Souvenir 1.

       

           Son cartable sur le dos, Harry tenait fermement la main de sa mère. Ses lèvres tremblantes se tordaient en une petite moue triste, il ne voulait pas y aller. Autour de lui, il entendait et voyait les autres enfants s'amuser déjà avec les jouets dans les caisses ou dire au revoir à leurs parents. Mais lui ne voulait pas laisser sa mère partir.

À l'entrée de la classe, la maîtresse le regardait avec un sourire chaleureux et qui faisait plisser le coin de ses yeux ridés. Elle n'était pas méchante, seulement Harry ne souhaitait pas rester toute la journée avec elle. Il préférait rester avec sa mère, l'aider à faire des cookies et tremper son doigt dans la pâte pour y goûter avant la cuisson, l'écouter lui lire une histoire, jouer aux Lego ensemble, construire une tente dans le salon et regarder un dessin-animé. Il ne voulait pas apprendre des comptines, savoir écrire son prénom, fabriquer des bouquets de fleurs en papier, faire du coloriage avec des calculs dont la réponse correspondait à une couleur spécifique.

Mais ce n'était pas l'avis de sa mère qui s'accroupit face à lui et passa ses doigts dans ses petites boucles. Il remit en place celle qui tombait devant ses yeux, embrassa son front et lui offrit un sourire bienveillant.

Veux pas y aller.

Haz, mon cœur... Je viens te chercher à quinze heures, ce n'est pas très long.

Bah si, avant j'y allais que le matin et c'était mieux.

Mais maintenant je dois travailler et tu es un grand garçon, tu dois aller à l'école toute la journée.

Comme Gab ?

Oui, comme Gabriel, comme tes copains et tes copines aussi. Tu n'es pas content de les retrouver ?

La petite mine boudeuse sur le visage du garçon semblait s'adoucir, tandis qu'il hochait la tête en baissant les yeux vers ses doigts avec lesquels il jouait. Anne n'aimait pas non plus laisser son fils toute la journée à l'école, elle aimerait l'avoir à ses côtés et l'entendre chanter en même temps que ses personnages préférés à la télévision, rire lorsqu'il se mettait à raconter des histoires absurdes alors qu'il jouait avec ses figurines, le regarder dormir dans son lit trop grand pour lui.

Mais comme tous les enfants, Harry grandit. Bien trop vite à son goût, elle ne peut rien y faire cependant. Elle profite de chaque moment avec lui, avec son autre fils aussi qui est entré ce matin en dernière année de primaire. Ses doigts viennent caresser la petite joue rosée de son plus jeune fils et elle ouvre ensuite les bras pour avoir un câlin. Il s'accroche à elle, lui demande silencieusement de ne pas partir.

Allez Harry, tu es un grand garçon maintenant, il faut que tu ailles en classe.

Son fils se recula et posa ses yeux humides sur le visage de sa mère, elle déposa un dernier baiser sur son front et lui ses mains sur ses joues. Une petite fille, dont les cheveux blonds étaient attachés par deux nattes de chaque côté de sa tête, appela Harry depuis la porte d'entrée et lui sourit. Harry lui fit un signe de la main en tournant la tête, un autre de ses copains arrivait derrière elle et lui rendit son geste. Avant de partir les rejoindre, Harry s'adressa à sa mère :

--On prendra quand même le goûter ensemble quand on rentrera ?

--Bien sûr mon trésor. Les cookies qu'on a préparé hier, il en reste plein.

Tout heureux de cette nouvelle, le plus jeune enfant de cette famille retrouva du baume au cœur et embrassa rapidement la joue de sa mère avant de rejoindre sa classe. Il salua sa maîtresse qui l'accueillit et lui fit signe d'aller rejoindre ses camarades.

Anne le regarda entrer dans la classe, s'éloigner au fond pour rejoindre le couloir où il irait déposer ses affaires. Son sourire ne la quitta pas tandis qu'elle s'éloignait de l'école pour rejoindre son bureau. Ce soir, son fils lui raconterait avec entrain son jour de rentrée.

Après avoir déposé sa veste sur le porte-manteaux et son sac en dessous, Harry alla rejoindre ses amis pour jouer avec eux en attendant les derniers arrivants. Ils partagèrent tous ensemble leurs souvenirs de vacances, Harry parla de son séjour à la mer chez ses grands-parents, sous les yeux curieux de ses compagnons de jeux.

