[Taehyung] Curiosité
Un homme et une femme, deux hommes, deux femmes, deux personnes qui s'aiment, une femme et un sorcier, un homme et une sorcière, c'est pareil au final ? Pourquoi faire une différence dans l'espèce alors que le genre est un paramètre indifférent pour nous, au contraire d'une part la société humaine ? Nous portons une sorte de fierté absurde, un complexe qui nous pousse à préserver nos qualités, à nous surestimer au-dessus des humains dont les valeurs sont parfois plus louables que les nôtres.
Même le terme d'espèce a ses propres limites. Pourquoi marquer une si forte distinction entre nos deux mondes ? Ne peut-on parler de confrères, plus simplement et largement ?
À ce que je sache, la présence de magie n'est que l'unique caractéristique nous distinguant, alors est-ce bien normal de parler de race ou d'espèce ? Nous sommes semblables, à l'instar d'une comparaison avec les singes, la différence est minime, futile.
D'ailleurs, je n'ai jamais compris cette haine que nous entretenions pour l'amour avec les humains, ni même nos rapports distanciés avec eux au sens plus global. Namjoon m'a toujours dit que j'avais un avis trop naïf sur la question, que je ne savais pas de quoi je parlais.
Mais qu'est-ce qu'il en sait de plus que moi ? Je suis sûr qu'il n'a jamais parlé à un humain de sa vie, il n'en ressent même pas l'envie !
Mais alors quoi ? Qu'est-ce qui justifie ce clivage entre nos cousins humains ? La fierté, la peur d'être exterminé, sans nul doute. Et dans ces cas-là, on prévient la chose de la pire des façons qui soient : en infligeant ce qu'on craint aux plus réticents.
C'est vrai, l'Histoire de la magie est traversée par des périodes sombres, sanglantes et conflictuelles. Le Moyen-Âge n'est bien sûr qu'un exemple des plus flagrants de nos souffrances passées, un point de repère qui a servit de justification pour couper tout contact entre nous. On ne vit plus ensembles, désormais, on survit les uns contre les autres.
Pourtant, quand je me souviens de mes parents, cette histoire perd tout son sens. Apprendre à connaître, pouvoir comprendre, c'est la seule chose qu'on devrait faire avant toute décision. La capacité à ressentir, à souffrir et aimer est la même chez tout le monde : sorcier, humain, animal, tout a un instinct et des peurs face à la vie et la douleur qu'elle génère.
Ma mère vivait séparément de chez nous, on lui rendait visite tous les week-ends dans la proche banlieue. On pensait être assez bien protégés avec la barrière qu'avait mise mon père autour de la maison. On pensait qu'elle suffirait à éloigner la haine et la peur. Mais malgré tous nos sacrifices, malgré l'accord fragile qu'on s'accordait, notre famille s'est écroulée. La faute aux humains ? La faute aux sorciers ? Probablement aux deux, même si je laisserais toujours ma haine se porter sur les sorciers commanditaires.
Si nous n'étions pas en perpétuel état de défense, peut-être qu'on aurait pu éviter cette fin tragique. Et ces idées, j'ai l'impression d'être le seul à les avoir, à vouloir les manifester. Après tout, même Namjoon s'est détourné de moi : il a toujours tout ignoré.
Quand mes parents sont morts, j'ai sombré dans la détresse, me sentant abandonné des miens et du reste du monde en guerre autour de moi. J'aurais pu m'en prendre à ma vie, mettre un terme à mes souffrances puisque de toutes façons, on ne savait que faire de moi.
C'était un fait, le Conseil ne m'appréciait pas. Ils avaient pris la peine de m'accorder la bienveillance pour le seul « bénéfice du doute » quant aux pensées incongrues que j'aurais pu hériter de mes parents. Cependant, j'ai toujours su que ce n'était qu'une façade de leur part.
Namjoon a apprit ce que j'étais, ce qu'avaient fait mes parents, mais il n'a pas voulu comprendre. Comme tous les autres, Namjoon m'a fuit, aussi simplement que cela. Pourtant, je ne suis pas le seul coupable de son rejet à mon égard : je sais aussi que Jin y est pour quelque chose... Malgré tout, je pensais m'en tirer avec un minimum d'appui, en ayant quelqu'un à qui me confier... Mes espoirs furent trop hauts.
L'année suivante n'a été qu'enfermement, repli sur moi-même. J'avais peur du monde extérieur, pour la première fois de ma vie, j'appréhendais de me lier avec les autres. Mais ma propre solitude était de loin la plus terrifiante : celle qui, j'en étais sûr, me tuerait à l'effort.
Alors je suis sorti, j'ai commencé à marcher dans la ville, à écouter les gens, à les observer. Certains étaient humbles, heureux; d'autres frauduleux ou égoïstes, et pourtant, on ne leur interdisait pas de vivre ensemble.
J'ai ouvert encore plus les yeux, pétillant d'une curiosité accrue pour ce monde distinct et si transparent. À travers eux, je voyais l'enfant que je rêvais d'être : libre et capable d'avoir une infinité d'amis, si différents soient-ils. Je me disais que mes témoignages pourraient y changer quelque chose, j'y croyais vraiment.
