✧ Sept ✧
Cela faisait un bon moment que les guerriers s'étaient élancés à la poursuite d'Arthur. Ils ne l'avaient croisé ni sur le chemin ni dans les bois, et à présent, alors qu'ils s'inquiétaient énormément pour leur compagnon qui s'était irrationnellement jeté seul dans cette aventure, ils étaient coincés au beau milieu de la forêt par un sort qui les empêchait d'avancer et que, vraisemblablement, Arthur était parvenu à contourner. Karo, Lance et Bors étaient revenus bredouilles de leur inspection des alentours, et de toute évidence, Arthur était à l'intérieur de ce périmètre bien protégé, seul pour affronter les banshees.
— Par Gwydion¹, veux-tu bien t'ouvrir ! hurla Lance, qui répétait maints assauts contre le bouclier et était inlassablement repoussé.
Fou de rage, le guerrier se jeta à travers le bouclier et se crispa. Il tint tête au sortilège, contenant son envie de hurler. Dans un flash, il se revit petit garçon, entraîné vers le fond du lac, tendant la main vers la surface sans parvenir à la rejoindre. Incapable de supporter plus longtemps cette vision cauchemardesque, il quitta au plus vite la zone dans laquelle le sort était actif. Ses muscles ne se détendirent que lorsqu'il fut revenu en zone alliée ; alors, il s'effondra à genoux, le souffle court. Les hallucinations générées par ce sort de malheur était un rempart efficace ; et affronter ses propres peurs était une tâche bien difficile, même pour un guerrier de sa trempe.
— Il doit y avoir un moyen, murmura Gawain, réfléchissant à l'écart du raffut de Lance et Melgan qui s'échinaient à traverser le bouclier, avec force jurons.
— Es-tu sûr qu'il est là-dedans, Melgan ? s'enquit Tristan.
Tout comme Lance, Melgan était épuisé émotionnellement et son front luisait d'une pellicule de sueur. Il l'essuya de sa manche et cracha dans un buisson avant de se laisser tomber au sol sans délicatesse.
— Certain ! affirma-t-il. Tu aurais vu son regard, Tristan... Arthur est frappé de démence. Il est possédé par des démons contre lesquels il est impuissant !
— Il a fait une promesse à son frère, répondit Bors. Arthur n'est plus le même depuis. Nous aurions dû agir plus tôt.
Melgan jeta à Bors un regard inquisiteur. Owen et lui avaient rejoint le Cercle un an après la mort de Key, dont il avait vaguement entendu parler ; cependant, aucun guerrier n'avait jamais fait mention d'un serment entre les deux frères.
Lance vociféra dans sa barbe lorsqu'il s'inclina une fois de plus face au bouclier et revint sur ses pas. Il tituba en arrière et s'affala au sol, le regard rivé sur la limite invisible qui l'empêchait de rejoindre à Arthur. On ne trouvait pas remords plus brûlants que ceux que ressentait le guerrier en ce moment. Bors avait raison, bien sûr ; ils auraient dû surveiller Arthur de plus près, et en tant que son meilleur ami, Lance était responsable de son bien-être. Il avait bien remarqué que le comportement d'Arthur s'était fait plus agressif après le décès de son frère, mais il ne s'était jamais douté qu'il en arriverait à ce point critique.
Karo s'approcha de lui et lui saisit le bras pour l'aider à se relever.
— Arrête ça, Lance. Tu t'épuises en vain.
— Pas question, gronda Lance. C'est de ma faute si Arthur est seul face à plusieurs Dames Blanches. Nous n'aurions pas dû nous séparer, voilà où était notre erreur !
— Arthur est peut-être un peu dérangé en ce moment, mais il reste un homme expérimenté et rompu au combat. Je suis persuadé qu'il est indemne.
Alors, ponctuant la déclaration du guerrier, un cri déchirant déchira la forêt. Le son dérangea quelques oiseaux ensommeillés qui s'envolèrent à tire-d'aile. Le silence se fit dans le groupe de guerriers.