La classe commença, et Harry n'eut pas le temps de trouver cela ennuyeux ou de penser au fait que sa maman lui manquait. Il s'amusait, il prenait plaisir à faire les activités, à se défouler dans la cour de récréation avec ses amis, il savourait les repas de la cantine et le reste de l'après-midi qui se déroula tout aussi joyeusement.

À la récréation du matin, Harry essaya de voir son grand frère à travers les barreaux qui donnaient vue sur la cour des élèves de primaire. Il le vit jouer au ballon avec des autres grands garçons de son âge, et il l'appela gaiement en secouant sa main pour attirer son attention.

Gab ! Gab coucou !

Gabriel tourna sa tête à l'entente de son prénom, mais fronça directement les sourcils en détournant le regard, puis corps. Harry, du haut de ses cinq ans, ne comprit pas son ignorance. Il remua encore sa main, continua de l'appeler jusqu'à ce qu'il disparaisse de sa vue, jusqu'à ce que son amie Luciole pose sa main sur son bras et lui demande de venir jouer avec eux.

Cette pensée resta dans un coin de sa tête, il l'oublia le temps d'un instant lorsqu'il vit que sa mère l'attendait à la sortie des classes. Il salua sa maîtresse et ses camarades avant de courir dans les bras de sa génitrice. Elle le serra contre lui, embrassa sa joue et il se mit à rire. Suite à ses retrouvailles, ils sortirent pour rejoindre la voiture. Harry savait qu'ils devraient attendre Gabriel qui ne tarderait plus à sortir à son tour.

Maman...

Oui mon chéri ?

J'ai fais coucou à Gab ce matin à la récréation, mais il m'a pas répondu... Tu crois qu'il me fait la tête ?

Anne fronce les sourcils, assise derrière le volant et se tourne afin de regarder son fils. Harry avait la tête tournée vers la fenêtre et une petite moue triste sur le visage.

Il t'a vu ?

Bah oui, il m'a regardé, mais il est parti ensuite.

Je vais lui demander, mais je ne pense pas qu'il sois en colère contre toi. Il n'a aucune raison de l'être.

Même si Anne trouvait cette situation étrange, elle sourit à son plus jeune fils et se retourna correctement sur son siège. Harry se mit à parler de sa journée en détails, ses dessins, ses lignes où il avait écris des mots plusieurs fois, les chants avec la maîtresse... Sa mère sourit tout ce temps, finalement le jeune garçon n'avait pas passé une si mauvaise journée.

Bientôt, la porte de l'école primaire s'ouvrit et les élèves sortaient tous en petits groupes, bruyants. Gabriel, l'aîné des frères, s'avança vers la voiture. Il ouvrit la portière passager, retira son cartable de ses épaules et le glissa entre ses jambes quand il s'assit. Une fois qu'il eut mis sa ceinture, leur mère démarra le véhicule et prit la route de la maison.

Alors Gab, ça a été ta journée toi ?

Ouais, comme d'habitude.

Tu as retrouvé tes amis ?

Mh, il hocha la tête lentement, Théo a déménagé, mais sinon tout le monde était là.

Et ton maître, il est gentil ?

Ça va.

Elle essaie de soutirer plus d'informations, mais Gabriel ne semble pas vouloir s'étendre sur le sujet. Ses yeux sont fixés sur le par-brise devant lui, et il est le premier à sortir de la voiture quand ils sont garés. Anne soupir, récupère ses clefs et tient la portière à Harry qui sort doucement. Ils entrent tous et retirent leurs vestes et leurs cartables. Le plus jeune va porter le sien au salon pour finir ses dessins, l'aîné file pour s'enfermer dans sa chambre.

Anne n'a pas le temps de l'attraper, elle dépose ses affaires sur la table du salon et embrasse le crâne d'Harry qui lui montre ses feuilles coloriées. Elle le félicite et l'écouter parler plus en détails encore de sa première journée en dernière section de maternelle. Pendant ce temps, elle sort les cookies, se prépare une tasse de thé et une de chocolat pour son fils, elle en sort une troisième pour Gabriel et se décide à aller le voir.

Elle laisse Harry savourer son chocolat et son quatre-heures puis se dirige vers la chambre de son autre fils. La porte est fermée, elle toque et ouvre. Il est allongé sur le ventre dans son lit, joue à un jeu-vidéo. Elle s'assit sur le bord, glisse une main dans son dos. Il ne bouga pas, captivé par l'écran où son personnage évitait des obstacles.

Gab, tu ne viens pas goûter mon chéri ?

Pas faim.

