✧ Dix ✧
Meredith s'ennuyait profondément. Ses poignets, mis à vif par les cordes qui lacéraient sa peau, l'élançaient au moindre mouvement des bras, elle avait soif et surtout, elle était affamée. Arthur ne lui donnait à boire que par intervalles réguliers, mais trop espacés à son goût, et aucun des deux guerriers qui l'encadraient ne semblait enclin à discuter. Meredith aurait bien voulu savoir où ils se dirigeaient, mais craignait de subir des représailles si elle se montrait un peu trop curieuse.
Le soir tombait lentement et le ciel se dégageait lorsque la banshee aperçut une immense tour se dresser au loin. Le donjon était le premier bâtiment qu'ils croisaient depuis longtemps, et cela faisait plus de temps encore qu'ils n'avaient plus rencontré âme qui vive. Où que le Cercle l'emmène, c'était en tout cas bien isolé du monde. Quant à cette tour, elle se présentait comme tout sauf accueillante. Meredith grimaça et ses lèvres craquelées la tiraillèrent. Elle se retint de lancer un regard noir à Arthur pour le mauvais traitement dont elle faisait l'objet, mais elle n'avait pas la force de tourner la tête.
— Voilà quelqu'un, avertit subitement Lance.
Meredith se redressa imperceptiblement et tendit la nuque pour apercevoir l'inconnu. Il se situait en amont du chemin. Il s'agissait d'un homme seul, vraisemblablement âgé au vu de sa barbe blanche, chevauchant un cheval à la robe isabelle.
— C'est..., commença Lance, stupéfait.
— Surveille-la, je vais voir ce qu'il veut, le coupa vivement Arthur.
— Et pourquoi pas le contraire ? Je croyais que je ne pouvais pas rester auprès d'elle ?
Arthur lui jeta un regard cinglant. Cependant, bien que d'humeur noire, il n'était pas dépourvu de bon sens. Et même s'il s'était mis à dos les guerriers, il n'aurait pas hésité à remettre sa vie entre les mains de n'importe lequel d'entre eux, a fortiori de Lance. Il portait en eux une confiance totale.
— Très bien, vas-y.
Le guerrier talonna sa monture sans demander son reste. Meredith suivit son trajet du regard, jusqu'à ce qu'elle croise accidentellement celui d'Arthur, empli de rage.
— Sais-tu qui est cet homme ?
L'enchanteresse frissonna. Au ton d'Arthur, elle préférait ne pas connaître le barbu – heureusement, c'était bel et bien le cas.
— Non.
La réponse déplut pourtant à Arthur. Il dégaina vivement son glaive et le pointa sur sa gorge. Meredith blêmit, persuadée qu'elle avait mal répondu et que sa dernière heure était venue.
— Sais-tu qui est cet homme ? répéta-t-il, glacial.
Meredith pouvait compter sur les doigts de la main les hommes qui l'avaient jamais terrifiée ; Arthur venait d'en prendre un. Il semblait bien décidé à lui extorquer par la force un aveu dont elle ignorait le sens. Elle n'avait jamais vu le vieil homme auparavant, et n'avait pas l'intention de mentir à un soldat de la trempe d'Arthur. Elle secoua fébrilement la tête.
— Non, croassa-t-elle, avant de se racler la gorge, embarrassée et paniquée.
— Tu y as tout intérêt, assena-t-il froidement en rangeant sa lame.
Cette promesse mortelle s'insinua comme un caillou d'une tonne dans les tripes de la banshee. L'estomac barbouillé, Meredith garda les yeux baissés sans oser les relever. Elle était morte de peur. Elle venait de comprendre que même si, pour l'instant, elle était utile à Arthur, elle ne pourrait pas jouer cette carte à tout bout de champ. Si elle en venait à commettre une erreur, elle serait éliminée sans hésitation. Arthur, bien que solitaire et irascible, ferait toujours passer ses frères d'armes avant la réussite d'une mission.
