Chapitre 1
Un bourdonnement me réveille. Ignorant l'heure qu'il est, je grogne et m'étire, peu désireuse de me lever. Un nouveau bourdonnement, plus pressant, me fait grommeler :
— Tu saoules... Laisse-moi tranquille.
Malgré l'insulte, mon mur insiste et me fait comprendre qu'il est tard. Je me redresse soudain et écarquille les yeux. Je dévale les escaliers et mange en quatrième vitesse un petit-déjeuner qualifié de « mauvais pour la santé » par mon assiette. Je cours dans la rue et réussis de justesse à attraper le bus de huit heures quinze.
Lorsque j'arrive au collège, essoufflée par ma course jusqu'au bâtiment, je découvre avec étonnement et joie une foule massée devant les escaliers. Je la contourne pour arriver à mon casier qui m'informe :
— Les marches des escaliers font grève. Pour une fois que t'as de la chance !
— Je viens de voir. ET en plus ce n'était pas de la chance, c'était la providence, fais-je, soulagée.
— C'est presque exactement la même chose.
Pour le faire taire, je déverrouille le cadenas et je récupère les quelques cahiers qui ont bien voulu rester avec moi. Ma meilleure amie veille de près au nombre décroissant de mes manuels et cahiers, mais elle semble heureusement ne pas être là.
— Maïa ? Où est ton cahier de maths ?, me demande une voix derrière moi.
— Ah, lui ? Il est retourné au CDI quand j'ai dessiné sur la couverture, pourquoi ?, réponds-je d'un ton mal assuré à Viviane, qui vient d'apparaître.
Elle se pince l'arête du nez tout en hochant la tête, faussement désespérée.
— On a maths ce matin, non ? Je crois que pour un cours de maths, il faut... un MANUEL de maths !, me fait-elle remarquer, ironique.
— C'est bon, on a le temps. Les marches font grève !, me défends-je.
Elle souffle un bon coup et m'interroge :
— Et... Comment vas-tu monter au CDI le récupérer, ce manuel ?
Je cherche une échappatoire. L'escalier de secours, créé avec des marches spéciales, m'en offre une belle. Le personnel de l'école n'étant pas encore arrivé, tous les élèves restent devant les escaliers officiels, ne pensant pas à - et ne voulant pas - emprunter les autres. Viviane hausse un sourcil dubitatif. Pour lui prouver ma bonne foi, je me dirige vers l'immense porte verte et je l'ouvre, la regardant droit dans les yeux. Je recule tout en la fixant, puis je m'engouffre dans le couloir. Le bruit se dissipe au fil et à mesure que je monte les escaliers. Arrivant devant la porte nommée 3, je reprends mon souffle et je la pousse. Le couloir est désert, mais le CDI ouvert. Me préparant mentalement pour ressentir une honte monumentale, j'y entre. La documentaliste m'y attend, un sourire aux lèvres.
— Tu viens chercher ton manuel, Maïa ?, me demande-t-elle, connaissant mes habitudes.
Je marmonne un « oui », et, me sentant rougir de honte, agrippe le manuel et sors rapidement de la salle en la remerciant. Une fois dehors, je descends les escaliers tout en houspillant mon manuel, qui essaye de s'échapper de mon étreinte. Arrivée devant Viviane, je le brandis, triomphante.
— Il est en train de te glisser entre les mains, Maïa., est sa seule réaction.
Je le rattrape et le fourre dans mon sac, certaine qu'il ne s'en échappera pas. Mon casier, qui a observé la scène d'un regard perçant, prend une grande inspiration indignée lorsqu'il me voit le maltraiter en me balançant dans mon sac. C'est un fervent activiste pour les droits des objets parlants, et je suis en accord avec ses idées, mais qu'est-ce que ça peut être énervant, les manuels !Je jette un coup d'œil autour de moi. Mes quelques minutes d'absence ont été mis à profit par le personnel. La foule s'est dissipée et le proviseur est en train de marchander avec les planches. La vie scolaire nous dirige vers les escaliers de secours, tandis que les professeurs dépassent la queue qui s'est formée devant la porte. Je me dirige à nouveau vers celle-ci, accompagnée de Viviane et de la voix de mon casier qui me hurle dessus :
— Tortionnaire ! La prochaine fois, je les laisse sortir ! Des dessins sur la couverture ! C'est scandaleux !
