Chapitre un :
Quatre livres sous le bras, je me dirige vers les fauteuils qui se trouvent au milieu de la pièce, entre les étagères débordantes de livres. A cette heure tardive de fin de journée, peu de personnes sont encore présentes, et je profite de cette tranquillité environnante pour me plonger dans une lecture calme.
Le silence m'entoure, alors que la douce odeur des livres anciens ou neufs me chatouille les narines. Un parfum ambiant dont je ne me laisserais jamais. Au loin, il y a le brouhaha et l'écho faible des voix à l'entrée de la librairie, mais cela ne dérange en aucun cas ma lecture. Si bien que j'en perds la notion du temps.
Ici, je suis comme sur une autre planète. Entouré d'ouvrages en tout genre, en plusieurs langues, de différentes époques ou styles. A chaque fois que j'entre, je laisse tous mes problèmes derrière moi. Mon portable est en silencieux, mon esprit plongé dans ces phrases que je dévore à tel point qu'il est difficile de m'en détacher. Pendant de longues heures, ou même parfois plusieurs minutes, je deviens invisible, injoignable. Je suis enfermé dans mon propre monde.
J'ai déjà terminé deux livres, que j'ai déposé à côté de moi sur une table basse, et je sais que je vais en ramener au moins un dans mon appartement. Alors que j'entame le troisième, celui qui va clore ma journée, mon regard se pose sur une silhouette qui déambule entre les allées.
D'abord, je remarque ses boucles brunes qui caressent son visage aussi juvénile que le mien, toutefois ses traits sont un peu plus tirés, puis ses orbes vertes qui semblent s'accommoder à l'environnement avant de se poser sur un livre. Il en tient déjà deux contre sa hanche, même si je crois que l'un deux ressemble plus à un carnet qu'à un livre.
Pendant un long moment, je l'observe simplement. Il vogue entre les rayons, fait presque le tour de la librairie à la recherche d'un autre titre qui pourrait lui plaire. Et moi, je n'ai toujours pas lu la première page de mon troisième ouvrage, je n'y prête plus attention. J'ai trouvé bien plus intéressant que mes lectures.
Finalement, il se dirige bredouille vers la caisse pour payer son unique achat. Je me lève à mon tour, rassemble mes affaires et mes livres, sans vraiment réfléchir à ce que je fais. Je pourrais aller l'aborder, lui faire partager mes goûts littéraires, certains pourraient lui plaire et l'aider à trouver peut-être son prochain coup de coeur, il échangerait quelques mots avec moi sur ses goûts en matière de lecture et on finirait par repartir avec de nouveaux titres qui s'ajoutent déjà à une longue liste...
Mais je crois que ce ne sera pas pour aujourd'hui, parce qu'il s'en va. Il regarde autour de lui, son visage accablé par une sorte de terreur, il pose son livre n'importe où et sort. Précipitamment. Je fronce les sourcils et me demande ce qui a bien pu l'effrayer ainsi. Mon regard se pose sur l'ouvrage qu'il vient de déposer au hasard sur la table qui présente les nouvelles sorties de la semaine. D'après le résumé assez équivoque, l'histoire aborde le sujet des étoiles. Je ne peux m'empêcher de sourire. Et, sans hésiter, je l'ajoute au petit tas d'ouvrages qui viendront remplir ma bibliothèque personnelle.
Après avoir passé le monde à la caisse, j'ai l'espoir de le voir encore dehors. L'espoir de pouvoir lui donner son livre, lui demander s'il l'a déjà lu, s'il connaît l'auteur, ce qu'on a pu lui en dire, pourquoi avoir voulu acheter celui-là en particulier. Mais, je me retrouve sur une rue calme et presque déserte. Je ne peux retenir un soupir. Je n'ai encore jamais vu ce garçon à la librairie, mais j'espère fortement avoir l'occasion de l'y recroiser. Il est à peine dix huit heures trente, je ne suis resté là qu'une petite heure et demie, le jour n'est pas encore couché et je refuse de m'enfermer maintenant dans mon appartement. L'idée d'aller lire au parc me vient en tête, qui plus est j'ai de quoi satisfaire mes envies avec le sac que je tiens à bout de bras. Juste avant de me mettre en route, je regarde mon portable. Deux appels manqués et un message.
Je vais chercher le prénom de mon meilleur ami dans mon répertoire et l'appel, il décroche rapidement au bout de deux sonneries.
– Oh Louis, j'allais justement te rappeler !
– Qu'est-ce qui se passe ?