Karo et Lance échangèrent un regard inquiet. Tous les beaux mensonges du premier moururent dans sa gorge.
Arthur avait trouvé des banshees.
๑۩۞۩๑
Son glaive rougeoyait à la lueur des braises. Son éclat, terni par le sang qui le teignait, semblait ravivé par les flammes des torches qui se bousculaient pour atteindre le ciel.
— Ceridwen toute-puissante..., murmura l'une des Dames Blanches, la main plaquée sur sa bouche.
Arthur vrilla son regard empli de fureur sur celle qui avait osé prononcer ce mot. Ceridwen, en tant que déesse de la mort et puissante magicienne, comptait parmi les protectrices des banshees. Arthur ne tolérait pas que ce nom soit cité en sa présence.
— Silence ! rugit-il, et la Dame Blanche sursauta violemment.
La banshee, jeune et visiblement écœurée, détourna péniblement son regard du cadavre sanguinolent de sa consœur, étendu entre Arthur et les banshees. Les yeux vitreux de l'enchanteresse étaient écarquillés par la souffrance inouïe qui avait eu raison d'elle avant qu'elle n'en ait conscience. Arthur balaya le corps d'un regard de mépris. Il était déçu de n'avoir réussi à en supprimer qu'une, mais le cri qu'elle avait poussé en mourant avait alerté les autres. Arthur avait été obligé de passer à la seconde partie de son plan s'il voulait avoir une chance de s'en sortir.
Cette seconde étape avait été un succès, puisqu'il maintenait sans trembler son glaive sous la peau moelleuse du cou de la dénommée Meredith. Celle-ci, collée contre son torse, lui servait d'otage, et il allait en user autant que faire se peut. Il ne sentait chez la banshee ni peur ni colère, ni tristesse devant le sort de la victime d'Arthur, mais plus curieux encore, aucune velléité de subversivité.
Arthur avait de la peine à ignorer les appels de ce corps chaud blotti contre le sien. Bien qu'il soit fou – et il l'admettait sans scrupule –, un homme restait un homme, et il était sensible aux courbes douces et délicieusement tentatrices de la banshee.
Pas question toutefois de céder. Là résidait le piège ; il n'était pas assez stupide pour y tomber. D'autant plus que, pour la première fois depuis l'instauration du Cercle, ce dernier possédait un avantage indéniable sur les banshees. L'une des Dames Blanches avait trouvé la mort sous son épée, l'autre n'allait pas tarder à subir le même sort ; mais il entendait bien profiter de la situation.
Toutefois, il savait pertinemment que, telle l'hydre, deux têtes en remplaçaient toujours une... Devant cette brèche fatale de leur sécurité, les banshees ne manqueraient pas d'agrandir leurs effectifs. Arthur tenait là son unique chance de discuter.
D'exiger des réponses.
Puis d'en finir.
— J'ai quelques questions à vous poser, dit le chef du Cercle.
— Lâche-la, lui ordonna Salome d'une voix impérieuse, et nous te répondrons.
Arthur ricana.
— Passons immédiatement l'étape où vous faites semblant de vouloir m'épargner.
Ironique, se dit le guerrier, que la seule chose qui le retienne en vie à l'heure actuelle, était l'une des créatures qu'il abhorrait le plus. Car si Meredith n'avait pas fait rempart de son corps, il serait mort à l'heure actuelle.
Salome lâcha un rire sec à son tour, et une autre, plus vieille, fronça les sourcils. Salome se ressaisit et répliqua :
— Nous ne sommes pas intéressées par tes questions, guerrier.
— Pas intéressées ? gronda-t-il. Je m'en fous complètement. Soit vous répondez, soit elle crève, et je pourrai mourir en ayant tué deux des vôtres.
— Deux des nôtres que nous aurons remplacé aussitôt ! riposta une des Dames Blanches.
