Chapitre 4

Je balance ma trouvaille sur le bureau avec nonchalance, le réveillant en sursaut. Il tourne sur lui-même comme une toupie avant de sortir son meilleur :

– WAAAAAAAH !!! MAIS ELLE EST TROP BIEN TA CHAMBRE !!!

Je cligne des yeux, étonnée par cette explosion de joie à la vue de ce qui est la plus banale des pièces de la maison. Je le regarde tourner de plus en plus vite jusqu'à qu'il atteigne le bord de la table, où je m'attends à ce qu'il tombe par terre. Mais j'ai sous-estimé son pouvoir. Il flotte dans l'air avec magnificence et revient à son point de départ. À peine atterri, il me demande :

— Alors ? Tu vas m'utiliser pour quoi ? J'espère que c'est pour bientôt, ça fait tellement longtemps que je n'ai pas écrit !

Cela ne doit même pas faire une semaine, mais je me plie à ses exigences en le saisissant ainsi que la feuille pour commencer à écrire ma pétition. Je n'ai pas terminé d'écrire le premier mot qu'il s'écrie :

— Oooh, une pétition ! Laisse, je vais l'écrire ! C'est pour quoi ?

Je fronce les sourcils, interrogative, puis décide de lui faire confiance. Ça me fera une pause dans cette journée éprouvante. Je lui donne les informations nécessaires :

— C'est à l'intention du président de la République, parce qu'ils ont voté une loi qui veut faire fermer les marchés pour que les objets parlants soient plus facilement remplaçables par les non-parlants.

Comme attendu, mon stylo fulmine :

— C'est INACCEPTABLE ! Comment osent-ils ! Les marchés ne nous traitent pas bien, mais il n'est pas question que nous soyons remplacés par des objets sans âme !

Après sa tirade, il se retourne et écrit furieusement sur le papier. Je me rapproche lorsque j'entends le griffonnement faiblir, afin qu'il ne me hurle pas dans les oreilles qu'il a terminé. Très fier de lui, il appose la première signature : la sienne. Je lis en haussant un sourcil : "Plum Style". Son écriture allongée me rappelle celle des enfants à la fin du dix-neuvième siècle.

— T'as compris ? "Plum" pour plume parce que c'est un prénom humain, et "Style" pour stylo parce que c'est un nom de famille humain ! Et du coup, bah, plume et stylo ça donne STYLO-PLUME !

Je ris malgré moi et me contente de le prendre et d'écrire ma propre signature.

— En tout cas, tu es tellement magnanime ! s'exclame-t-il, aux anges, de sa façon de parler très élevée.

— Attends, petite question... T'as un nom ? Parce que t'appeler "stylo-plume" tout le temps, ça sera un peu triste non ?

— HAN !!! Personne ne m'a jamais demandé mon nom ! Que ce soit gente dame ou gentleman, (il insiste bien sur son jeu de mots, comme si je n'allais pas le comprendre) personne au monde ne s'est déjà intéressé à moi à ce point !

Je ressens un peu de pitié pour ce pauvre stylo-plume qui vient de me faire rendre compte que je ne traite pas si mal que ça mes fournitures et autres objets, puisque je leur demande leur nom à chaque fois. Viviane dirait que c'est simplement une excuse pour me rattraper. Mon sac à dos, François, et mon casier, Roméo, seraient d'accord avec elle. Enfin, mon casier actuel n'a plus de nom ni de voix. Une moue triste s'imprime peu à peu sur mon visage. Mon stylo le remarque, et pensant que c'est à cause de lui, s'empresse de me dire :

— Je m'appelle René de la Plume ! Tu as besoin d'autre chose ? Tu as des devoirs à accomplir ? Je peux t'y aider, si tu veux !

Un maigre sourire revient sur mes lèvres, se métamorphosant en un rire, assez effrayant pour faire reculer René.

— Eh, René, on se calme ! Tu peux te rendre utile sans être un esclave quand même ! Je veux dire, si ça peut te faire plaisir de faire mes devoirs, je t'en prie, éclate-toi ! Mais si c'est juste pour m'aider, pas besoin !

— Mais si, ça me fait plaisir ! répondit-il avec détermination. En quelle classe es-tu ?

— Quatrième.

— Bah, ça va ! Mon noble ami Henri Bic avait un élève de terminale, et je peux te dire que c'est pas la même chose !

Je le laisse papoter dans le vide et narrer ses "maintes aventures", comme il dit, tout en sortant mon classeur de français et en l'ouvrant à la fiche sur les compléments circonstanciels.

— Tous les exercices entourés sont à faire. Amuse-toi bien !

Malgré mon ton ironique, René saute avec enthousiasme sur la feuille.

— Attends ! Il faut que tu copies mon écriture, sinon ça va pas le faire hein !

De la Plume s'exécute, et, avec une application remarquable, parvient à adopter la même écriture que moi.

Je me mets donc à lire dans mon lit, tout en répondant par-ci par-là aux questions du stylo :

— Mais c'est quoi les CC ?

— Une abréviation de complément circonstanciels, René.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? Pff, à mon époque, on avait un minimum de rigueur pour écrire les mots en entier !

— À l'époque de tes ancêtres, plutôt, toi t'es tout neuf !

L'après-midi se déroule sans incident et, juste avant le dîner, je me rappelle d'une chose : Viviane. Alors, la culpabilité me rongeant, je prends mon téléphone et ouvre notre conversation. J'écris un simple :

"Coucou !"

Hésitant quelques secondes, j'ajoute :

"Bon, Viviane, pourquoi t'es aussi fâchée ? Sérieux, ça devient relou !"

Je me tiens là, sur mon lit, idiote, pendant toute une minute. Alors j'entends une petite voix :

— Si je peux me permettre, et avec tout le respect que je te dois... commence René. T'ES COMPLÈTEMENT BÊTE OU QUOI ?!

— Hein ?

— Mais enfin, réfléchis ! Ton amie est fâchée contre toi pour je ne sais quelle raison. Et toi, la première chose que tu fais, c'est de lui dire qu'elle est reloue ??? Si j'ai bien compris, dans le langage de votre époque, c'est une offense. Elle veut que tu t'excuses, andouille, pas que tu l'insultes !

J'ouvre de grands yeux. Je suis vraiment en train de me faire gronder par un stylo-plume, là ?

— Bon, bah... D'accord, mais-

— Y a pas de "mais" ! Excuse-toi et tu verras !

Tout en soupirant pour garder un minimum de dignité, j'écris :

"Bon, je suis désolée..."

— Ça va comme ça ?

— Maintenant, tu lui demandes de faire une activité ensemble. m'ordonne René.

Je m'exécute et invite Viviane au parc. Deux secondes plus tard, elle voit magiquement mes messages et répond un simple "d'accord".

Je jure que si les stylos avaient une bouche, René m'aurait envoyé le plus grand sourire au monde.

— Qui avait raison ? me lance-t-il, abusant un peu de son succès.

Je l'ignore, mais pour le remercier, l'emmène avec moi pour aller au parc. L'après-midi se déroule très bien, et Viviane s'excuse pour avoir été un peu sévère. Elle m'explique qu'elle était sur les nerfs à cause d'un message de sa mère journaliste : la loi anti-objets parlants a officiellement été votée à quasi-unanimité. Alors on s'excuse mutuellement et on passe une soirée géniale, comme si de rien n'était.

Mais son air absent, son rire aigu, ses réponses automatiques... Elle mijote quelque chose. Et je compte savoir quoi.

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