Je le laisse s'époumoner, peu concernée par ses états d'âmes. Levant les yeux au ciel, je décide de l'ignorer. Ce manuel a eu ce qu'il méritait ! J'en fais la remarque à Viviane, qui réplique :
— Et tu te dis militante pour que tu défends les droits des objets parlants ! Les manuels en sont aussi, il faut les respecter en tant que tel ! Ce n'est pas parce que ils sont dit « muets » qu'ils le sont ! C'est les seuls qui peuvent bouger, tu sais !
— Tu ne m'apprends rien, figure-toi. Mais tu as toujours eu les meilleurs manuels, ceux qui sortent du marché de l'Hermine !, lui réponds-je, cherchant déjà une parade pour la prochaine attaque. Elle n'arrive pas. Le visage de mon amie s'est assombri.
— J'avais oublié, chuchote-elle.
— Je peux avoir l'honneur de savoir ce que tu as oublié ?
— De te dire un truc que j'ai eu en avant-première. Tu sais que mes parents sont journalistes, non ?
— Oui..., fais-je, devenue légèrement inquiète. Le ton de Viviane m'amène à penser que quelque chose de grave s'est passé. Je ne suis pas étonnée qu'elle fasse durer le suspense. C'est presque une habitude chez elle, surtout quand elle a quelque chose d'important à annoncer. Sauf qu'elle le fait souvent le sourire aux lèvres, et non pas les yeux rivés au sol, se balançant d'un pied à l'autre.
— Ma mère a interviewé un homme politique, pour avoir son avis sur les élections. Et il a révélé un projet de loi, qui allait être voté. Ça concerne les objets parlants., reprend-t-elle.
— Donc...
— Ils ont décidé de fermer les marchés, pour favoriser la commercialisation des objets non-parlants.
Ma réaction est immédiate. Mes yeux s'écarquillent de nouveau, ma bouche reste bêtement ouverte et mon cerveau refuse d'y croire. Je la fixe tout en montant les escaliers, et manque de m'écraser contre un mur. Viviane me rattrape et me souffle :
— Ferme la bouche, ouvre un peu moins tes yeux et réalise.
Je la gratifie d'un sourire forcé, suivi d'une question :
— On va pas rester comme ça à rien faire, non ?
Elle a une mimique d'incompréhension.
— Comment ça ?
J'explicite :
— On va agir, non ? On va créer un club, une pétition qui sera portée jusqu'au président de la République, non ?
— Alors, je crois que madame a besoin d'un retour à la réalité : ON EST DES ADOS. Les adultes, ça se débrouille sans nous, capiche ?, me dit-elle.
— Rien nous empêche d'agir !, proteste-je.
— Si, le fait qu'on rentre en classe, me fait-elle remarquer.
En effet, la porte de la classe annonce :
— Plumier Maïa. Lancelot Viviane. Quatrième deux. En retard.
Notre professeure nous fusille du regard tandis nous nous installons à nos places. Par accident, je donne un coup de pied dans la table. Je me mords la lèvre de douleur. Ma table, elle, se plaint de sa petite voix aiguë bien énervante :
— Oh, mais fais gaffe un peu !
— Oh, mais tais toi un peu !, lui réponds-je du tac au tac.
Soudain, la craie arrête de couiner sur le tableau. La prof se retourne lentement, de la façon la plus inquiétante qu'il soit, et ses yeux exorbitants finissent par se poser sur moi.
— Que venez vous de me dire, Mademoiselle Plumier ?!
— Mais... mais... rien !, balbutie-je, les joues rosies par la honte.
Alors, d'un coup, comme si la farce que m'a fait mon bureau était la plus drôle du monde, toutes les tables de la salle se mettent à ricaner. La symphonie mal accordée se répand dans un boucan pas possible. Paniquée, la prof tente de les calmer, en vain. Elle demande alors à une élève d'aller chercher le proviseur, avant de se raviser.
— Tout le monde en rang par deux ! Nous allons changer de salle, annonce-t-elle à la classe.
Je tente en vain de cacher mon soulagement, arrachant un sourire narquois à ma meilleure amie.
— Oh, t'as rien à dire, toi !
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