux que tout. C'est pour ça que je vous ai choisi. Vous aviez chacun en vous cette flamme qui brûlait et qui brûle toujours. Aujourd'hui, vous êtes des hommes. Des guerriers. Vous êtes puissants.

Aleksi ferma les yeux, transporté lui aussi par ce discours. Il connaissait bien ces jeunes hommes. Il était déjà allé à Montefortino, il avait discuté avec eux. Il savait à quel point tous étaient fidèles la duchesse. Ils la voyaient comme leur sauveuse, celle qui les avait tirés de leur misère rhünoise pour leur donner un but, un destin. Ils la voyaient comme une figure maternelle alors même qu'elle n'avait jamais réellement présente. Car elle savait manipuler les cœurs, même à distances. Et ces anciens orphelins de Rhün n'avaient pas échappé à la règle. Ils avaient été élevés, endoctrinés par les quelques fidèles de la Meravigliosa, les soldats et les servantes qu'elle avait laissés là...

Ils lui obéiraient au doigt et à l'œil. Ils étaient son armée. Une armée de mercenaire paré à combattre n'importe qu'elle menace... Y compris si elle venait d'un autre monde. Y compris si elle venait des démons. Y compris si elle était le Cercle des Merveilles.

Mara laissa voler quelques instants le silence, suivant ses dernières paroles, savourant l'effet qu'elles produisaient. Il y avait quelque chose dans ce discours de purement irréel. Elle se tenait là, devant eux, nimbée de lumière, aussi belle qu'un ange, resplendissante. Ses traits étaient doux, ses yeux si clairs qu'ils semblaient irradier de leur propre lumière. Et pourtant, tout dans son attitude était guerrier. Jusqu'à ses derniers mots lorsqu'elle interrogea, sa voix s'envolant dans les airs pour résonner au-dessus de Montefortino comme un décret prophétique, aussitôt noyé sous les acclamations de cette armée personnelle qu'elle s'était constituée :

— Êtes-vous prêts à servir votre duchesse ? »

*Duchesse

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Bonjour à tous et à toutes ! Comment allez vous ?

Le soleil est de sortie et il flotte un petit air de vacances ! Comme destination je vous propose Montefortino ! Un très charmant endroit au sud de la chaîne des Arcs, où il fait beau et où le paysage est à couper le souffle ! C'est en tout cas là que notre duchesse arrive après un voyage assez... tendu ! Et c'est également là, quelle y a dissimulé son armée de mercenaires orphelins !
Nous voilà plongés au cœur de ses projets...

J'espère que ce chapitre vous a plu ^^
Au cas où, j'ai aussi posté un très court intermède un peu plus tôt dans la journée, c'est une comptine que vous connaissez déjà ;)

À la prochaine,
Aerdna 🖤

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