Chapitre 5

— René ? J'ai besoin de ton aide ! dis-je en entrant dans ma chambre.

Le petit stylo-plume bleu marine sautille avec surexcitation jusqu'au bord de mon bureau, où il m'attend avec impatience. J'ai l'impression qu'on a mis un esprit d'enfant et un vocabulaire de vieux dans un corps de stylo.

— Ouiiii ? Tu veux écrire quoiiiii ?

— Je veux pas écrire, je veux parler. Tu as l'air de t'y connaître en relations, non ?

— Oula... Si tu me demandes ça c'est que ça s'est mal passé avec Viviane, non ?

Il s'étend de tout son long sur mon cahier de français, prêt à écouter mon long récit. Je commence :

— Pas exactement, tout s'est bien passé, mais... J'ai senti qu'il y avait un truc qui collait pas. Je sais pas... Quand je racontais quelque chose, elle répondait bêtement par des "M-hm" ou des "Ouais...", comme si elle ne m'écoutait pas vraiment... Je suis sûre qu'elle prépare un truc, et le fait qu'elle ne me dit pas quoi m'inquiète.

— Bon. Elle a déjà fait sa crise d'adolescence ?

— Euh... Peut-être ? Comment ça ?, étonnée par sa question étrangement tournée.

— Je ne pense pas que tu sois le problème, elle n'a jamais été fâchée. Ou alors, si elle l'a été, elle t'a tout de suite pardonnée. Non, ses pensées sont occupées par quelque chose de bien plus grave. À mon avis, elle a encaissé plusieurs petits problèmes, qui se sont accumulés dans son cerveau, et en plus, ils étaient amplifiés par les hormones.

Je hoche la tête lentement, enregistrant toutes ses explications, totalement nouvelles.

— Et donc, quand tu t'es énervée à l'école, c'était pas si grave, mais c'était la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

— Et maintenant ?

— Elle avait du mascara quand tu l'as vue ?

J'écarquille les yeux.

— Quoi ? Euh... Non ?

— Elle en porte, habituellement ?

— Je crois, je suis pas certaine...

— Alors c'est simple. Elle l'a enlevé parce qu'il a coulé. Donc si une fille dans ce cas a pleuré, ça veut souvent dire qu'elle a fait du tri dans ses pensées, et que donc si elle réfléchissait encore, elle se concentre sur le plus grand de ses petits problèmes.

— Donc... Elle est en train de réfléchir très fort sur un truc. Et DONC... Il faut que je l'aide !

— Voilà ! Ce n'est pas très compliqué non plus !

Je soupire.

— Donc t'as un plan pour savoir ce qu'elle prépare ?

— BAH ! Bien évidemment, enfin !

— Vas-y, fais ton truc d'éclair de génie là ! Allez, hop hop hop !

— Donc. Tu vas m'emmener en clandestin chez Viviane. Je m'introduirais dans sa chambre, et je parlerais à son miroir pour savoir ce qu'elle mijote !

— Mais pourquoi son miroir saurait ?

— Comme tout bon objet parlant qui se respecte, j'ai déjà parlé avec de nombreux miroirs. J'en conclus que plus de 50% de la population humaine parle devant le miroir pour relâcher un peu de pression. C'est une chance à prendre !

— Bon, ok. Ça marche.

***

— Salut !

— À la prochaine fois !

Viviane ferme la porte derrière moi et je débouche dans la rue. Une fois sûre et certaine d'être à une bonne distance de sécurité, je chuchote :

— Alors ? Les recherches sont fructueuses ?

— Excellentes, même ! Elle prépare quelque chose de grand, selon son miroir. Un gars très sympathique d'ailleurs avec qui j'ai bien papoté !

— Oui, bon, tu vas pas passer par quatre chemins non plus ! Vas-y, dis-moi ce que tu sais !

— Rooh, même pas un tout petit peu de suspense ! Enfin bon, comme tu veux. Suite à la découverte du vote de la loi, Viviane a décidé que tu avais raison et qu'il fallait faire quelque chose. Mais au lieu d'une pétition, elle compte créer une association qui mettrait en place des marchés malgré la loi.

— Quoi ?! Mais c'est énorme !

— Laisse-moi finir. Depuis quelque temps, Viviane ne parle plus à Jonathan son miroir, et il pense qu'elle a donc mis son plan à exécution.

— Ok !!! Merci René !

Mes yeux se rivent sur les arbres qui défilent, réfléchissant aux derniers jours. Tant d'activités et d'aventures ! Et une belle rencontre avec un stylo-plume qui aime jouer les agents secrets.

— Euh... Maïa ? fit une petite voix.

— Oui ?

— Est-ce que... Je pourrais retourner chez Viviane pour... Ben... C'est-à-dire que... Il faudrait peut-être euh...

— Ça va René ? Qu'est-ce qui t'arrive ?

Mon stylo-plume se tait soudain et saute dans la trousse pour s'y cacher. Fronçant les sourcils, je le rattrape et l'agrippe fermement.