— Il suffit ! tonna la dernière des banshees, qui n'avait pas encore parlé.
Ses cheveux blonds, presque roux à cause des reflets du feu, ondulaient légèrement sur ses épaules. Elle riva son regard irrité sur Arthur.
— Il n'existe nul lieu où tu pourras la cacher de notre vue, déclama-t-elle sévèrement. Nous la retrouverons, et le Cercle par la même occasion. Nous vous démonterons, pièce par pièce. Alors sois prêt, guerrier. Tu as beau avoir une volonté de fer, nous sommes des dizaines de fois plus nombreuses que vous.
Arthur fronça les sourcils mais avant d'avoir eu le temps de réclamer quelques précisions, son interlocutrice ferma les yeux et la terre s'ouvrit sous ses pieds, l'engloutissant sans un bruit. Salome la suivit juste après et la dernière le fusilla d'un ultime regard meurtrier avant de s'enfuir à son tour. Ces lâches avaient osé fuir la confrontation ! Arthur tremblait presque sous l'effet de la rage.
Ça ne s'était pas exactement déroulé comme il l'avait imaginé. Brusquement envahi de colère, il repoussa Meredith loin de lui et pointa son glaive vers sa nuque. Elle tressaillit lorsque le métal entra en contact avec sa peau, et tourna à peine la tête. Ses yeux à l'éclat orangé, provoqué par les flammes qui illuminaient encore les bois à leur côté, se posèrent sur lui, irradiant de haine. Ses cheveux longs et mal coupés, qui devaient être brun clair à la lumière du jour, dansaient autour de son visage crispé. Son nez était parsemé de taches de rousseur et espièglement retroussé. Le chef du Cercle resta momentanément interdit devant ce visage ravissant. Il se sentit fondre, curieusement, faillit baisser sa garde... mais se reprit au dernier moment.
— Fais mine de jeter un sort et c'en est fini de toi, l'avertit-il. À présent, avance.
Elle eut un sourire moqueur qui l'agaça profondément et à la fois... l'excita. Arthur ne comprenait plus rien aux réactions de son corps. Comment était-il possible que ce traître lui fasse défaut ?
— Contrairement à mes congénères, je sais reconnaître une défaite, guerrier.
— Vraiment ? Qu'est-ce qui t'empêcherait de t'évaporer comme elles viennent de le faire ?
Elle leva les yeux au ciel.
— Je l'aurais fait si je l'avais pu.
— Ça ne répond pas à ma question.
Elle haussa simplement les épaules.
— À présent, c'est trop tard. Tu contrecarreras la moindre de mes tentatives et je tiens à la vie. De plus, ta présence met ma magie à mal. Tu y résistes trop bien.
Arthur n'avait pas l'intention de croire les paroles de cette vipère. Pourtant, ces mots sonnaient étrangement bien. Comme si elle avait dit la vérité... Il était trop tôt pour envisager cette éventualité. Arthur ne devait pas relâcher son attention.
— Nous verrons très vite si tu dis vrai, puisque tu saisiras la première occasion pour t'enfuir. Après tout, c'est dans votre nature.
Elle s'emmura dans un silence obstiné et Arthur esquissa un rictus. À la faveur de la nuit et la ténébreuse clarté des flammes, son visage en devenait presque démoniaque.
— Que vas-tu faire ? reprit Meredith plus sagement.
Artur n'était pas non plus assez fou pour raconter ses plans à l'une de ses ennemies jurées. Mais que s'imaginait-elle en posant cette question innocente ? Elle ne voulait pas qu'il lui donne son glaive, tant qu'elle y était ? Il ricana devant sa tentative très peu discrète.
— Je te laisse la surprise.
D'un coup leste du poignet, il la frappa à la tête avec le pommeau de son arme et elle s'affaissa comme une poupée de chiffon.
‖ Notes de l'autrice ‖
¹ Dieu celte de la magie, réputé pour être un excellent conteur.
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