✧ Neuf ✧
La peau rugueuse du cheval était trempée contre les mollets d'Arthur. Le guerrier, qui tenait les rênes d'une main ferme, s'efforçait d'ignorer les œillades de la banshee ligotée une brasse derrière lui en se focalisant sur chaque mouvements de sa monture. Qu'est-ce qu'elle a à me regarder de cette façon... Il était d'autant plus agacé qu'il s'était livré à la même inspection alors qu'elle dormait, ne se gênant pas pour l'observer, et qu'à présent c'était à son tour d'être passé au crible.
Le son de ses sabots sur la terre humide lui emplissait les oreilles, repoussant au second plan les sifflements laborieux de Meredith, qui semblait souffrir de quelque migraine. Les poils bruns de la crinière de sa monture volaient au vent, le fascinant presque assez pour qu'il ne ressente plus les frissons qui couraient dans sa nuque, là où Meredith le fixait ardemment. Il sentait le poids de ce regard accusateur, et en appréciait le message : elle le détestait, tant mieux. Arthur avait toujours su gérer la haine mieux que l'amitié - preuve en était, il avait tout foutu en l'air avec les guerriers en partant seul, hier soir. Lance lui avait passé le savon de sa vie.
Alors qu'il craignait de ne plus supporter longtemps ce manège, il finit par apercevoir depuis le sommet du monticule sillonné de sentiers, un poste de soldats établi non loin en contrebas. Une toile brunâtre étirée entre deux arbres semblaient constituer leur abri de fortune. Arthur savait que ce campement avait été instauré par le roi en prévision de l'arrivée des Germains. Presque aussitôt, il oublia l'espionnage discret de la banshee et recensa le nombre de soldats qui patientaient, armes à la hanche, en arrêtant tous les voyageurs, qu'ils soient à pied ou à cheval. Feignant l'assurance, Arthur fit forcer l'allure au cheval de la carriole, préférant mettre au plus vite les gardes royaux derrière lui. D'un coup d'œil, il vérifia que Meredith se tenait à carreaux. La jeune femme semblait s'être désintéressée de lui et murmurait quelques mots dans le vide, les yeux perdus dans le vague. Arthur se braqua et arrêta aussitôt son cheval qui hennit, ramenant sur lui l'attention de la banshee.
- Pas d'entourloupe, commanda-t-il furieusement. Reste cachée et ne t'avise pas de te relever avant que je ne te le dise.
Elle fronça les sourcils puis détourna les yeux comme une princesse offensée. Cependant, Arthur percevait la tension qui hérissait son corps.
- Ou bien quoi ? Tu me pourfendras le cœur de ta lame ?
Elle se mordit la lèvre juste après et marmonna un vague excuse, puis se coucha dans la charrette. Son attitude démontrait cependant à quel point elle voulait continuer à le provoquer. Arthur sentit son irritation grimper davantage. L'envie de donner une leçon à la banshee le tiraillait, mais il l'ignora.
Il posa la main sur le pommeau de son glaive et talonna les flancs de sa monture. Elle se remit au pas et mena le convoi jusqu'à la tente des quelques gardes, qui interrogeaient un homme à cheval devant Arthur. Les soldats, au nombre de cinq, se scindèrent en deux groupes dont l'un convergea vers le guerrier. Les deux hommes, la mine blasée et ennuyée, daignèrent à peine lever les yeux sur lui. L'un avait des cheveux blonds gras et crasseux, et l'autre un nez tordu et une tignasse brune qui mêlait autant de cheveux que de brindilles.
- D'où venez-vous ? lança l'un d'eux d'un ton sec, en dépliant une feuille où Arthur devina un visage tracé au charbon.
- Newydd Ewlyn, répondit laconiquement Arthur.
- Ah bon ? fit le second en frottant son nez déformé. Nous cherchons justement une femme qui a disparu et qui venait de là-bas. Elle vous dit quelque chose ?
Le soldat tendit à Arthur le parchemin qu'il gardait et sur lequel avait été dessiné assez précisément le visage de Meredith. Son sang ne fit qu'un tour.
Les banshees avaient provoqué tout ceci, Arthur en était certain.
- Non, répondit-il calmement. Je ne faisais qu'escale là-bas. Je n'y connais pas grand-monde.
