Chapitre vingt-sept :

               Quand j'entre au salon, je vois l'homme qui tient fermement le bras d'Harry et lui jette un regard noir. Son visage est crispé par la colère. Je ne peux pas voir celui d'Harry, il est dos à moi, et la tête baissée. Tout son corps voûté et recroquevillé. Je n'accepte pas d'écouter sagement cet homme insulter et manquer de respect à mon petit ami, je n'accepte pas de me taire et de faire comme si je n'entendais rien. Je suis incapable de rester inerte. Et je crois que, à ma place, n'importe qui serait intervenu.

Je n'en ai rien à faire qu'il fasse presque deux têtes de plus que moi, qu'il soit plus musclé et âgé. A ce moment précis, je ne pense plus qu'au bien d'Harry. Je ne suis pas un héros, mais il n'est pas non plus une victime. Et je n'ai pas le droit de le laisser dans une telle situation. Livré à lui-même face à un homme qui use de son pouvoir pour le détruire. Avec ses mots acérés et ses poings.

– Lâche le.

Ma voix est bien plus froide que ce que j'aurais cru, je suis assez impressionné de ne pas trembler comme une feuille. De savoir garder une posture droite et assurée. Je n'ai pas peur. Pas pour moi du moins, mais pour Harry. J'ai simplement envie qu'il le laisse, qu'il sorte de sa vie. Mais au vu du regard que pose sur moi cet homme, il compte bien s'amuser un peu.

Harry tourne son visage vers moi, ses yeux remplient de larmes s'arrondissent, il secoue la tête et murmure mon prénom du bout des lèvres. Je ne peux pas me taire, fermer les yeux et me cacher, j'espère qu'il comprendra. Mais je ne crois pas qu'il m'en veuille, je ne lis que de la peur dans son regard.

– Ah, tiens... il t'a ouvert finalement ?

Le ton ironique qu'emploie cet homme me fait grincer les dents, je serre mes doigts entre eux et reprends mon souffle. Un petit sourire malicieux prend place sur son visage.

– Je t'ai demandé de le lâcher, tu es sourd ?

Je crois que la façon dont je m'adresse à lui ne lui plaît pas, car il perd son sourire. Mais il finit par lâcher le bras d'Harry. Il se recule d'un pas et je voudrais m'avancer pour le prendre contre moi, lui murmure à l'oreille que ça va aller, que je suis là.

Mais je n'ai pas le temps de faire un geste, l'homme hausse un sourcil et s'avance vers moi en gonflant son torse. Comme si ce simple geste allait m'impressionner. Je ne suis pas le genre de personne à se battre, je suis contre la violence et je sais que ça ne résout aucun problème de rendre les coups. Je préfère que ce soit moi qui les prennent, plutôt qu'Harry. Même si je ne connais pas toute son histoire, ou son passé, je crois qu'il a assez subi pour toute une vie.

– Pour qui tu te prends exactement ?

Son ton est glacial, son regard tout aussi froid. Pourtant, je ne baisse pas le mien. Je prends ma respiration, calmement, je ne veux pas m'énerver. Simplement qu'il s'en aille.

– Je n'ai jamais prétendu être qui que ce soit, je réponds doucement, je demande que tu prennes la porte, c'est tout.

– C'est tout ?

Un rire jaune sort de sa bouche, il secoue la tête et s'approche encore. Deux ou trois pas nous séparent. Harry s'avance aussi, son visage est affolé et déjà humide de larmes. Il essaie de s'interposer entre nous, en nous disant d'arrêter, mais l'autre le repousse d'un bras et il se retrouve poussé contre le canapé.

S'il y a bien une chose qui me révulse, c'est la violence gratuite. Et Harry a l'air d'être habitué à se faire taper dessus, sans raison apparente. Je serre les poings et tente de le rassurer du regard. Mais il est loin d'être calme, il respire vite et sa poitrine se soulève lourdement au rythme de son souffle.

– Est-ce que tu sais qui je suis ?

Mon attention se retourne vers l'homme, il me lance un regard qui pourrait me tuer sur place. Peut-être que son jeu fonctionne sur Harry, mais pas sur moi. Je hausse les épaules et lui répond avec détachement :

– Honnêtement ? Je n'en ai rien à faire. Je sais juste que le bon à rien ici, ce n'est pas Harry mais toi.