Tu es bien grognon aujourd'hui, ta journée s'est mal passée ?

Nan, ça a été je t'ai dis.

Bon... Tu feras tes devoirs avec papa quand il rentrera ?

Ouais ouais.

Son ton était évasif et il poussa un soupir d'agacement, Anne décala sa main de son dos et la posa sur ses propres genoux. Un silence s'installa durant plusieurs secondes. Elle observa autour d'elle sa chambre de grand garçon en pagaille, des figurines au sol, des cahiers éparpillés sur son bureau, des jeux-vidéo empilés sur sa commode.

Curieux de ne pas voir sa mère revenir tout de suite, Harry abandonna son coloriage et son chocolat chaud pour se rendre dans le couloir qui menait aux chambres. Ses petits pieds marchaient sur le parquet et il resta près de la porte, caché afin que personne ne remarque sa présence.

Dis mon cœur, est-ce que tu fais la tête à ton petit frère ?

Pourquoi, il t'a dit ça ?

Il paraît que tu as tourné le dos aujourd'hui quand il t'a appelé dans la cour.

Gabriel pousse un grognement car il venait de perdre sa partie, sa console émit un petit bruit et il se redressa sur ses coudes. Sans pour autant regardé sa mère, il haussa les épaules et reprit la parole.

Bah j'étais avec mes copains, j'avais pas envie qu'il me fasse honte. Et puis j'avais pas envie qu'il commence à me parler, déjà qu'il criait après moi.

Anne fronça les sourcils et tourna son visage vers lui. Elle ne comprenait pas que son fils puisse réagir ainsi. De l'autre côté du mur, Harry jouait avec le bas de pull et abordait une moue boudeuse. Il faisait tout pour s'entendre avec son grand-frère, il lui prêtait ses jouets, il lui laissait utiliser ses feutres, les jeux de sa console, lui donnait les cookies avec le plus de bouts de chocolat dedans et avait même choisi lui-même un de ses cadeaux d'anniversaire.

Gabriel n'avait jamais été très démonstratif de ses sentiments, mais cette année cela semblait empirer. Il ne regardait presque plus Harry, il lui adressait à peine la parole depuis le début de l'été et faisait tout pour ne jamais se retrouver seul dans la même pièce que lui. Harry avait envie de retrouver son compagnon de jeu, et surtout son frère. Gabriel avait toujours été un exemple à ses yeux. Un modèle à suivre. Il voulait avoir autant d'amis que lui, embrasser sa première copine dans la cour de récréation, faire rire les autres, se faire inviter à des anniversaires...

Bien sûr, Harry avait des amis. Mais rien au monde ne valait le regard et la présence de son grand-frère. Alors, s'il lui faisait la tête, c'était forcément qu'il avait fait quelque chose de mal. Et il s'en voulait. De ne pas lui ressembler, de ne pas être aussi cool, de ne pas être à la hauteur.

Pardon, j'ai dû mal comprendre, tu peux répéter ça ?

C'est juste, il soupira encore, on a pas le même âge et c'est encore un bébé. Moi, je joue plus au toboggan ou à la marelle. J'ai pas besoin qu'il soit avec moi tout le temps, l'année prochaine je ne serais plus à cette école, et il va faire quoi sans moi ?

Regarde moi Gabriel, la voix d'Anne se fit plus sévère, c'est très méchant ce que tu dis là. C'est normal qu'il t'appelle, il est content de te voir.

Pas moi, j'ai pas envie que mes copains se moquent de moi.

Et pourquoi ils feraient ça ?

Parce qu'un gamin me colle. J'y peux rien s'il n'est pas capable de se débrouiller seul.

Harry ne voulait pas en entendre plus, il se mordit sa lèvre tremblante et retourna au salon. Il grimpa sur sa chaise, posa son menton sur son bras et dessina sa feuille sans grande conviction. Son goûter ne lui faisait même plus envie.

--Mais enfin Gabriel, il a cinq ans ! A son âge, tu faisais exactement pareil. Tous les enfants font ça, il a besoin d'être rassuré. Il te voit comme un modèle.

--Il devrait apprendre par lui-même, comme je l'ai fait. J'ai pas eu de grand-frère moi.

De l'autre côté, dans la chambre. Anne lançait un regard à la fois triste et noir à son premier fils, elle secoua la tête. Lui, ne semblait pas affecté ou perturbé par les mots qu'il venait de prononcer.

--Tu te rends compte de ce que tu dis ? Je veux que tu ailles t'excuser à ton frère.