Donc la survie de Meredith ne dépendait que de son bon comportement. Elle était avertie.
Désireuse de se faire oublier, la banshee s'intéressa de très près aux lattes de la charrette et fit rouler son épaule ankylosée. Rapidement, cependant, un bruit effréné de sabots battant la terre se fit entendre et elle releva les yeux. Lance revenait et de l'autre côté, le mystérieux inconnu s'éloignait. Meredith l'observa jusqu'à ce qu'il disparaisse. Qui pouvait être cet individu dont Arthur venait de protéger l'identité ? Était-ce un membre secret du Cercle ? Elle n'avait jamais entendu parler d'un vieillard dans ses rangs...
Arthur et Lance poursuivirent leur route en direction du donjon. Une fois arrivés au sommet du monticule, Meredith put constater de ses propres yeux que l'immense tour de pierre noire était dotée d'un étage ouvert aux quatre vents. Elle avait déjà entendu parler des trois tours de garde, au sud, au nord et à l'est, mais n'en avait jamais vu une. Celle-ci était particulièrement impressionnante. Au-dessus de la porte avait été sculpté un magnifique triskelion entouré de champs, faisant probablement référence à toute cette étendue de terre plane qu'ils venaient de traverser. Cet endroit était un lieu sacré.
Ils n'échangeaient pas un mot, mais la banshee devinait que l'esprit d'Arthur était noyé sous les questions concernant le vieil homme. La présence de l'inconnu l'avait déstabilisé, ses muscles étaient tendus, sa nuque raide. Il s'agissait de signes que Meredith, forte d'une paranoïa aiguë, avait appris à repérer.
Enfin, ils pénétrèrent dans la cour du domaine. Lance descendit rapidement de cheval et Meredith l'aperçut porter la main à sa ceinture comme il s'approchait de la porte du donjon. Vu de si près, la tour était titanesque, une base d'environ trente coudées de longueur sur au moins cent coudées de hauteur. Meredith pria intérieurement pour ne pas être logée au dernier étage.
Non pas par vertige, mais il était difficile de s'enfuir lorsque la terre était si loin, bien qu'elle n'ait de toute façon pas l'intention de se risquer à une évasion dans l'immédiat.
Arthur descendit de selle à son tour et sauta dans la charrette, la surplombant. Meredith, comprenant qu'il était temps de sortir de son carrosse, se leva péniblement. Ses jambes peinèrent à la soutenir.
Arthur attrapa la corde qui liait ses mains et l'aida à ne pas s'effondrer. Se savoir aussi proche, physiquement, du guerrier, crispa Meredith qui contint un mouvement pour dégager ses mains de sa prise. Elle brûlait d'envie de plonger la main dans ses cheveux blonds étincelants. Qu'est-ce qu'il lui arrivait ? Mince, ça n'allait pas du tout... Elle devait absolument tenir ses distances ! Secouant la tête pour se concentrer sur autre chose que le corps si appétissant de son geôlier, elle descendit prudemment de la charrette. Docilement, elle se laissa mener vers le donjon, sans manquer un détail de l'architecture des lieux ou de la nature environnante.
Était-ce donc cet endroit, le quartier général du Cercle ? L'hypothèse était tout à fait plausible. Le bâtiment était isolé, bien que voyant, et d'aspect repoussant. Aucun voyageur n'aurait le cran de venir frapper à la porte du donjon, et de toute façon, Meredith n'en avait pas croisé sur le chemin. Elle se mit à regretter sincèrement de ne pas pouvoir en avertir les Dames Blanches. Leur victoire aurait été écrasante si elles avaient été en possession d'une telle information plus tôt !