- Je comprends, acquiesça l'homme. Si vous le permettez, nous allons vérifier ce que vous transportez dans votre charrette.
Arthur jura en son for intérieur. Il n'avait plus le choix, il fallait les prendre de court avant qu'ils ne découvrent Meredith. Une seule solution s'offrait à lui.
Il tira son glaive de l'étui qu'il portait à la hanche et le pointa sur son interlocuteur, qui recula.
- Vous n'en ferez rien, leur ordonna-t-il. De qui tenez-vous ces ordres ?
- De quelqu'un qui veut la récupérer, dit-il, et qui offre beaucoup en échange.
- Dites à votre commanditaire qu'il ne la récupérera pas.
Les deux hommes échangèrent un regard et saisirent leurs armes d'un même geste.
- On ne vous laissera pas passer. Vous feriez mieux de vous rendre, ce n'est pas vous que nous voulons.
Avec un cri de guerre, le soldat blond accourut alors par l'arrière de son cheval, son glaive en avant. Arthur n'eut pas le temps de se retourner que son cheval rua, manquant de l'éjecter de sa selle. Il n'y resta qu'en s'accrochant désespérément au pommeau. Un hurlement de douleur se fit entendre peu après un craquement d'os sinistre. Arthur sauta du dos de sa monture pour se jeter sur le soldat encore indemne. Il le tua sans aucun remords, lui tranchant la gorge d'un geste efficace, puis grimpa agilement sur sa selle et lança les deux chevaux au galop. Meredith poussa un cri aigu, surprise par ce brusque départ. Arthur esquiva de justesse le glaive de l'un des trois autres soldats qui accouraient en essayant de lui bloquer le passage, répliqua puis concentra toute son énergie sur sa fuite. En passant devant la tente, il trancha les câbles qui la maintenaient debout. La toile s'effondra lâchement sur elle-même en provoquant une certaine panique qui leur fut salutaire ; Arthur partit sans encombre.
Fulminant à l'encontre des Dames Blanches, à coup sûr à l'origine de ce traquenard, il fusilla Meredith d'un regard noir. Indignée, elle montra ses mains étroitement ficelées dans son dos.
- Je n'y suis pour rien !
À vrai dire, Arthur ne l'accusait de rien. Au contraire, cette embuscade avait même une signification positive : les banshees voulaient récupérer Meredith. Ce qui signifiait qu'Arthur ne s'était pas trompé en enlevant cette dernière plutôt qu'une autre, et qu'il possédait désormais un avantage sur les enchanteresses.
Oui, décidément, c'était une excellente nouvelle.
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Lorsqu'Arthur rejoignit Aberteifi, les chevaux étaient au pas et commençaient à s'épuiser. Arthur était descendu de selle peu avant afin de ménager l'étalon brun qu'il chevauchait depuis le matin, et gardait une main sur le manche de son glaive, prêt à dégainer au premier signe de danger. Meredith, assise dans la carriole, regardait les terres qu'ils avaient peu à peu laissées dans leur dos.
Lance, Owen, Gawain, Karo et Tristan, qui composaient l'avant-garde du convoi, étaient attroupés à l'entrée de la ville perchée sur son monticule, le pied à terre, et avaient repéré Arthur bien avant que celui-ci ne les aperçoive. Lance s'approcha de lui et Arthur s'arrêta. Il refusait que les guerriers côtoient Meredith de près, craignant qu'elle se décide à passer à l'offensive.
- Lance, l'avertit-il avec un geste du menton en direction de Meredith, qui fit volte-face en plissant les yeux.
- Au diable la banshee, grogna Lance en attrapant les rênes du cheval d'Arthur. Qu'est-il arrivé à ton cheval ? Il semble harassé ! Les gardes ?
- Les banshees, à coup sûr, gronda Arthur. Elles sont à l'origine de ce piège. Les soldats nous ont attaqués. Ils cherchaient Meredith.
- Et elles n'abandonneront pas si facilement, énonça Meredith d'une voix claire, sentencieuse. Elles feront tout ce qui est en leur pouvoir pour me récupérer. J'espère pour vous que vous avez une forteresse à disposition.
- Nous avons mieux que ça, rétorqua Lance, provocateur. Tu le découvriras par toi-même.
- Lance, recule, à présent, lâcha Arthur.