--Pourquoi ?

--Parce que tu l'as blessé et surtout, ce ne sont pas des choses à dire à propos de son frère.

--Mais c'est vrai, c'est un bébé. Je suis grand, c'est normal que je ne veuilles plus tout le temps jouer avec lui.

--Ce n'est pas pour autant que tu dois parler de lui ainsi ou l'ignorer.

--Je m'excuserais pas.

--Alors, je te prive de ça jusqu'à nouvel ordre.

Avant qu'il ne puisse réagir, Anne attrape sa console sur le lit et se leva. Gabriel avait beau l'appeler, elle ne se retourna pas et retourna au salon. Elle caressa les cheveux d'Harry qui préféra laisser son dessin et se mettre devant la télévision. Elle remarqua sa tasse de chocolaté à moitié vide, et son cookie entamé, mais elle ne fit aucune remarque. Elle nettoya la table, rangea les affaires en repensant aux mots de Gabriel.

Le père de famille ne rentra qu'aux alentours de dix-huit heures trente. Harry avait déjà pris son bain et il terminait ses coloriages sur la table basse, devant un dessin-animé. Gabriel n'était pas encore sorti de sa chambre, mais Anne n'avait pas cédé à la tentation d'aller le voir. S'il voulait bouder, ce n'était pas son problème. Il devait retenir cette leçon et apprendre que ce n'était pas tolérable de traiter son frère de cette manière.

Exténué, Arthur posa son sac dans l'entrée et retira sa veste ainsi que ses chaussures. Il se rendit directement au salon, embrassa sa femme sur la joue et passa rapidement ses doigts dans les boucles d'Harry. Le garçon ne bougea pas et continua son dessin, toujours blessé par les mots de son frère. Le père retourna en cuisine et piqua un morceau de cookie.

Gab est là ?

Dans sa chambre, soupira Anne, je te laisse t'occuper de lui. Je l'ai puni.

Pourquoi ?

Il a ignoré Harry à l'école, et il pense que c'est encore un bébé et qu'ils ne doivent plus jouer ensemble.

Oh, des disputes d'enfants. Tu les connais, ils font ça tout le temps.

Ce n'est pas une raison, je ne trouve pas ça bien qu'il mette son frère de côté comme ça.

Mais tu sais, Harry a besoin de comprendre qu'il sera bientôt seul et qu'il ne pourra pas toujours compter sur son frère.

Seulement à l'école, oui. Enfin, même ici Gabriel l'éloigne depuis plusieurs mois, tu ne l'as pas remarqué ?

Arthur secoua la tête et Anne soupira encore. Elle avait toujours rêvé d'avoir des enfants qui s'entendent à merveille et créés un lien unique. Mais plus les années passaient, plus elle avait l'impression que Gabriel se détachait d'Harry, malgré les efforts du plus petit pour le garder à ses côtés.

Son mari retira sa cravate de travail et lui assura qu'il irait parler à l'aîné de la famille. Anne termina de préparer le repas. Au moment de manger tous ensemble, Gabriel n'ouvrit par la bouche et avala les aliments dans son assiette le plus rapidement possible. Harry ne toucha presque pas sa part et gardait ses yeux rivés sur ses couverts.

Arthur alla voir son plus vieux fils quelques minutes après, laissant sa femme débarrasser la table. Quand il revint, il avait redonné sa console à son fils et Gabriel n'avait présenté aucune forme d'excuse à son frère. La femme de la maison soupira, mais ne fit aucune remarque. Elle en avait assez de se battre seule pour maintenir garder ensemble cette famille qui ne tenait plus qu'à un fil.

Depuis sa naissance, Arthur avait toujours été très proche de Gabriel. Ils jouaient ensemble aux jeux-vidéo, au football, au basket, il l'aidait à faire ses devoirs. Mais envers Harry, c'était différent. Il était plus distant et réservé. Il lui consacrait peu de temps libre pour jouer avec lui, et semblait privilégier son lien avec son premier fis. Harry se concentrait alors sur toute l'attention et l'amour que sa mère pouvait lui donner, en contre-partie. Même s'il pensait encore que c'était de sa faute, qu'il faisait tout de travers.

Anne accompagna ensuite Harry au lit, elle lui caressa la joue et le laissa choisir une histoire. Il se glissa sous les couvertures avec son exemplaire du Petit Prince, tenu fermement entre ses petites mains. Elle alluma la lampe de chevet qui reflétait des étoiles au plafond et se débuta la lecture.

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