Je n'ai pas ouvert ce carnet depuis presque trois ans. Je n'y ai plus jamais écrit non plus. Je n'en avais plus besoin. Pourtant, je ne suis pas arrivé à la dernière page, il en reste encore une dizaine. Poussiéreuses et abîmées.

Mais, je ne m'en suis jamais séparé. Tout simplement parce ce carnet a une âme. Je l'ai toujours senti. Il a vécu des choses avec moi, il m'a accompagné. Il a été mon meilleur ami dans le silence, les pleurs, la joie, la peur, l'amour, la tristesse, la colère... Mais surtout, il m'a fait rencontrer Louis. Et ça, je ne pourrais jamais l'oublier. Ce n'est pas un événement qu'on efface. Je ne veux jamais m'en séparer.

Cependant, je n'ai jamais arrêté d'écrire.

Il y a trois ans, Louis m'a offert un nouveau carnet à Noël. Il y avait une petite étoile dessinée sur une couverture bleu nuit. Ce carnet là aussi a une âme. L'âme d'une autre histoire. Je n'y écris plus ma vie, pas vraiment.

J'y ai couché tous les mots de mon roman. Je l'ai fais lire à Louis après plus d'un an et demi de travail. Puis, il m'a poussé à le publier. Ou plutôt, il m'a aidé. Il travaille en maison d'édition, ça n'a pas été bien compliqué pour lui de tirer quelques ficelles, de chercher des contacts. Je n'ai pas eu de traitement de faveur pour autant, ils ont adoré mon histoire. Réelle. Tranchante. Vive.

J'ai dédié ce livre à ma mère et à Louis, je lui ai offert un exemplaire. Il a pleuré en relisant chaque page. Il m'a pris dans ses bras et il m'a dit je t'aime jusqu'à ce que ses mots n'aient plus aucun sens. Mais à mes yeux, ils ont toujours de la valeur.

En trois années, il s'en est passé des choses. Après mon hospitalisation, nous nous sommes davantage rapprochés avec Louis. Il me berçait la nuit quand je faisais des cauchemars, encore il y a quelques nuits. Il laisse la lampe de chevet allumé tout le temps. Un vrai ange.

Il m'a aidé dans mon combat contre « mon frère ». Ça été long, laborieux, pénible, douloureux... J'ai beaucoup pleuré et souffert. Mais la justice s'est rangé de mon côté. Gabriel est aujourd'hui sous les barreaux, pour une peine de cinq ans et une amende copieuse. Ensuite, il n'aura plus le droit de s'approcher de moi, de me contacter, de chercher à me nuire ou bien il retournera sous les barreaux.

Sinon, nous avons emménagé ensemble, Louis et moi, lors de l'anniversaire de nos un an, dans un appartement un peu plus grand. Nous pouvons étaler nos livres partout au salon et dans la chambre, Hercule se fait un plaisir de se rouler dans notre lit ou sur le canapé.

Nous avons aussi adopté un petit chiot à qui il manque un oeil, j'ai craqué dessus et Louis n'a pas résisté longtemps non plus. Les deux animaux se sont plutôt bien accommodés.

Louis me fait toujours la lecture de temps en temps, il s'est trouvé une passion pour me laver les cheveux et il me regarde mettre mon vernis à ongle.

Rien n'a changé.

Je suis devenu un membre de sa famille, sa mère me considère comme son propre fils et j'ai l'impression d'avoir toujours été avec eux.

Je n'ai plus aucune raison d'être malheureux. Même s'il m'arrive parfois d'être triste en pensant à ma mère, à toutes ces années de silence et de souffrances.

Aujourd'hui, j'ai décidé de mettre un point final à ce carnet.

Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de Louis et j'ai une jolie bague qui l'attend impatiemment dans la poche de mon manteau.

Aujourd'hui, je vais demander Louis en fiançailles. Sur la plage. Là où on a vécu notre premier baiser. J'ai peur, mais je sais que j'ai fais le bon choix. Je lui dois bien cela, après tout ce qu'il a fait, tout ce qu'il a traversé pour moi. Sa mère est complice, elle m'a assuré qu'il allait certainement accepter en pleurant.

Ce n'est pas la fin de notre histoire, seulement de celle-ci. Je ne vais certainement plus jamais écrire dans ce carnet, mais je ne m'en séparerai pas non plus. Il restera un souvenir. Une part de moi. Mais je dois avancer, parce que c'est le début de quelque chose de nouveau.