Et je crois que ma réponse est loin de lui plaire, elle le pousse à bout, il inspire un grand coup, je vois ses épaules se soulever. Puis, il fonce sur moi, empoigne le col de mon tee-shirt, le visage rouge de colère. Mon dos retrouve le mur, j'ai cependant le réflexe de poser mes mains sur ses épaules et le repousser subitement.

Il me lâche, recule de quelques pas. Sa respiration est forte. Je crois que j'entends Harry pleurer, crier aussi. Je ne sais pas où je trouve le courage, mais je dis froidement comme si ça sortait du plus profond de mes entrailles :

– Ne me touche pas, je te préviens.

– Tu veux que je te dises ? Il rit et secoue la tête. Ta tronche m'est jamais revenue, je savais que tu étais un petit merdeux comme lui... Apparemment, il sait trouver que des petits malades mentaux qui lui ressemblent. J'aurais dû appeler les flics l'autre jour.

– Je sais ce que tu fais, je l'ai vu. Crois moi, tu ne feras pas ton malin bien longtemps.

Dans un excès de rage, il fait valser la table basse où reposaient des verres et des livres. La vaisselle explose au sol, la table est retournée et le bruit résonne lourdement dans ma tête. Mélangé à la respiration paniquée d'Harry. Il s'est réfugié dans un coin de la pièce, tremblant comme une feuille. J'ai légèrement sursauté sur le moment, mais je retrouve mes esprits en quelques secondes.

Le regard de l'homme se voile, la colère, la haine, la rage, la peur aussi. Je ne sais pas réellement comme décrire ce que j'y lis, mais ça fait froid dans le dos. Il s'approche de moi, je retiens mon souffle. Le sien a l'odeur de l'alcool pur et la cigarette.

– Répète un peu ça.

– Tu m'as très bien entendu, ma voix n'a jamais été aussi ferme. Maintenant, tu sors d'ici.

– Oh, parce que c'est toi qui décides pour Harry à présent ?

Après avoir lâché un rire, il se recule et me jette un regard dédaigneux de haut en bas. Je m'autorise à reprendre mon souffle. Les battements de mon cœur ne se calment pas. J'ai besoin qu'il parte. J'ai besoin qu'il parte pour aller consoler Harry.

– Non, mais je sais ce qu'il veut.

– Ah ouais ?

– Oui, toi hors de sa vie.

– Alors c'est ça ? Tu te tapes mon abruti de frère, et tu crois le connaître par cœur ça y est ? T'es là depuis quoi, deux trois mois et tu penses pouvoir me virer de sa vie comme ça ? Tu ne le connais pas, tu ne me connais pas, tu sais pas ce qu'on a vécu et tu ne sauras jamais parce que ce débile est incapable de parler ou de se défendre. T'es personne et t'auras jamais le contrôle de sa vie !

Son frère, donc. J'ai les larmes qui me montent aux yeux à l'idée qu'une personne aussi proche de lui, par les liens du sang, de la famille, puisse lui vouloir autant de mal. Puisse lui faire subir une telle souffrance.

Ce n'est pas étonnant qu'Harry soit à ce point traumatisé, si cela dure depuis leur enfance. Il est remplié sur lui-même dans un coin, ses doigts serrés dans ses cheveux, sa tête contre ses genoux. Des sanglots secouent son corps. Je dois vraiment le faire partir. Je ne peux pas supporter ça plus longtemps. Alors, je joue la carte du mensonge, en espérant que ma dernière tentative fonctionne :

– Je te conseillerais de partir tout de suite, parce que j'ai appelé la police là-haut.

– Tu bluffes, il me regarde durement mais son visage se tend.

– Tu veux voir mon historique d'appel ? J'aurais peut-être le temps de le montrer avant qu'ils ne soient là.... Puis j'aurais le plaisir de les voir te passer les menottes.

Sa mâchoire se contracte, ses yeux me lancent des éclairs mais je ne perds pas mes mots ou ma contenance. Je n'ai pas l'intention de lâcher l'affaire ou baisser les bras face à un homme qui ne sait que montrer ses poings. Il faut que je reste fort, pour Harry.

– Sauf que tu n'as aucune preuve.

– Et toi, aucune échappatoire. Un jour ou l'autre, tu seras derrière les barreaux, demain, dans dix ou trente jours, deux mois... Peu importe, je serais toujours là. Je ne partirais pas. Et la justice sera faite, parce que je ne vais pas abandonner Harry. Surtout, tu ne poseras plus jamais la main sur lui.

