✧ Dix-neuf ✧

Arthur fit face à Meredith, dénué de toute appréhension. Il devait lui faire comprendre qu'il n'était plus question de se détester dès à présent. L'heure était à la paix et la réconciliation, et s'ils parvenaient à s'entendre, ils pourraient accomplir de grandes choses ensemble, il en était certain. La puissance du Cercle combinée à la magie de Meredith ferait un imparable duo.

Il la regardait d'un œil si différent à présent ! Meredith avait perdu ce côté manipulateur qu'il lui avait attribuée pour la simple raison qu'elle était une banshee, mais elle lui avait donné tort : toutes les enchanteresses n'avaient pas eu le choix. Elles avaient rejoint le combat de force. Toutes ces vies gâchées sans but firent jaillir la bile sur sa langue. Les Dames Blanches allaient payer !

Meredith inspira calmement et son souffle résonna au creux du silence qui s'était installé dans les caves. Son regard intrépide se coula doucement dans celui d'Arthur. Il sut qu'elle ne lui ferait rien, il en était persuadé ; Meredith n'était pas stupide. Elle saurait tirer parti de cette situation. Et le meilleur parti pour elle était d'accepter une alliance.

Depuis le début, elle était restée dans ces prisons parce que les Dames Blanches ne pouvaient pas l'y atteindre. Le Cercle pouvait continuer à la protéger au mieux. Quant à Meredith, comme Colleen, elle ferait un atout formidable, doublée d'une solide combattante. Décidément, ils avaient tous deux à gagner à une union stratégique.

Lorsqu'elle ferma les yeux pour se concentrer, Arthur laissa son regard errer sur les traits ronds de son visage délicat. Sans la couche de crasse qui la recouvrait autrefois, l'enchanteresse dévoilait une surprenante beauté juvénile. Arthur se prit à se demander comment elle le trouvait. Aux dernières nouvelles, ils se haïssaient jusqu'à la mort, mais tout venait d'être chamboulé. Arthur réalisa alors que depuis le début, Meredith avait attiré son regard. Alors qu'ils se dirigeaient vers Aberteifi, il n'avait cessé de l'espionner.

Son regard n'était pas le seul à être attiré, admit-il en son for intérieur.

- Non ! ragea-t-elle soudain. Je n'arrive toujours pas à t'atteindre, Arthur ! La magie ne fonctionne pas en ta présence.

Elle leva les yeux et se pétrifia. Puis son expression se modifia radicalement. Sa bouche s'entrouvrit légèrement, ses yeux s'agrandirent et son nez frémit. Elle était magnifique.

Arthur s'approcha d'elle, à un rythme magnétique. Envoûtée, Meredith ne le lâcha pas de son regard de braise. Bon sang, elle était vraiment à tomber en cet instant.

- J'ai très envie de t'embrasser, murmura-t-il tout près de son visage, interrogateur.

Si elle disait non... Elle le tuerait si elle refusait. Mais Meredith était prise au piège, ensorcelée, statufiée. Ses lèvres s'ouvrirent plus largement, et Arthur sut, sans savoir comment, qu'elle ne résisterait pas, que peut-être, elle le voulait autant que lui.

- Oui, souffla-t-elle faiblement. Moi aussi.

Elle s'avança à son tour et posa sa bouche sur la sienne. Arthur sentit son sang prendre feu et l'attira à lui. Meredith passa ses bras autour de sa nuque puis enfonça sa langue dans sa bouche de manière rude et incroyablement sexy. Le baiser de longue haleine les enflamma tous deux, tant et si bien qu'il n'y eut plus qu'un geste pour que leurs mains se caressent, plongent dans la chevelure de l'autre, explorent ce territoire inconnu. Trop vite cependant, Meredith brisa le charme et prit une inspiration goulue, à bout de souffle. Elle avait la voix chancelante lorsqu'elle reprit la parole :

- Moi aussi, j'avais une question pour toi, mais je ne sais pas comment tu vas réagir.

- Au point où on en est..., grommela-t-il.

Elle leva les yeux et admira longuement ce visage d'une beauté purement masculine. Elle avait les joues roses et les lèvres brillantes. Arthur y passa le pouce, émerveillé d'avoir partagé un tel moment, une telle émotion avec celle qu'il y a quelques heures à peine, il considérait comme la pire des criminelles.

- Lorsque nous sommes arrivés à la Tour Sud, nous avons rencontré un vieil homme, chuchota-t-elle. Qui était-ce ?

Arthur fit la moue.

- Il s'appelle Merlin. Le Cercle ne serait pas debout s'il n'avait pas été là.

La vérité était bien plus complexe, mais il n'était pas d'humeur à s'engager dans une longue explication. Meredith le dévisagea un long moment.