Le guerrier garda pourtant les yeux rivés sur Meredith et n'esquissa pas un mouvement de retraite. Il semblait furieux, et Arthur, stoïque, se prépara à écouter un nouveau sermon.
- Si elle voulait s'enfuir, elle l'aurait fait bien avant, assena Lance. Elle n'est pas idiote et je ne te croyais pas stupide non plus. Si elle veut nous semer, elle doit le faire avant d'atteindre notre destination.
- Donc il lui reste du temps pour s'y risquer. Peut-être prépare-t-elle son plan en ce moment même.
- Alors soyons plusieurs pour l'empêcher de le mettre à exécution ! vociféra Lance à voix basse. Tu n'es le coordinateur du Cercle, Arthur, que parce que nous l'avons décidé. Tu ne prends pas les décisions à notre place. Je resterai avec toi, que tu le veuilles ou non.
Arthur encaissa sa diatribe sans ciller, bien qu'il bouille de colère. Lance se perdait en digressions hasardeuses. Il en revenait sans cesse aux problèmes personnels d'Arthur, problèmes que le premier concerné avait déjà relégués au second plan. Sa priorité actuelle était la surveillance de Meredith. Lance n'était qu'un élément perturbateur qui ne ferait que le déconcentrer. Arthur s'en sortait très bien seul.
- Aurais-je perdu ta confiance au cours des derniers mois ? J'ai mené Meredith à bon port jusqu'ici, et la route n'est plus bien longue. Attends que nous soyons arrivés pour me faire part de toutes mes erreurs durant ce voyage.
- Il ne s'agit pas de tes erreurs, il s'agit de ton comportement !
- Ce n'est pas le plus important en ce moment. Je ne perdrai pas plus de temps à me disputer avec toi pour de pareilles broutilles. Accompagne-moi si ça te chante, mais ne t'avise pas de me traîner dans les pattes.
Sur ces rudes paroles, Arthur enfourcha la selle et balaya les autres guerriers d'un regard conquérant. Owen, intimidé, baissa les yeux.
- Reprenons la route, dit Arthur. Nous ne sommes plus très loin.
- Et les autres ? répliqua Karo.
- Hardiel peut-il s'en charger ? dit Arthur à Gawain, de telle sorte que sa question ressemble plus à un ordre.
Gawain hocha la tête.
- Considère que c'est déjà fait, répondit tranquillement le guerrier, avant de siffler son faucon.
L'animal répondit d'un cri perçant et Arthur leva la tête, sans parvenir à le voir. Dans un ciel aussi cotonneux qu'un nuage de lait, l'oiseau blanc était parfaitement invisible. Ce ne fut que lorsqu'il dépassa la ligne d'horizon qu'Arthur l'aperçut, tache blanche dans un océan d'herbe verte houleuse.
Hardiel fondit sur la troupe d'hommes. Arthur surprit le regard admiratif que Meredith portait sur l'animal, et se tendit. Chacun de ses gestes, chaque chose à laquelle elle accordait un tant soit peu d'attention était pour lui susceptible de lui servir comme arme. Qui savait si elle était capable de manipuler le faucon de Gawain ? Il aurait dû lui bander les yeux.
L'oiseau immaculé se posa agilement sur le gant dressé de Galahad, qui le caressa du pouce. Meredith détourna les yeux et croisa le regard accusateur d'Arthur. L'échange visuel, même s'il ne dura qu'une fraction de seconde, était tellement électrique que le chef du Cercle vit distinctement la Dame Blanche tressaillir. Elle se crispa en fixant ses pieds, et Arthur réalisa que sa main s'était tendue sur la garde de son glaive. Il le lâcha comme si elle l'avait brûlée, en s'admonestant intérieurement.
- Lance, appela-t-il abruptement.
- Quand tu veux, répondit le guerrier d'un ton remarquablement mesuré.
Au même moment, Gawain glissait dans un minuscule tube attaché à la patte de Hardiel un rouleau miniaturisé. Il brandit le poing et l'oiseau battit des ailes, profitant de son élan pour fuser vers les nuages. Il mit cap à l'est, d'où venaient les guerriers, et où se trouvait encore l'arrière-garde.
- Bien. À présent, avançons. Il nous reste du chemin à parcourir avant d'atteindre notre destination.
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