Chapitre trois :
Encore ébranlé par ces mots, je mets plusieurs secondes à réagir quand mon portable sonne une nouvelle fois entre mes mains. Un deuxième message du numéro inconnu. Je me précipite pour le lire, le coeur tremblant.
De Inconnu à Louis :
Avez-vous déjà eu l'impression de n'être qu'un corps sans vie ? De ne plus savoir comment vivre ?
De Inconnu à Louis :
Je crois que vous avez mon carnet, d'après la personne qui m'a donné votre numéro.
Désolé, pour ces questions...
Je n'ai pas eu besoin de lire le deuxième message pour savoir l'identité de l'émetteur. J'ai tout de suite senti que c'était lui, je l'ai reconnu. Et je ne peux m'empêcher de sourire.
Mon coeur bat intensément vite en lisant ses mots. Mais je me calme et me mords la lèvre quelques secondes. Allongé sur le ventre, je regarde les messages et réfléchis à ce que je pourrais lui écrire. Comment répondre à une telle question ? Ça me retourne l'estomac. En même temps que ça me terrifie, une sorte d'adrénaline me pousse à entrer plus en contact avec lui. Plus que pour simplement lui rendre son carnet.
Son premier message me remue encore tout l'intérieur. Je sens qu'il parle indirectement de lui, c'est certain. Il ne me demanderait pas quelque chose d'aussi délicat s'il n'était pas lui-même sûr de sa propre réponse. À mon avis, il voudrait entendre qu'il n'est pas seul. Mais aussi la vérité. De toute façon, je ne suis pas une personne qui cache mon jeu. Je préfère être franc.
Je ne sais pas si je me sens sans vie, en dehors de mon corps. Toutefois, je sais qu'il a des moments dans mon passé où j'aurais souhaité disparaître, pendant quelques jours ou mois. Rongé par la souffrance, la douleur et le chagrin. L'impression d'être seul, alors que je suis entouré. L'impression de ne jamais être assez bien pour qui que ce soit. L'impression que je ne serais jamais suffisant ou à la hauteur.
Je n'ai jamais eu une grande confiance en moi et je crois que je compense cela avec mon humour et ma manie de monopoliser la parole. Ça m'évite de penser à ce que je pourrais faire de travers ou ce que les autres pourraient penser de moi. Je suis direct et ne prends pas de pincettes, ainsi les gens autour de moi comprennent qu'il ne faut pas essayer de me faire du mal. Parce que j'y arrive déjà très bien tout seul, à vrai dire.
Et c'est vrai, des fois je ne suis plus quoi faire pour vivre sans toutes ces angoisses, toutes ces questions. Certains jours, c'est insupportable. Et je suis de mauvais humeur ou bougon quand ça arrive, quand ça prend le dessus sur moi. Pendant ces moments, il se peut que je refuse de voir Zayn ou tout simplement de sortir de chez moi. Je reste dans mon lit, enfermé, avec mon chat et mes livres. À l'intérieur d'une bulle, hors du monde. Mais je sais, ce n'est pas ainsi qu'on vit. La dernière fois que ça s'est produit, c'était il y a huit mois quand j'ai revu mon ex au détour d'une rue. Je préfère sincèrement ne plus y penser.
Je soupire, tapote nerveusement contre l'arrière de mon téléphone. Puis je me lance. Il faut que j'arrête d'avoir peur. Après tout, c'est lui qui s'est enfui sans son carnet, les yeux ronds comme s'il venait de voir un fantôme, incapable de prononcer un seul moi. Je pense que dans cette histoire, ce n'est pas moi qui suis le plus effrayé.
De Louis à Inconnu :
Peut-être que récupérer votre carnet vous aiderez à vous sentir entier ? Je suis disponible quand vous voulez.
Je l'envoie, reprend mon claver et écris un autre message pour compléter.
De Louis à Inconnu :
Et pour répondre à vos questions, oui.
A peine une minute plus tard, mon téléphone signale un nouveau message. Je n'ai jamais tapé aussi vite afin de voir une réponse. Même Zayn se plaint que je mets du temps à répondre à ses appels ou ses sms. Des fois, je suis trop plongé dans ma lecture pour avoir le courage ou l'envie de décrocher ou d'écrire en retour. Puis, la plupart du temps, mon cellulaire est en silencieux.
De Inconnu à Louis :
Je suis désolé...
Êtes-vous disponible maintenant ?
Il me dit qu'il est désolé, je souris doucement, ce n'est pas de sa faute. Cependant, il ne m'en faut pas plus. Je lui demande si ça lui convient de se rejoindre au café, il me répond positivement, alors je me prépare. D'abord je remets mes cheveux en place après cette sieste impromptue dans le canapé, j'éteins la télévision, je prends le carnet, ainsi que le livre que je lui ai acheté et me mets en route.