- C'est tout ?

Il soupira.

- Écoute, disons simplement que quand j'étais jeune, il m'a beaucoup aidé.

Lorsqu'il était jeune, roi et étranger à tout ce qui touchait à la politique, notamment. Meredith hocha la tête.

- D'accord.

- Avons-nous cessé de nous détester ? chuchota Arthur.

- Jusqu'à la prochaine fois où tu te montreras arrogant et exaspérant, oui.

- Ça, c'est réciproque, trésor.

๑۩۞۩๑

En remontant des cachots avec Meredith, Arthur hésita brièvement. Après tout ce qu'il venait d'apprendre, le Cercle devrait se montrer prudent lorsque les Dames Blanches arriveraient, ce qui ne tarderait pas. Si elles voulaient effectivement Meredith, elles risqueraient de ne pas marchander bien longtemps. Il s'arrêta au milieu du rez-de-chaussée, parmi les tables, et attrapa Meredith par l'épaule. Elle releva les yeux, interrogatrice, et Arthur constata qu'elle se crispait.

- Je dois aller trouver Lance pour lui expliquer ce que tu m'as dit, dit-il. Est-ce que tu veux venir témoigner ?

Meredith se pinça les lèvres.

- Est-ce que ce serait utile ?

- Peut-être pas dans un premier temps, admit Arthur. Lance risque de se braquer en ta présence, comme tu viens de le faire. Meredith, ajouta-t-il un ton plus bas. Tu sais que je ne te ferai rien, n'est-ce pas ?

Elle hocha vaguement la tête.

- Ce n'est qu'un réflexe. N'y fais pas attention. Je demanderai à Gawain de me montrer le bâtiment pendant que tu seras avec Lance. Où puis-je le trouver ?

- Peut-être dans sa chambre, au cinquième, mais tu devrais probablement vérifier l'extérieur en premier. Ça ira ?

- Bien sûr. Où est-ce que l'on se rejoint ?

- Ici. Si tu ne trouves pas Gawain, je serai au premier, à droite.

Meredith signifia son accord d'un signe du menton, puis ils se séparèrent. Arthur prit la direction de l'escalier et commença à gravir les marches en réfléchissant à la manière d'introduire l'épineux sujet « Meredith » pour que Lance ne le remette pas en doute. Il serait probablement difficile de le convaincre, notamment parce qu'il n'avait confiance ni en Meredith, ni en Arthur, mais ce dernier escomptait bien essayer. S'il parvenait à lui faire accepter l'histoire de la banshee, tout serait bien plus facile pour le Cercle.

Il réalisa que Meredith n'avait pas du tout parlé du Cercle. Il ignorait même si elle voudrait rejoindre ses rangs. Mais pourquoi refuserait-elle ?

En arrivant au premier, il croisa précisément Lance qui sortait de la salle de réunion avec Karo et Galahad.

- Hé, fit ce dernier. Tout va bien, Arthur ?

Il ne lui répondit même pas et riva son regard à celui de Lance.

- Il faut que je te parle, dit-il gravement. C'est urgent.

Lance haussa un sourcil.

- Urgent ? Tu ne préfères pas organiser une Table Ronde ?

Arthur secoua la tête.

- En privé, s'il-te-plaît, lâcha-t-il d'une voix signifiant qu'il ne dirait rien de plus tant qu'ils ne seraient pas seuls.

Galahad intervint :

- Mais si c'est urgent, nous avons...

- Gal, l'interrompit Arthur. Il n'est pas question de vous cacher quoi que ce soit. Simplement, j'ai besoin de tâter le terrain et je n'ai pas envie que vous provoquiez une émeute, parce que c'est ce qui va se passer. Si les Dames Blanches arrivent, cachez Meredith. C'est tout ce que je vous demande. Nous vous révélerons tout après. Lance ?

- Viens, répondit Lance en faisant demi-tour pour pénétrer dans la salle de réunion.

Arthur lui emboîta le pas et entendit, avant de fermer la porte, Galahad répéter :

- Cacher Meredith ?

Sitôt qu'ils se furent retrouvés au face à face, Lance s'assit sur la table rectangulaire.

- Bon, explique-moi.

- Je viens d'avoir une sacrée discussion avec Meredith, commença Arthur. Elle n'est pas du côté des banshees. Depuis le début, elle luttait en catimini avec une autre de ses amies afin d'épargner le plus de gens possible.

Contrairement à ce qu'il craignait, Lance ne s'énerva pas. Il ne lui reprocha pas de placer une confiance aveugle en Meredith et n'essaya même pas de démonter ces faits pour en trouver la faiblesse et prouver leur fausseté. Non, il resta serein et se contenta d'un simple froncement de sourcils.

