Souvenir 2.
Le bruit qu'émit le coup fit sursauter Harry, ses sanglots s'intensifiaient et il sentait son cœur battre à tout rompre à l'intérieur de sa poitrine. Sa mère tourna son regard paniqué, brillant de larmes, vers lui. Son père était rouge de colère et se mettait à crier sur eux. Gabriel était assis dans le canapé et soupirait, sa console de son jeu en pause entre ses mains.
– Arrête un peu de pleurer Harry, tu as onze ans. Comporte toi comme un homme !
Mais Harry ne pouvait retenir ses pleurs, il baisse ses yeux honteux vers ses chaussures. Arthur ne se préoccupa plus de lui et tourna son attention vers sa femme. Ils se disputaient à longueur de temps, davantage depuis quelques mois. Les entendre se crier dessus était devenu insupportable pour le jeune bouclé. Il devait s'enfermer dans sa chambre, se couvrir la tête avec le coussin ou mettre de la musique à fond dans ses oreilles.
Ces derniers temps, son père devenait effrayant. Il ne levait pas la main, il ne tapait personne, mais la fureur qu'on pouvait lire dans son regard dissuadait qui que ce soit de le contredire. Et Harry n'avait jamais su s'imposer face à son imposante figure paternelle. Gabriel, au contraire, n'avait pas sa langue dans sa poche. Il en faisait voir de toutes les couleurs à Anne, était insolent et désobéissant. Cependant, il ne s'attirait jamais les foudres de son père, car il incarnait le fils parfait à ses yeux.
Harry subissait et essuyait son comportement. Malgré leurs cinq ans d'écart, Gabriel n'avait jamais été le plus mature des deux, peu importe ce qu'il pouvait en dire. Dix-sept ans, et il agissait encore comme un enfant capricieux. Mais Anne n'était qu'une femme, et elle devait se plier aux exigences de son mari, et s'il lui demandait de punir Harry ou de laisser Gabriel sortir avec ses amis un soir de semaine, elle ne pouvait rien rétorquer.
– Voilà tu l'as trop protégé et élevé comme un gosse fragile, il est même pas capable de se défendre ton fils !
– Je te signale que c'est ton fils aussi.
– Et alors ? C'est toi qui s'occupe de lui, qui passe tes journées avec.
– Oui, parce que tu ne veux pas le faire.
– N'importe quoi, je m'occupe de mes enfants !
– De Gabriel oui, tu ne vois que lui !
Arthur ne répondit pas à cette remarque, il adressa des gros yeux remplient de colère à sa femme et porta son verre de whisky à sa lèvres. Il but le contenu en une gorgée en grimaça. Le verre claqua contre la table et Harry releva la tête.
Elle n'avait jamais eu la force de s'imposer face à lui non plus. Quand ils se querellaient, elle haussait à peine la voix, elle tremblait de peur sous le ton tranchant et dur de l'homme qui partageait sa vie. Harry assistait quotidiennement à ce spectacle. Ils ne partageaient même plus de repas de famille ensemble, mais il ne s'en plaignait pas, parce que cela lui évitait de manger avec un nœud à l'estomac.
Son père partait tôt le matin et ne rentrait pas avant dix-neuf heures trente. Gabriel, lui aussi, traînait dehors avant de revenir à la maison. Souvent bien une heure plus tard. Et quand Anne lui demandait où il était, il l'ignorait ou lui rétorquait que ce n'était pas ses affaires. Elle ne pouvait rien dire, car il fuyait déjà toute conversation.
Harry avait grandi dans cette atmosphère là. Il n'était pas certain que ses parents se soient un jour réellement aimés. Ou bien seulement avant sa naissance. C'était peut-être de sa faute. Il avait un jour posé à la question à sa mère et elle s'était mise à pleurer en le tenant dans ses bras.
Il jouait nerveusement avec ses doigts et rentra sa tête dans ses épaules quand son père se mit à hurler sur sa mère, lui reprocher une liste de choses interminables.
– Je savais que ce serait un bon à rien dès le début.
– Ne dis pas ça Arthur...
– Quoi ? Il a aucun ami, il s'enferme dans sa chambre, il pleure pour n'importe quoi...
– Parce que tu lui fais peur !
– Mais qu'est-ce qui ne lui fait pas peur à ce morveux ?
– Je t'en prie, arrête de parler comme ça...
Ils continuaient à se disputer et Harry se bouchait les oreilles avec ses mains. Il ne pensait plus qu'à ça. Qu'à ces mots.
Un bon à rien.
Un morveux.
Aucun ami.
Peur.
Pleurs.
Il le savait. Il le voyait bien. Son père ne l'aimait pas. Parce qu'il n'était pas comme son frère. Et Gabriel ne l'avait jamais apprécié comme tel.
Les larmes roulaient sur ses joues, ses yeux étaient clos et il sortit de sa crise, encore tremblant, quand il se sentit bousculé. Il tomba au sol, sur ses fesses et se retint de justesse avec ses mains. Son père venait de le pousser et il rejoignait sa chambre d'un pas furieux.
Anne pleurait et se précipita vers Harry pour l'aider à se lever. Gabriel laissa son console et rejoignit son père.
Harry parvenait à peine à reprendre son souffle ou entendre les murmures chevrotants de sa mère contre son oreille. Elle caressait ses boucles, embrassait son front et essayait de le calmer. Harry pleurait en silence, mais tout à l'intérieur de lui cognait et s'entrechoquait dans un capharnaüm assourdissant.
Sa mère finit par se relever, Harry regarda son père passer avec une valise et prendre sa veste dans l'entrée. Gabriel, pour la première fois de sa vie, semblait paniqué.
– Où est-ce que tu vas Arthur ?
