✧ Vingt-et-un ✧

Un combat terrible éclata dans la pièce. Arthur s'engagea aussitôt dans une lutte sans merci, où tous les coups étaient permis. Meredith, non loin de lui, usait de la magie et protégeait le Cercle, les dents serrées par l'effort. Il sut qu'il n'avait rien à craindre tant qu'elle serait dans son dos.

Glaive tendu en avant, il courut vers la première banshee qui s'offrait à lui. Les Dames Blanches, ces lâches, s'étaient retranchées derrière leurs sous-fifres pour jeter des sorts à la chaîne. Jusqu'ici, aucun n'avait fait mouche ; Meredith les défendait trop bien.

Arthur lança son bras et sa lame vint trancher efficacement la gorge d'une enchanteresse. Le sang gicla sur sa robe brune et sur les dalles de pierres claires jusqu'aux bottes du guerrier. Son corps sans vie s'affala de façon grotesque, tordu dans une position impossible, vomissant des litres d'hémoglobine par sa plaie béante. Sans ciller, Arthur passa à la suivante.

Il n'aimait pas tuer, mais c'était une guerre. Pas de quartier. Pas de pitié.

— Arthur ! rugit alors Karo.

L'écho fut projeté à travers toute la pièce, tant et si bien qu'il fallut plusieurs secondes à Arthur pour identifier la position de Karo. Il le repéra finalement au plus près de l'entrée, protégeant de ses deux lames Owen et Galahad, qui semblaient submergés. Le guerrier semblait en difficulté et il ne fallut pas une seconde à Arthur pour comprendre qu'il demandait de l'aide. Cependant, lorsqu'il fit mine de se diriger vers Karo, il fut bloqué par deux banshees qui l'attaquèrent en duo sans répit, le faisant reculer pas après pas. Elles restaient trop loin pour être à portée de son glaive.

Subitement, l'une des deux s'effondra, et Arthur aperçut une flèche profondément plantée dans son dos. La seconde vociféra des insultes et redoubla d'ardeur, et alors qu'Arthur allait lui porter le coup fatal, un sortilège la faucha de plein fouet et la banshee s'embrasa en hurlant. Surpris, Arthur l'acheva à la poitrine puis fonça vers Karo, qui combattait quatre adversaires en même temps. Aucun autre que lui n'y aurait survécu si longtemps.

Un froid glacial envahissait la pièce, gelant le bout de ses doigts et rendant sa prise sur son glaive instable : il souffla sur ses mains, ne pouvant se permettre de perdre le contrôle de sa lame à cause d'une onglée. Les seuls bruits étaient les cris échangés entre les camps ou les grondement de la terre qui s'ouvrait et se mouvait sous l'impulsion des banshees ; les fers restaient silencieux, mais pas pour autant inactifs. Et le spectacle, quoique horrible, laissait entrevoir une issue plutôt favorable au Cercle, qui eut bientôt réduit de moitié les effectifs ennemis sans avoir subi aucune perte. Confiant quant au dénouement de la bataille, Arthur raffermit sa prise sur son glaive et entama la périlleuse traversée de la salle. Tranchant et sectionnant tout ce qui passait à sa portée, repérant aisément ses compagnons au milieu de cette cohue de femmes, il fendit la marée mortelle en n'écopant que d'égratignures causées par de simples collisions imprévues avec une adversaire.

Lorsqu'il eut enfin atteint sa destination, Arthur prêta main-forte à Karo en s'occupant de deux de ses adversaires. Une fois de plus, Meredith lui fut secourable puisqu'elle tua une banshee sur le coup. Quant à Karo, désormais plus libre, il avait laissé l'une des banshees à Owen, mais le surveillait du coin de l'œil. Le jeune homme se débrouillait bien. Galahad, enfin, semblait effaré. Ce n'était certes pas son premier combat, mais le même dégoût se peignait à chaque fois sur son visage. Un jour, il en pâtirait, se dit Arthur.

Ce dernier cessa de s'inquiéter pour les deux novices du Cercle et prêta plutôt garde à Meredith. Toute l'inquiétude qu'elle avait ressentie plus tôt n'était que pure illusion : aucun sort ne parvenait à l'atteindre, de près ou de loin. Elle utilisait la terre pour se protéger en cas de besoin, et surtout elle parvenait à répliquer, coup sur coup. Bien vite, la ligne de protection des Dames Blanches se trouva percée.

Gawain, qui s'était posté sur une table défendue par Lance, Bors et Melgan, tirait flèche après flèche, et rares étaient celles qui manquaient leur cible. Profitant de l'ouverture, il visa une Dame Blanche, Rhys, et tendit sa corde. Ses doigts endoloris se crispèrent sur son arc, son œil aiguisé se riva sur sa proie et, posé et concentré, il laissa la corde se détendre.