- Par Lug. Tu en es sûr ?

- Oui, affirma-t-il. Absolument certain. Meredith est de notre côté, Lance. Les Dames Blanches l'ont pincée. La nuit où j'ai enlevé Meredith, je les ai entendues parler de punition. Sa punition.

Lance grimaça et lâcha un grognement agacé.

- Voilà une chose à ajouter à la liste de tout ce que tu ne me dis jamais.

- Je sais, dit Arthur. Si tu veux être en colère, tu as toutes les raisons. Mais ce que j'essaie de te dire, c'est que les Dames Blanches ne doivent en aucun cas récupérer Meredith. Elles la tueront sans état d'âme alors qu'elle ferait un atout formidable. Pense à tous les progrès du Cercle depuis qu'il compte Colleen ! Maintenant, imagine tout ce que nous serions capable de faire si nous comptions une banshee parmi nos alliés. Meredith a fait tout ce qui était en son pouvoir pour contrer les agissements des banshees. La laisser retomber entre les mains des Dames Blanches n'est pas envisageable.

- Tu parles trop vite, Arthur. Laisse-moi le temps de réfléchir !

- Nous n'avons plus beaucoup de temps. Les Dames Blanches sont en route. Elles ne tarderont pas, et il faut mettre Meredith en sûreté.

Lance secoua la tête et se passa une main sur son menton couvert d'un fin duvet argenté. Puis il planta ses yeux bruns dans ceux de son compagnon. Arthur n'aimait pas du tout l'expression de pure satisfaction qu'il lisait sur son visage.

- La mettre en sûreté, tu dis ? Non, je ne pense pas.

- Tu as une idée derrière la tête ? dit Arthur, méfiant.

- Aucun d'entre nous n'a confiance en Meredith, Arthur.

- Non, répliqua Arthur, aucun d'entre vous n'a confiance en moi. J'aurais dû m'en douter.

Lance ne nia pas. Il se leva et fit quelques pas avant de se poster devant une autre table, plus petite, où quelques cartes avaient été clouées.

- Si les Dames Blanches sont effectivement en route, et si Meredith est aussi fiable que tu le prétends, elle nous le prouvera, dit-il. Elle sera avec nous et les Dames Blanches. Si cela dégénère, nous verrons pour quel camp elle combattra.

- Si elle rejoint le nôtre, vous ne douterez plus ni d'elle ni de moi ? ajouta Arthur avec un ton de défi.

Lance releva calmement les yeux et détruisit l'espoir qui venait de naître dans les prunelles d'Arthur :

- Ce n'est pas ce que j'ai dit. Toutefois, disons que vous aurez progressé dans le bon sens.

On aurait pu entendre Arthur grincer des dents depuis le chemin de ronde.

- C'est sans fin ! s'emporta-t-il. Que faut-il que je fasse de plus ? J'ai accepté ma destitution, j'ai supporté toutes vos critiques mais ça, c'est de l'entêtement injuste. Je fais tout ce que je peux pour nous faciliter la vie et aider le Cercle, bon sang !

- Hé ! rétorqua Lance. Ne nous rends pas responsables de ce qui t'arrive, Arthur. Nous avons tous essayé de te prévenir et tu as persisté à la jouer solo. Tes problèmes ne vont pas se résoudre en un claquement de doigt et tu n'as jamais voulu de notre aide.

- Je vais mieux, affirma Arthur avec une pointe de désespoir dans la voix. Je te promets que je suis sur la bonne voie, Lance. J'arrête de faire l'idiot, à présent.

Il aimerait tellement qu'il le croie. Lance sembla comprendre qu'en cet instant, Arthur n'avait non plus besoin de se faire remonter les bretelles, mais bien d'être encouragé et rassuré. Il esquissa un léger sourire doux-amer.

- Je suis ravi de l'entendre. Tu veux en parler ?

Arthur soupira. Bien, il n'imaginait pas que cette conversation sérieuse prendrait un tel revirement. Il était devenu le centre de l'attention, à présent, et cela l'embarrassait quelque peu, surtout alors que son ami l'incitait à parler de ses moments de faiblesse. Arthur avait une dignité à protéger, mais Lance avait le droit de savoir. Il se battait pour lui depuis si longtemps qu'Arthur n'aurait pas assez d'une vie pour l'en remercier.

- Quand Key est parti, tout a changé. Tu ne sais pas ce que c'est de perdre son seul et unique frère. Key est mort pour me protéger alors que ça aurait dû être l'inverse.

- Arthur, intervint Lance. Tu ne peux pas t'en vouloir pour ça. Tu ne peux pas déshonorer le sacrifice de Key. Il a agi en connaissance de cause.