– J'ai une grande nouvelle à t'annoncer, mais je ne veux pas te le dire par téléphone.
– Tu veux que je passe à l'appartement ?
– Non, rejoins-moi au café. J'y suis déjà, je t'attends.
Après lui avoir confirmé mon arrivée, je fais demi-tour et me dirige vers le café où nous avons maintenant pris l'habitude d'aller, Zayn et moi depuis que nous fréquentons l'université. C'est un petit commerce chaleureux, à une dizaine de minutes de chez nous et aux choix abondants. Il y en a vraiment pour tous les goûts. J'affectionne tout particulièrement m'y rendre à la période hivernale, ils offrent aux consommateurs des tasses en plastiques ornées de dessins de Noël. Zayn se moque souvent de moi à ce sujet ou quand j'accepte un motif saugrenu au-dessus de mon café avec de la mousse au lait.
Une fois arrivé à destination, je pousse la porte du commerce. Les serveurs, qui sont habitués à me voir, me saluent et je leur offre un sourire. Je vois mon meilleur ami, installé à une table près des fenêtres et vais prendre place en face de lui. Je dépose mon sac à mes pieds et Emily, une des employés, vient me voir pour me demander ce que je souhaite consommer.
– Comme d'habitude, s'il te plaît.
Elle repart avec un sourire et ma commande déjà en tête. Je vois les lèvres de mon meilleur ami s'étirer en un sourire et je l'interroge du regard. Il pose ses coudes sur le rebord de la table, sa tasse de café devant lui et une petite assiette vide, il s'approche de moi pour m'expliquer :
– J'ai reçu ce matin un mail de l'école, ils ont accepté ma demande ! Je suis pris !
– Mais c'est formidable Zayn !
Je ne peux m'empêcher d'être heureux pour lui. Zayn a toujours rêvé de travailler dans l'art, il en est constamment entouré. Comme moi avec mes livres. Nous fréquentons la même université, même si nos cours n'ont rien en commun et nous sommes d'ailleurs dans deux bâtiments opposés. Mais je le vois tout le temps épanoui, plongé dans un environnement qui lui correspond à merveille. Ce n'est pas étonnant qu'il soit accepté, il travaille dur, il est sérieux et passionné. Il dessine et peint avec son coeur, il y met toute son âme et les directeurs de l'école ont dû reconnaître son talent.
Même s'il essaie de le cacher, je vois ses yeux briller de bonheur et je ne peux qu'être fier de lui. Depuis notre sortie de la licence, il y a un mois, il ne cesse d'être sur les nerfs et stressé quant à son avenir. Cette école est son rêve d'enfant, alors j'imagine qu'un énorme poids doit s'être ôté de ses épaules maintenant. Pour lui exprimer mes félicitations, je viens serrer affectueusement sa main dans la mienne. Il ressemble à un enfant le matin de Noël.
Emily m'apporte mon éternelle commande, un thé dont j'ai raffolé à la première dégustation et que je ne cesse de prendre depuis ce jour-là. Parfois accompagné d'une viennoiserie ou d'une petite part de gâteau, il n'est pas rare. Je la remercie et reprends la conversation avec mon meilleur ami.
Jusqu'à ce que je le remarque, encore. Il entre, regarde autour de lui, s'assoit à une table et pose un carnet dessus. Emily s'avance vers lui pour prendre sa commande, il secoue simplement la tête et je pense que, même s'il ne consomme pas, elle va le laisser passer un petit moment ici. Ce n'est pas professionnel, mais elle a un coeur en or et actuellement peu de clients.
Pendant de longues secondes, je l'observe. Ouvrir son carnet, prendre un stylo et poser des mots dedans. Il est très concentré, son écriture est rapide et l'emporte. Moi avec. Ses sourcils se froncent, il se redresse et lève son regard. Ses émeraudes tombent directement sur moi. Je crois que nos yeux s'accrochent durant un moment, parce que Zayn me parle, mais je n'écoute plus. Finalement, il tourne lui la tête vers là où mon attention est fixée. Les sourcils froncés, il murmure, une fois face à moi :
– Tu le connais ?
– Non. Pas vraiment.
– Comment ça ?
– Je l'ai vu à la librairie.