Toujours suivie du le chef du Cercle, Meredith s'engagea à l'intérieur, précédée de quelques pas par Lance, en avisant le verrou massif encore accroché à la poignée, bien qu'ouvert. Meredith supposa que la clé lui avait été remise par le vieux barbu croisé plus tôt, qui devait être le propriétaire du domaine. Malheureusement, cela ne lui apportait pas plus d'indications quant à son identité.
Le rez-de-chaussée était sobre et froid, et tout était couvert d'une épaisse couche de poussières. Propriétaire ou pas, le vieux ne venait pas souvent ici. Meredith éternua, bien vite imitée par Arthur. Lance, lui, ne semblait pas indisposé.
Deux escaliers s'offrirent à eux, l'un qui montait, l'autre descendait. Arthur la poussa sans hésitation vers le sous-sol et Meredith posa précautionneusement le pied sur les marches glissantes. En bas, le noir était total. Elle pourrait bien tenter d'échapper au guerrier... mais Lance était toujours au rez-de-chaussée.
Arthur se repérait sans difficulté. Il devait être très familier des lieux, mais Meredith ne pouvait croire que l'édifice était le lieu de rassemblement du Cercle. Elle ne pouvait accepter une telle bêtise de la part des guerriers. Cela faisait des années que les banshees tentaient de mettre le doigt sur leur terrier, en vain ; Arthur était bien trop méfiant que pour l'emmener droit dans sa cachette.
Arthur la poussa brutalement dans le dos. Meredith cria, fit quelques pas, glissa et tomba douloureusement sur son coccyx. Elle gémit en se recroquevillant, puis se tut lorsque le grincement sinistre d'une porte en fer se fit entendre.
Une prison. Évidemment.
— Bienvenue chez toi, lui dit Arthur d'un ton égal.
Il fit claquer deux pierres l'un contre l'autre et au bout de quelques tentatives, une faible étincelle vint embraser la torche qu'Arthur avait coincée entre ses genoux. Il rangea son silex et s'empara de la torche. Meredith put enfin apercevoir d'épais barreaux en fer la séparant de lui.
— Combien de temps va durer ce manège ? grinça-t-elle en se relevant très doucement.
— Le temps qu'il faudra. À partir de maintenant, je serai ton seul et unique visiteur. N'hésite pas à me parler si tu as des choses à dire. Je te laisse découvrir seule.
Sans un mot supplémentaire, il tourna les talons et sortit.
Meredith marmonna un juron bien senti à l'adresse de cette enflure et tendit les bras en avant jusqu'à rencontrer la surface froide et lisse du métal. Elle empoigna la barre et tira de toutes ses forces, cherchant une faiblesse.
Excédée, elle s'assit et se glissa jusqu'à rencontrer un mur en pierre. Ses yeux papillonnèrent pour essayer de distinguer quelque chose dans ce noir aveuglant. Elle finit par les fermer et se concentra, ralentissant sa respiration.
Un faible souffle traversait ces prisons, chargé d'humidité. L'eau pourrait lui être utile, mais pas en ces infimes quantités. Et la couche de pierre la séparant de la terre était beaucoup trop épaisse pour qu'elle trouve une échappatoire de ce côté.
D'un autre côté, elle était partie pour moisir dans ce trou un long moment... peut-être fallait-il, au contraire, commencer dès à présent à emmagasiner tout ce qu'elle pourrait contenir.
Un élan de désespoir l'envahit soudain. L'endroit avait été scrupuleusement sélectionné pour que ses pouvoirs en pâtissent. Meredith était isolée de tout ici, même de la lumière du jour... Arthur étant désormais le seul guerrier qu'elle pourrait voir, les jours, voire semaines à venir s'avéreraient particulièrement pénibles.
Un éclat de voix attira soudain son attention. Aucun doute, c'était Arthur et Lance. Meredith tendit l'oreille, et même si elle ne comprenait pas ce qu'ils disaient, au ton de leur voix, elle remarqua qu'il y avait de l'orage dans l'air.
Tiens donc. Y aurait-il des tensions au sein du Cercle ?
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