– Je m'en vais, j'en ai ras le bol d'être ici.
– Chez toi... Avec nous ?
– Ouais, avec toi et lui là. Il montra Harry du menton avec un air de dégoût.
– Mais de quoi tu parles ? Je ne comprends pas...
– Tu ne comprends jamais rien. Ouvre les yeux...
Anne balbutia, les larmes creusaient ses joues et Arthur lâcha un rire mauvais, qui fit courir des frissons le long de l'échine d'Harry. Elle craignait d'entendre la vérité, parce qu'au fond elle le savait, elle le sentait. Elle n'avait juste jamais rien dit, parce que ça l'effrayait. De se sentir seule, abandonnée avec deux enfants et une famille brisée.
Mais Arthur ne se priva pas de lui étaler l'évidence cruelle au visage. Il s'approcha et serra les dents avant de dire sur un ton impassible :
– Je ne veux plus vivre ici. Avec toi. Je ne t'aime plus. C'est si compliqué à comprendre ?
– Tu... Tu as une maîtresse ?
– Tu ne t'en rends compte que maintenant ?
Un silence de plomb dans la maison.
Le temps se suspend jusqu'à ce qu'Anne réalise l'impact des mots. Mais elle n'en avait jamais réellement douté. Elle savait que son mari voyait quelqu'un d'autre. Il n'était quasiment jamais à la maison, il sentait un parfum différent, ses chemises étaient parfois froissées et elle avait retrouvé une trace de rouge à lèvres sur son col un jour.
Elle s'accrochait simplement au dernier espoir que ce ne soit que son imagination.
La mère de famille explosa en sanglots et Arthur ouvrit la porte, Gabriel fit un pas pour le suivre. Il ne le retenait pas, il voulait partir avec lui. Anne agrippa sa manche, il se débattit et cria alors que son père s'éloignait vers la voiture.
Harry resta sur le sol, incapable de parler ou bouger ou réagir. Les larmes séchaient sur ses joues. Il ne ressentait plus rien. Cela faisait longtemps qu'il avait oublié ce que ça voulait dire d'être heureux.
– Je veux partir avec lui !
– Non, tu es mineur c'est moi qui décide et tu restes ici.
– Tu n'as pas le droit !
– Je suis ta mère, j'ai tous les droits !
– Mais lui aussi !
– Pas s'il décide de partir, non...
Anne et Gabriel se disputaient à présent, elle avait fermé la porte et au loin ils pouvaient entendre le moteur de la voiture démarrer. Gabriel abordait un visage plein de colère et il serrait les poings.
Elle ne pouvait pas le laisser partir, même si la situation était toujours tendue entre eux, il restait son fils. Son premier enfant. Elle l'aimait, elle l'avait bercé, nourri, bordé, raconté des histoires, élevé jusqu'à l'épuisement.
– A mes dix-huit ans, je me casserais d'ici. Tu ne pourras pas m'en empêcher !
– Et tu vas aller vivre avec lui ?
– Ouais, je préfère ça que rester là. J'ai jamais voulu avoir un frère, on était très bien sans lui !
– Tu ne peux pas dire ça.
– C'est pas toi qui va m'en empêcher. Ni lui.
Et Gabriel fila dans sa chambre, claqua sa porte. Harry sursauta et se glissa jusqu'au mur. Il ramena ses genoux contre sa poitrine, nicha sa tête entre ses jambes. Il tentait de penser à autre chose, ses livres dans sa chambre, sa musique préférée, ses figurines dans sa caisse à jouets, le sourire de sa mère, les cookies aux pépites de chocolat, Le Petit Prince.
Anne n'attendit pas une minute de plus pour venir le prendre dans ses bras. Malgré son âge, elle le porta dans ses bras et jusqu'à sa chambre. Il s'accrocha à elle, le nez caché dans le creux de son cou. Harry était léger comme une plume.
Elle remonta les couvertures sur son petit corps tremblant et se coucha à ses côtés. Comme elle savait qu'Harry l'adorait, elle alluma la lampe de chevet qui projetait des étoiles au plafond. Son regard brouillé par les larmes se posa sur les petits points lumineux et elle ramena son fils contre elle.
Si Arthur partait vraiment, elle le souhaitait au plus profond de son cœur, Harry n'aurait plus à subir ces crises répétitives. Ce n'était pas saint pour un garçon d'onze ans d'être constamment angoissé et effrayé. Il se renfermait de plus en plus sur lui-même, il ne souriait que rarement, il ne riait plus, il n'était plus un enfant heureux.
Et Anne s'en voulait affreusement. C'était de sa faute, elle le savait. Elle aurait dû divorcer d'Arthur quand tout avait commencé à mal tourner, quelques moi après sa naissance. Peut-être que Gabriel ne serait pas aussi colérique et arrogant. Peut-être qu'il aimerait sa mère et son frère. Peut-être qu'il voudrait faire partie de cette famille.
Mais là, elle devait ramasser les pièces déchirées du puzzle, les morceaux brisés des cœurs et tenter de tout reconstruire avec des pièces manquantes, des trous.
Elle embrassa le front d'Harry et ferma les paupières, le serra contre lui pour entendre son cœur battre et sa respiration contre sa peau. Elle pouvait encore le sauver, lui.
– Ça va aller, mon cœur, ça va aller... Tout ira mieux, tu vas voir.... Tout ira mieux.
Harry fermait ses yeux assez fort pour voir des étoiles, il voulait oublier et ne plus penser. Que ça s'arrête. Qu'il disparaisse.
Parce qu'il savait, lui aussi.
Il savait que sa mère n'y croyait pas non plus.
Il savait que rien ne s'arrangerait jamais.
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