Mon meilleur ami lève les yeux au ciel et un faible sourire apparaît alors sur les lèvres du jeune inconnu. Sans s'attarder, il baisse à nouveau son regard sur son carnet et se laisse emporter par les flots de ses mots. Et moi, fasciné, je ne peux pas détacher mon attention de lui. Ce n'est pas seulement son charme physique, il est aussi très intriguant et semble être une personne assez intelligente. Assez pour m'intéresser. Pas forcément en terme de relation amoureuse, mais pour lier une amitié ou un échanger des discussions sur les livres. Son intérêt pour la littérature n'a pas échappé à mon regard de lecteur. Je l'ai vu déambuler de longues minutes dans les allées, il doit y passer autant de temps que moi. Têtu comme je suis, je ne peux pas laisser passer une telle opportunité. Même s'il doit trouver cela étrange qu'un inconnu l'aborde pour une chose aussi simple et banale. Qui ne lit pas, après tout ? Chaque personne a ses goûts, ses habitudes, ses genres ou auteurs préférés. Mais je ne manque jamais de remarquer quand quelqu'un lit réellement. Lit pour vivre, pour exister.
Lorsqu'Emily passe entre les tables, je l'intercepte et lui demande de lui donner le même thé que le mien et de le mettre sur ma note. Ça me fait mal au coeur de voir un simple verre d'eau, encore remplit, sur la table.
J'essaie de suivre la conversation avec Zayn, il remarque que je suis ailleurs, mais ne dit rien. Il est habitué. Il sait que je suis toujours un peu dans la lune et que j'ai des moments où je me perds dans mes pensées. Sauf que là, elles ne sont occupées que par ce jeune homme. Emily s'avance vers sa table avec une tasse fumante, je me mords la lèvre et retiens un sourire en voyant l'expression confuse et surprise sur son joli visage. Je crois qu'elle lui explique que c'est de ma part, parce que ses yeux verts se lèvent ensuite directement sur moi. Et me fixent. C'est intimidant et envoûtant à la fois.
On reste quelques secondes à s'observer, puis il se remet à écrire et je me concentre sur les mots de mon meilleur ami. Du coin de l'oeil, je le vois boire son thé, son regard ne se détache presque jamais de son carnet. Et finalement, au bout de quelques minutes à peine, je le vois se lever, rester quelques secondes debout et avancer vers notre table. Lentement. Zayn se tourne aussi pour le regarder.
Je retiens mon souffle. Plus il se rapproche, plus je constate que sa beauté pourrait rendre jaloux le soleil. Il ne regarde que moi, il ne fait même pas attention à mon meilleur ami, et je ne peux pas le blâmer parce que j'agis de la même façon. Ses lèvres s'entre ouvrent lentement, il semble chercher ses mots, sa respiration. Mais la confusion apparaît sur son visage, et peut-être la peur aussi que je peux discerner dans ses émeraudes.
Au moment où j'allais faire le premier pas, dire quelque chose pour le sauver de sa frayeur, il s'enfuit. Il se retourne et sort, aussi précipitamment que dans la librairie. Et je suis bouleversé. Par son départ, son expression de panique, son regard qui a basculé vers le néant. Zayn se tourne vers moi en fronçant les sourcils.
– Qu'est-ce qu'il lui arrive ?
Je lui répond que je n'en ai pas la moindre idée. Mes yeux se détachent de la porte qui s'est refermé derrière lui, me laissant sur du vide, et se pose sur l'endroit où il était installé il y a quelques secondes à peine. Comme si regarder sa place allait le faire réapparaître.
Je ne suis pas dans un roman, il faut vraiment que je cesse d'idéaliser ma vie de cette manière. Mes lectures affectent trop mes décisions. Je ne vis pas au beau milieu d'un conte de fées, le prince charmant ne va certainement pas venir me chercher dans un café ou entre deux étagères de librairie. Et je me sens pathétique de croire qu'un jour une telle rencontre pourrait m'arriver.
Mes sourcils se froncent tandis que mes yeux se posent sur la table occupée par le jeune homme. À côté de sa tasse vide, il y a son carnet. Fermé. Sans me poser plus de questions, je me lève et vais le chercher. Zayn me regarde faire, alors que je vais rapidement dehors. Au cas où il serait encore là. Mais je ne perçois pas de boucles brunes ou d'émeraudes éclatantes. Déçu, je reviens à ma place, le carnet entre les mains. Il a certainement dû l'oublier dans la précipitation. À vrai dire, je n'ai jamais vu quelqu'un boire une tasse de thé aussi rapidement.
– Comment tu vas faire pour lui rendre ?
Encore une fois, je lui répond que j'en ai aucune idée. Mais il faut qu'il le récupère, je dois trouver un moyen de lui redonner. Parce que je crois que ce carnet lui tient beaucoup trop à coeur.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top