Souvenirs d'enfance

"Comme chaque matin elle lisait son carnet, son carnet si précieux, ses cheveux roux retombant sur le papier.

Tous les matins elle le lisait en buvant son café que maman lui avait préparé.

Tous les matins la même routine, la même histoire.

Il lui fallait quelques heures pour terminer sa lecture.

Après seulement, elle était capable de sortir.

Capable de répondre aux autres comment elle s'appelait, ce qu'il lui était arrivé.

N'importe qui répondrait sans réfléchir: "Je m'appelle Marie et je suis amnésique depuis six ans". Une simple phrase qui pourtant, ne peut être prononcée qu'après la lecture de son carnet.

Six ans de sa vie y sont regroupés. Quand on a seize ans, ça fait beaucoup.

Des informations importantes, comme le prénom de ses proches, ou des détails, pourtant importants, comme sa pointure de chaussure.

Devenir amnésique, cela arrivait après un accident.

Mais devenir amnésique sans raison, personne n'avait jamais vu ça.

Les médecins avaient dit que Marie avait dû avoir un gros choc émotionnel mais sans sa mémoire, impossible de connaitre ce qu'il lui était arrivé.

Maman avait peur qu'il m'arrive la même chose. Que je perde la mémoire d'un jour à l'autre, sans raison.

Chaque matin Marie se réveillait en criant parce qu'elle ne savait pas où elle était. Chaque matin il fallait lui expliquer qui nous étions.

Maman avait dû quitter son poste d'enseignante afin de s'occuper d'elle.

"Je m'appelle Rose, je suis ta petite soeur. N'aie pas peur si tu ne te souviens de rien, je vais tout t'expliquer". Ma matinée à moi commençait comme ça. Il fallait attendre qu'elle se réveille, le docteur avait dit de ne pas la brusquer.

Chaque matin j'arrivais en retard au collège, heureusement les professeurs savaient pourquoi et ne me disaient rien. Mes camarades insistaient tout le temps, mais je restais muette.

Je n'avais pas beaucoup de souvenirs de la Marie d'avant, de la Marie qui se rappelait, j'étais trop petite pour cela.
Pourtant, je me rappelais parfois d'un barbecue chez les voisins, j'avais trois ans. Un an avant que Marie ne devienne amnésique. Il faisait chaud, l'été battait son plein. Les voisins avaient une belle piscine, tous les enfants se baignaient, même Marie. Moi j'étais au bord de l'eau, terrorisée. Marie m'avait promis de m'emmener à Disneyland si j'arrivais à entrer dans l'eau. Bien évidemment, je suis entrée dans l'eau -non sans difficultés-, j'étais trop petite et trop naïve pour me dire qu'à même pas dix ans, il allait être compliqué pour Marie de m'emmener à Disneyland. Je ne suis pas allée à Disneyland, en revanche, Marie m'a emmenée prendre des cours de natation.

Aujourd'hui nous étions le samedi 7 septembre 1994.

Ce matin pourtant, un détail avait changé.

Ce matin Marie n'avait pas crié.

Vers onze heures, maman m'a demandé d'aller voir si tout allait bien.

Papa est parti il y a quatre ans. Il a dit au juge qu'il ne supportait plus la situation. À la maison, il reprochait à maman d'être égoïste. Je ne connaissais pas ce mot, j'ai demandé à Papa ce qu'il signifiait. Il m'a répondu "Ce n'est pas à toi d'expliquer ce qu'il lui arrive à Marie, ce n'est pas à toi d'aller vérifier qu'elle respire encore lorsqu'elle ne se réveille pas. C'est à Maman, c'est à elle de le faire lorsque je travaille, pas à toi. Tu n'es qu'une enfant Rose". Je me rappelle, je me remémore, encore et toujours ces paroles douces dites sur le banc du parc au bord du lac. Et pourtant, chaque matin c'est moi qui explique à Marie ce qu'il lui arrive, c'est moi qui vais vérifier qu'elle respire encore lorsqu'elle tarde à se réveiller.

Marie ouvrit doucement les yeux lorsque j'ouvris la porte de sa chambre.

-Je m'appelle Rose, je suis ta petite sœur, commençai-je d'une voix douce.

-Je le sais. Tu me prends pour une imbécile? Bon, aujourd'hui, je t'emmène faire les magasins, il faut te trouver une robe pour ce soir. Tu ne crois tout de même pas que je vais te laisser fêter ta première boum d'anniversaire habillée avec ton pantalon rapiécé? répondit-elle en se levant.

Je ne bougeais plus, trop choquée pour faire quoi que ce soit. Marie m'observait et se mit à rire. D'un rire franc et puissant.

Maman accourut dans la chambre et se mit à pleurer lorsque Marie l'embrassa.

-Qu'est-ce qu'il vous arrive aujourd'hui? ria-t-elle en allant dans la salle de bain.

Maman en tomba à terre.

Moi j'étais là, droite comme un pic, la bouche ouverte.

-Ferme ta bouche tu vas gober des mouches! dit Marie en ouvrant ses volets.

Ce fut le plus beau matin de toute ma courte existence."

Je refermai le grand carnet blanc et bus ma dernière gorgée de chocolat chaud. Une jeune fille rousse -que je devinais être Marie- m'observait en souriant.

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