Toutefois, Rhys l'avait vu venir. Elle dressa un mur de glace et la flèche s'y enfonça profondément, définitivement calée. Cependant, Rhys avait une autre idée en tête. Grâce à sa maîtrise de la glace, dans laquelle elle laissa la flèche prisonnière, elle déplaça son mur vers le sommet de la salle. Au plus près du plafond, la glace craquela pour former une immense flèche de glace à la pointe de laquelle était encore enfoncée celle de Gawain, et d'un geste adroit, elle propulsa l'arme qu'elle venait de créer vers Arthur. Celui-ci, de dos à la scène, ne put apercevoir le danger qui le guettait.

Meredith intervint au dernier moment, avec l'énergie du désespoir. D'un sort habile, elle parvint à prendre contrôle de la glace au tout dernier moment, mais n'eut pas le temps d'en maîtriser parfaitement la direction, d'autant plus qu'elle subissait les assauts répétés des autres banshees. La double flèche ne s'arrêta pas.

Elle s'enracina profondément dans l'abdomen de Galahad, qui hurla. Aussitôt, Karo se plaça devant lui, faisant rempart de son corps. Arthur sentit son cœur faire un bond et vit le jeune médecin à genoux, la main crispée sur le trait empenné, tandis que Meredith retirait la glace qui avait servi à propulser la flèche de Gawain. Une nouvelle flèche vint débarrasser Arthur de sa dernière adversaire et il se précipita vers le blessé. Avec l'aide de Karo, il acheva sans difficulté la dernière banshee qui traînait autour de Galahad. Il s'agenouilla auprès du guerrier et lui saisit la joue. Elle était inondée de larmes.

La scène n'était pas sans rappeler celle qu'il avait vécue quatre ans plus tôt. La rage et l'impuissance frappèrent Arthur de plein fouet. Il se jura férocement que Galahad ne périrait pas comme Key.

— Gal, reste avec moi, ordonna-t-il calmement. Il faut que tu restes conscient.

— La flèche, grinça Galahad. Il faut la retirer... pour arrêter... l'hémorragie. Ah ! siffla-t-il lorsqu'un faux mouvement envoya une onde de douleur dans son corps.

Rapidement, Arthur ôta son manteau en laine et le roula en boule.

— Je ferai comme je peux. Accroche-toi, Gal.

Il hocha la tête et s'agrippa à l'épaule d'Arthur. Ce dernier posa la main sur la flèche et d'un geste sec, la retira. Galahad s'évanouit presque aussitôt dans les bras d'Arthur, qui garda son sang-froid, coucha Galahad sur le sol et comprima sa compresse improvisée sur la blessure. Rapidement, elle fut imbibée de sang.

— Situation ? hurla-t-il, les yeux vrillés sur son jeune compagnon.

— Sous contrôle ! lui répondit-on.

Lorsque quelqu'un tomba à genoux à côté de Galahad, Arthur leva à peine les yeux.

— Laisse-moi faire, ordonna Meredith, les cheveux en bataille.

Son regard déterminé suffit à le convaincre. Arthur lui laissa aussitôt la place et retira le manteau. Meredith tendit une main au-dessus de la blessure et une fine couche de glace se forma au creux de sa main. Elle l'appliqua sur l'abdomen de Galahad afin d'empêcher le sang de couler davantage.

— Je suis désolée, dit-elle platement.

— Ce n'est pas ta faute, répondit Arthur.

— Je sais. Je ne suis pas vraiment désolée, avoua-t-elle en levant timidement les yeux. C'était toi ou lui.

Arthur remarqua que sa main se mettait à trembler. Il posa la sienne par-dessus.

— Concentre-toi et dis-moi si je peux t'aider.

Tristan débarqua à son tour et proposa son aide. Arthur fronça les sourcils lorsqu'il réalisa que le calme était revenu dans la salle.

— C'est terminé ?

— Les dernières se sont enfuies, répondit sombrement Tristan.

— Et les Dames ? fit Arthur.

Le guerrier hocha la tête.

— On en a eu une. La rousse, Dona.

Il tendit la main à Arthur qui s'en saisit pour se relever. Rapidement, les autres les entourèrent, à l'exception d'Owen qui s'était affalé contre un mur en soufflant et de Melgan, qui lui parlait à voix basse. La dernière recrue du Cercle semblait sous le choc. C'était le premier combat d'Owen, et Arthur savait à quel point c'était difficile. Melgan attira son petit frère à lui et Owen s'agrippa à sa chemise, le visage enfoui contre l'épaule de Melgan.