Alors, je passais mes journées au parc, prenant mon cahier de notes avec moi et y relatant tout ce que je trouvais fabuleux. Plus je le faisais, plus je désirais sortir de ma solitude : quitter l'ombre qui planait sur moi pour laisser ma joie se dévoiler.
Un jour, j'avais été plus loin en restant jusqu'au début du matin. Les gens se faisaient plus rares, ils étaient quelque peu différents de ceux que je croisais de jour, mais ils me ressemblaient bien plus. Des poches sous les yeux, un regard empreint de sensibilité, un de ceux qui a vu beaucoup de choses, qui n'a pas la force de soutenir le soleil. Alors je suis revenu, j'ai pris l'habitude d'observer cette face cachée qui partageait une part de mon quotidien, cette part vulnérable qui montre bien qu'on se ressemble.
Puis ce jour-là, je la rencontrais. C'était une nuit de printemps banale, quoiqu'assez chaude pour la saison. Je m'apprêtais à rentrer chez moi quand un coup de vent balaya mes cheveux. Je clignais légèrement des yeux pour apercevoir un fin tissu scintiller dans l'air, avant d'atterrir à quelques pas de moi. Une légère plainte s'ensuivit, tandis que j'avançais vers elle pour ramasser la précieuse étoffe.
Une fille s'était approchée de moi avec confusion et une respiration à peine saccadée. Sa silhouette gracile s'était alors inclinée face à moi dans un murmure presque inaudible.
« - M...merci beaucoup ! S'écria-t-elle après sa légère courbure. C'est un objet que je porte tout le temps, je me serais sentie mal de l'avoir perdu ! »
Je peinais à la fixer dans les yeux, car c'était la première fois qu'une personne normale et parfaitement inconnue venait m'adresser la parole. Je parlais précisément d'une vraie discussion, et non pas d'un simple échange au supermarché pour entendre le prix de ses achats. Non, elle s'était avancée vers moi, elle avait initié la rencontre, elle s'intéressait à moi. Tout s'était fait dans le plus beau des hasards.
Une sensation étrange me prenait : j'étais à la fois intrigué et intimidé par ce moment improbable qui m'apportait une joie nouvelle et sincère. Je souris timidement avant de lui remettre son bandeau. C'est vrai qu'il était joli, j'aurais bien aimé le garder en souvenir.
« - Tenez.
- Merci. »
Elle me regarda un instant avant de se gratter la tête par embarras. Je crois que je la fixais un peu trop, ça devait la mettre mal à l'aise.
« - Bon, je vais y aller. Passez une bonne soirée. » Fit-elle en s'inclinant à nouveau.
Je lui répondis discrètement avant de l'observer s'éloigner. Cet instant avait été magique, c'était si difficile d'espérer discuter avec les humains et pourtant je l'avais fait.
Depuis ma plus tendre enfance, on m'avait toujours interdit de rentrer en contact avec eux, sauf s'ils en exprimaient l'envie ou le faisaient par hasard. Autrement dit, je devais laisser faire le destin qui avait enfin décidé de m'aider.
C'est incroyable de voir à quel point les clivages sont strictes, impartiaux. Et il est encore plus aberrant de voir qu'un manque de compréhension nous divise. Mais pour une fois, je ne m'en souciais guère.
Si j'avais pu la croiser à nouveau, apprendre à la connaître, j'en aurais été plus qu'heureux. Hélas, le printemps arriva bien vite à son terme, sans que je ne revoie une seule fois cette personne. J'avais repris mes jours moroses tandis que la saison des pluies démarrait à peine. Pour tuer le temps, je m'étais même remis à la magie : chose que je n'avais plus fait depuis le décès de mes parents.
De fil en aiguille, je découvris quelques sorts intéressants, plus ou moins distrayants pour mes journées interminables. J'avais entre-autres réussi à créer la poussière dorée qui me permettait de disparaître instantanément. C'était une recette de ma grand-mère et je venais enfin de la réussir, ce qui m'avait plutôt réjoui sur le coup.
Puis, j'eu envie de tenter quelque chose d'autre, un petit sort de rien du tout qui me permettrait de retrouver celle que j'avais su apprécier au premier regard.
Doucement, je m'étais saisi de mon collier-pendule avant de le charger d'énergie magique. Le sort que je préparais devait trouver la personne que je cherchais, et ainsi permettre une rencontre entre nous. J'étais si impatient que ma faible expérience dans ce domaine ne m'inquiéta même pas. Alors, je plongeais les derniers ingrédients dans le réservoir, veillant à concentrer mes pensées autour des incantations et des souvenirs qui devaient m'aider à la retrouver.
Mes mains tremblaient d'excitation, je me sentais si fier d'avoir recours à la magie pour rompre la solitude qui en avait toujours découlée. La chaleur ne tarda pas à envahir la pièce, créant rapidement une brume violette qui s'échappait à grande quantité de la préparation, imprégnant ainsi mon cristal transparent d'un éclat noir profondément intense.
Je toussai à plusieurs reprises au milieu de cette importante quantité de particules magiques, n'étant pas habitué à la concoction d'un tel sort. Le miasme grandissait à vue d'oeil et quelques traînées de lumière jaillissaient depuis mon pendule. Finalement, la brume s'engouffra dans le reste de mon appartement et s'échappa hors des fenêtres. Désormais, je m'en étais remis au sort, il n'y avait plus qu'à attendre que le miracle s'accomplisse.
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