— RENÉ ! Réponds !

Mais De la Plume reste muet, ou peut-être reste-t-il sourd à mes questions. Têtu, il s'obstine à gesticuler dans tous les sens pour tenter de s'échapper de ma main, en vain.

— Bon, je te lâche sur la route et tu te fais renverser par une voiture ou tu me dis ce que t'as ?

Alors, lentement, René se calme et se retourne pour me faire face. Satisfaite, je questionne :

— Alors ?

— Bon, je... Quand j'ai interrogé Jonathan, le miroir, j'ai pris moins de temps que prévu... Et euh... Bah j'ai rencontré une gomme qui s'appelle Rosa et... On a papoté quoi.

J'ouvre de grands yeux.

— HAN ! René de la Plume est amoureux !!!

— Quoi ?! Mais non ! Mais pas du tout ! J'ai juste rencontré... Une... Une amie qui... Euh... Que j'aime bien... Enfin, pas dans le sens-

— René, tais-toi. Tu sais très bien alors juste arrête. Donc raconte-moi... Elle ressemble à quoi ta chérie ?

— Ma...? Ben... Elle est toute blanche mais comme elle se fait maltraiter par la petite sœur de Viviane, elle est toute pleine de trous et elle a des marques partout ! C'est trop triste...

— Donc tu voudrais la sauver ?

— Oh OUI !!! S'il te plait !

Mon sourire clôt la discussion et je prends mon téléphone pour parler à Viviane. Décidément, cette histoire n'en finit pas !

***

Viviane me passe furtivement une gomme. Je l'attrape, et par réflexe, commence à effacer le petit dessin que j'ai fait dans la marge de mon cahier de français. Mon amie me chuchote :

— Mais nooooon ! C'est Rosa, la petite amie de René !

Je m'arrête immédiatement et lance un regard à mon stylo-plume. Heureusement, celui-ci n'a pas encore remarqué l'arrivée de sa bien-aimée, et bavarde tranquillement avec mon Tipp-Ex. Je m'excuse auprès de Rosa, qui m'assure que ce n'est rien. Je suis bien contente qu'elle rejoigne ma trousse ! Peut-être qu'elle réussira à adoucir les autres... Elle m'échappe et produit un petit cri lorsqu'elle remarque René. Il se détourne directement de son ami pour rejoindre Rosa, laissant de longues traces sur la table. Et c'est encore moi que l'on va accuser ! Je les laisse à leurs retrouvailles, retournant à mes propositions.

À la pause, Viviane m'annonce :

— Maïa... J'ai quelque chose à te dire...
Je l'encourage à continuer d'un signe de la main et elle ajoute :

— Alors voilà. En fait, j'ai réfléchi à ce que tu as dit, par rapport à la loi...

Je lève les yeux de notre projet de géographie. Clairement, son info est plus importante que la problématique à laquelle nous devons répondre pour notre devoir. Le souffle coupé, j'attends qu'elle m'avoue son plan... Elle jette un coup d'oeil autour d'elle et murmure:

— J'ai créé une association pour aider les objets parlants, et par extension les marchands et les marchés...

Je connais déjà la nouvelle, mais me disant que ça paraîtrait bizarre si je m'en moquais, j'écarquille les yeux et plaque mes mains contre mes joues :

— Noooon ! T'as fait ça ?

Je ne suis visiblement pas faite pour être actrice puisque Viviane, les sourcils haussés, peu convaincue m'interroge :

— René, il a rencontré comment Rosa, déjà ?

Prise de court, je balbutie :

— Euh... Ben... En fait... René est venu avec moi chez toi et... euh... je sais pas comment, mais il a vu Rosa et coup de foudre direct !

Après plusieurs échanges de ce calibre, moi n'arrivant pas à finir une phrase et Viviane se prenant pour un inspecteur de police, je finis par avouer :

— Bon. Il est venu avec moi pour interroger ton miroir au sujet de ce que tu mijotais... Désolée, mais tu me connais ! Ma curiosité arrive toujours à ses fins.

Je me prépare à une longue morale bien méritée, mais contre toute attente, ma meilleure amie me fixe droit dans les yeux et demande :

— Alors c'est oui pour créer une association ensemble ?

Bouche bée, les yeux écarquillés, elle doit me prendre pour une extraterrestre à qui on parle chinois.

— Q- Quoi ?! Mais... René rentre chez toi par effraction, impose un interrogatoire à ton miroir, on fouille dans ta vie privée, et toi, tu me proposes de créer une organisation avec toi ?

Viviane me sourit en guise de réponse, et je pense que pour une fois, cela me suffit. Parce que maintenant, on est ensemble. Et ça va encore durer longtemps.


On est légèrement en retard sur le programme qu'on s'était imposé, mais vous voyez la rentrée et tout ça... (oui je me cherche des excuses). Enfin bon pour ceux qui suivent cette histoire, désolées ! 

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