- En connaissance de cause ? Il n'avait que vingt ans et moi, je me suis fait bêtement avoir ! Cela n'aurait jamais dû arriver !

Lance planta ses mains sur les épaules de son ami.

- Tu n'es pas infaillible, assena-t-il.

- Je sais, répondit Arthur. Mais c'était mon erreur. Elle n'aurait pas dû impacter Key.

Un long silence s'installa. Arthur savait que le poids de ses propres fautes le suivrait longtemps encore. Il n'était guère évident de se débarrasser d'une telle culpabilité, mais c'était en corrigeant ses erreurs qu'il pourrait y arriver. Bien sûr, Key ne reviendrait jamais, et Arthur lui avait fait serment de continuer à libérer Cymru des banshees.

Cependant, s'il existait d'autres banshees comme Meredith, qui avaient été intégrées de force et répugnaient à participer aux massacres de masse, il devait y avoir une autre façon de faire que de les tuer sans distinction.

- Toutes les banshees ne sont pas ce qu'elles prétendent être, dit-il gravement. Elles ne sont pas un clan uni à la vie à la mort. Les Dames Blanches règnent par la terreur.

- Meredith est l'une d'entre elles, lui rappela Lance.

- Mais depuis trop peu de temps que pour s'être habituées à elles ou pour avoir acquis la même aura d'autorité.

Arthur fit quelques pas, plongé en pleine réflexion. Rien ne pourrait plus le convaincre qu'il ne pourrait faire de Meredith une précieuse alliée. Il fallait qu'il trouve un moyen pour que Lance le croie, lui et tous les autres guerriers du Cercle. Il n'arriverait à rien sans leur soutien.

- Si tu veux être assuré qu'elle dit la vérité, dit-il, alors il faut trouver Ellain, une autre banshee. Selon Meredith, elles s'étaient alliées pour faire échouer en secret les massacres des villages. Alors qu'elles n'étaient que des gamines de dix ans, les banshees les ont forcées à assister à l'une de ces hécatombes. Elles ont dû regarder ce cimetière alors qu'elles n'étaient que des enfants, Lance. Crois-moi, il est difficile de simuler toute l'horreur qui a paru sur son visage.

- Arthur, dit calmement Lance. Je ne comprends pas pourquoi tu t'obstines à vouloir tenir Meredith écartée des Dames Blanches, mais c'est le meilleur moyen de vérifier sa loyauté. Si cette Ellain existe bel et bien, il nous faudrait des mois pour obtenir sa localisation, et tu sais combien les banshees aiment se déplacer. Si nous présentons Meredith aux Dames Blanches, nous pourrons voir leurs réactions sans devoir faire le moindre effort. Et nous serons dix contre six banshees.

- Six ? rétorqua Arthur. Qui te dit qu'elles ne seront que six ? De plus, Karo est encore affecté par le combat d'hier et Owen n'est certainement pas prêt pour ce genre d'affrontement, sans parler de Galahad. Meredith a réussi à elle seule à mettre Colleen et Karo hors d'état de nuire, alors six banshees dans son genre ?

Lance haussa les sourcils.

- C'est toi qui avais voulu cette rencontre.

- Je sais, et aujourd'hui j'essaie de te faire comprendre qu'il s'agissait d'une erreur et que nous devons l'annuler tant qu'il est encore temps !

Lance l'observa longuement, hésitant sur la décision qu'il convenait de prendre. Arthur bouillait dans l'attente de son verdict. Finalement, Lance déclara :

- Je ne prendrai pas cette décision seul. Réunissons un conseil-éclair et discutons-en. Cette fois, je refuse que Meredith participe.

Arthur tombait des nues. Mais pourquoi ne pas organiser un bal masqué tant qu'à faire ! Bon sang, les banshees n'étaient probablement qu'à quelques lieues de la Tour Sud ! Lance avait-il perdu la tête ?

- La discussion que tu proposes va probablement devenir un débat sans fin et nous n'avons pas le temps pour ça, Lance ! Tu veux un conseil ? C'est là qu'un coordinateur doit agir. Rassemblons les guerriers, d'accord, expliquons-leur rapidement les faits puis faisons un vote à main levée. Simple, rapide, efficace.

Lance se caressa le menton, ennuyé.

- D'accord, nous n'avons qu'à procéder de cette façon. Avant toute chose, je voudrais simplement te poser une question. Pourquoi portes-tu une confiance aveugle en Meredith à présent ? Comment a-t-elle réussi à te convaincre ?

- Elle m'a ouvert les yeux, répondit Arthur. Sur les banshees et sur moi-même. S'il reste une partie de toi qui me croit encore, alors il faut qu'elle ait foi en moi, maintenant.

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