À partir de ce moment, il comprend qu'il n'a plus aucune emprise sur son frère. Du moins, pour aujourd'hui. Car je suis là, et il devra me passer sur le corps s'il veut pouvoir toucher celui d'Harry. Il serre les poings, il récupère sa veste sur le bord du canapé et pointe un doigt menaçant vers nous. Moi, surtout, car Harry n'est plus à sa hauteur.

Les mots qu'il m'adressent sonnent comme une menace. Mais je n'ai pas peur, je n'ai plus peur pour Harry. Plus autant qu'avant. Je suis là pour lui, pour le protéger. Je crois que son frère a bien compris que, tant que je serais là, il ne pourra plus venir torturer Harry quand cela lui chante.

– Je reviendrais.

– Je serais là pour t'accueillir.

Après un dernier regard de travers, il s'en va. La porte claque derrière lui, fait vibrer les murs. Je ferme à clefs et je me précipite ensuite vers Harry en faisant attention de ne pas marcher dans le verre. Une fois agenouillé face à lui, je pose une main sur son genou et une autre sur sa nuque. Il sursaute légèrement. J'essaie de lui faire relever la tête, ou l'amener dans mes bras, et après plusieurs secondes de refus, il relève son visage vers moi. A peine cinq secondes, mais j'ai le temps d'y lire toute la peur et la tristesse du monde.

En réalité, tout s'est passé très vite. En à peine dix minutes. Les dix minutes les plus intenses de ma vie. Mon cœur se retourne à cette vision. Harry est comme un enfant traumatisé. Je glisse une main contre sa joue humide, il ferme les paupières et étouffe un sanglot. Sans attendre, je le prends dans mes bras et le serre de toutes mes forces. J'évite de l'étouffer, mais lui aussi s'accroche à moi. Il tremble, il pleure dans mon cou pendant de longues minutes. Exactement comme la fois où il est venu me retrouver dans ma famille.

– Je suis là, Harry. Je ne pars pas, je suis là. Ça va aller.

Je lui répète ses mots en boucle, dans des murmures et caresse ses cheveux ou son dos. Sa respiration est forte et rapide contre mon oreille. Mon cœur n'a toujours pas retrouvé un rythme normal. Quand il semble se calmer, je l'aide à se relever. Il se tient à moi, toujours, et je l'emmène dans la chambre. Hercule, monté sur un siège, nous regarde curieusement.

– Lou...

Sa voix est teintée de larmes, je secoue doucement la tête et embrasse son front. Une fois que nous avons atteint le lit, je l'allonge puis murmure :

– Repose toi, Haz. On en parlera plus tard. Il est parti, c'est le plus important. Il n'est plus là, il ne te fera plus de mal... promis.

– Désolé...

– Non, tu n'as pas à t'excuser. Surtout pas pour ça. Il finira par payer, tu ne peux pas vivre comme ça plus longtemps Harry, tu m'entends ? Je refuse de te voir subir ce qu'il te fait.

Il me regarde à travers ses yeux humides, hoche la tête. Sa main, glacée et encore tremblante, vient chercher la mienne. Du bout des lèvres, il me murmure de rester. Je lui offre un sourire rassurant et m'étend à ses côtés.

Nous nous couchons tous les deux, enlacés. Mes bras n'ont jamais tenu quelqu'un aussi longtemps, et on ne s'est jamais accroché à moi avec autant de désespoir. Nous ne nous lâchons pas, je le berce jusqu'à ce qu'il semble dormir. Moi, je n'arrive pas à fermer l'oeil. J'ai les images de cette scène qui me tournent dans la tête.

J'envoie un message à Zayn pour le prévenir que je ne viendrais pas chez lui ce soir, qu'il y a eu un problème avec Harry. Il me répond presque aussitôt de manière inquiète, me demande si tout va bien. Je lui écris que je l'appellerai plus tard pour lui raconter.

Je pose mon portable sur la table de nuit et regarde Harry, il a retrouvé un semblant de sérénité depuis tout à l'heure. Avec ce qui s'est passé aujourd'hui, je suis soulagé d'être resté dormir chez Harry, sinon je ne sais pas ce qu'il lui serait encore arrivé.

En tout cas, ce qui est certain, c'est que plus jamais il ne se retrouvera dans cet état. Malheureusement pour son frère, je suis entré dans sa vie et je ne compte pas en sortir de si tôt. Harry n'est plus tout seul.

Nous nous tenons l'un à l'autre, pour entendre nos cœurs battre, pour ne pas sombrer. Il a autant besoin de moi que j'ai besoin de lui.

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