Arthur examina le carnage sanguinolent qui régnait dans la salle. Nettoyer cette hécatombe prendrait plusieurs heures, et cet endroit était condamné. Le Cercle devait partir d'ici, car rien n'empêchait les Dames Blanches de revenir avec de plus larges effectifs. La Tour Sud n'était plus un lieu sûr pour eux.

Il était temps de rentrer au bercail.

— Meredith, fit-il à voix basse, si tu as besoin d'aide, dis-moi.

— Pas pour le moment. Je peux tenir plusieurs heures à ce rythme, mais il a besoin de soins. L'un d'entre vous est-il médecin ?

— Galahad l'était, répondit Tristan, mais j'ai quelques connaissances.

— Tu sais recoudre ? s'enquit Meredith en levant brièvement les yeux.

Tristan se contenta d'acquiescer d'un signe du menton puis quitta la pièce pour récupérer le matériel nécessaire. Le restant des guerriers était déjà à l'action. Gawain récupérait ses flèches, Lance, Bors, Karo et Perceval rassemblaient les corps dans un coin de la pièce et Melgan aida Owen à se lever, probablement pour les aider. Owen gardait la tête basse, dans l'ombre. Arthur était au moins soulagé que Melgan soit là pour le réconforter.

Il laissa Meredith seule quelques instants et rejoignit Perceval qui traînait un cadavre par les pieds. Il l'allégea d'une jambe et alors qu'ils le tiraient à travers toute la pièce, il demanda mine de rien :

— Comment va Colleen ?

Perceval tourna son regard vers Meredith et s'y attarda quelques secondes avant de grogner :

— Mieux.

Lorsqu'ils eurent jeté la banshee par-dessus les autres déjà risiblement entassées, Percy ajouta :

— Beau travail de la part de Meredith.

Arthur devina combien il coûtait à Percy de prononcer ces mots, aussi eut-il la sagesse de ne pas en rajouter. Cependant, la satisfaction se lisait sur son visage. En réagissant aussi vite pour porter secours à Galahad, Meredith avait su convaincre les guerriers du camp qu'elle avait choisi de rallier. Désormais, quiconque refuserait encore de l'intégrer au Cercle s'attirerait personnellement ses foudres.

Un fracas liquide éclata non loin, bientôt suivi d'un second. Melgan et Owen venaient de jeter un saut d'eau chacun dans la pièce pour disperser le sang.

— Arrêtez ! leur cria-t-il. Ça ne vaut pas la peine.

— On ne va pas rester ici, enchérit Lance, qui était sur la même longueur d'ondes.

— Mais on ne va pas laisser ça comme ça ? fit remarquer Owen, désabusé.

— Non, répondit Lance. On va les faire brûler et on retournera à Camelot.

Cette annonce déclencha de vives réactions parmi les guerriers.

— Colleen n'est pas en état ! s'indigna Percy. Camelot est beaucoup trop loin !

— Le voyage pourrait être fatal à votre ami, ajouta Meredith, sourcils froncés.

— Est-ce qu'il n'est pas trop tôt ? insista Bors.

La question était subliminale mais claire pour tous les guerriers : certes, Meredith les avait aidés, mais était-elle pour autant entièrement fiable ?

Ce fut la goutte de trop pour Arthur. Il se dressa de toute sa hauteur.

— Que vous faut-il de plus ? tonna-t-il, hors de lui. Bon sang, que Gofannon m'achève Meredith n'est pas notre alliée ! Votre méfiance était légitime avant cette bataille, mais à présent, vous avez toutes les preuves sous les yeux !

Sa déclaration fut saluée par un silence embarrassé et Bors s'inclina.

— Tu as raison, Arthur. Mais il n'y a pas que Meredith. Colleen et Galahad sont les plus importants.

— Si Meredith peut veiller sur Galahad, ce dont je ne doute pas, et que Colleen se rétablit, il suffira de les installer dans la charrette le plus confortablement possible.

— Les intempéries pourraient avoir leur peau, l'avertit Lance.

— Ou les banshees si elles décident de revenir pour achever le travail avec des troupes dix fois plus nombreuses, rétorqua Arthur. À ce moment, aucun de nous n'y survivra.

Leur indécision rendait Arthur fou. À son sens, le doute n'était pas permis : il leur fallait prendre la route dès que possible pour se mettre en sécurité à Camelot.

— Peux-tu assurer les soins de Galahad ? demanda Lance à Meredith.

— Oui, répondit-elle sans hésiter. Si l'on me laisse tranquille durant le voyage.

Lance hocha la tête. Arthur sut qu'il avait fait son choix.

— Bien. Je crois qu'il serait sage de préparer nos affaires.

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