Le trajet est court. Comme je vais vite, pressé et impatient, j'arrive au bout de huit minutes. Un peu essoufflé, je dois bien l'avouer. J'entre dans le café, je salue les serveurs et regarde autour de moi. Heureux de constater qu'il n'est pas encore arrivé, je ne préfère pas qu'il me voit dans cet état là.
Je m'installe, commande deux thés à Emily. Le carnet et le livre sont posés sur la table, devant moi. Je joue nerveusement avec le bout de ma serviette en guettant la porte d'entrée.
Finalement, je le vois arriver. Il pousse la porte. Vêtu d'un pull couleur lavande qui lui donne un teint de pêche et une peau de bébé. Son regard vagabonde une seconde autour du café, puis tombe sur moi. Il s'avance et s'assoie. Mon coeur bat fort parce qu'il est magnifique. Ses cheveux épousent son doux visage et je retiens mon souffle quand il prend place face à moi. Si près de moi.
Tout de suite, je pousse vers lui d'une main un peu tremblante le carnet et le livre. Il baisse les yeux vers eux et il reconnaît l'ouvrage, un faible sourire apparaît sur ses lèvres. Je vois que ça le touche. Le bout de ses doigts passent dessus, puis il relève sa tête vers moi. Il me regarde avec un air surprit et des yeux brillants. Il m'adresse directement son sourire doux et timide. Je crois que je rougis, je ne sais pas, je ne vois que ses émeraudes. Partout.
Je crois qu'il essaie de me dire quelque chose, mais comme la dernière fois ça bloque. Il n'y arrive pas. Je fronce les sourcils en le voyant sortir son téléphone de sa poche. Mes yeux se posent sur la coque rose pâle de son portable et ses grandes mains qui le tiennent. Quelques bagues ornent ses longs doigts, ses ongles sont colorés de vernis assorti à la couleur de son pull. Est-ce que tout est réellement attirant chez lui ou c'est moi qui sublime tout ?
Rapidement, mon cellulaire se met à sonner quand il repose le sien. Je crois comprendre. On se regarde quelques secondes puis je dérouille mon téléphone. Je vais lire le message. Son message. Je sais que c'est lui et je souris.
De Inconnu à Louis :
Merci infiniment. Je suis profondément touché, ce livre compte énormément pour moi. Je ne mérite pas tant de gentillesse, je vous dois tellement. Encore merci.
Une fois que je relève mon visage vers lui, je vois qu'il se mord la lèvre et semble préoccupé. Je ne suis pas un expert pour lire l'expression des autres, mais je crois qu'il attend une réponse ou un signe. Que je ne vais pas fuir, parce qu'il n'ose ou ne peux pas parler.
Dans tous les cas, peu importe. Il est touché par mes gestes, il est sincère. Je le lis dans ses yeux. Je ne peux en être qu'heureux. Alors, je comble le silence. J'ai l'habitude et ça me met étrangement très à l'aise, de lui parler.
– Ce n'est rien, c'est normal... Ce n'est qu'un livre. Si ça peut vous faire sourire ainsi.
Mes joues rosissent, ses émeraudes me brûlent soudainement. J'ai parlé un peu trop vite, sans réfléchir. Je baisse le regard vers sa tasse encore fumante que je pousse vers lui, un léger sourire timide sur le coin de mes lèvres.
Il me renvoie mon sourire et incline sa tête lentement, pour me remercier. Je ne veux pas laisser de blanc s'installer entre nous, je n'ai pas non plus envie de perdre des secondes inutiles à chercher mes mots. Je ne veux pas qu'il me file entre les doigts, même s'il a l'air d'apprécier ce moment tout autant que moi.
– Tenez... J'ai lu le livre, je l'ai adoré. Il est vraiment touchant et poétique. Je crois que ça va devenir un de mes livres préférés aussi.
Et ainsi, je me lance dans un monologue sur mon ressenti face à cette lecture captivante. Mais cela ne le gêne pas, il ne me lâche pas du regard, il me sourit parfois, il hoche la tête, il déguste son thé et m'écoute parler pendant de longues minutes.
Des minutes qui se transforment en une heure et demi. J'ai occupé tout ce temps à parler de livres, de mes ouvrages favoris. Mais pas seulement. Ce n'était pas à sens unique. Loin de là. Il me répondait par messages quand il voulait construire une réponse plus précise qu'un dandinement de la tête. J'ai pu en apprendre sur ses goûts littéraires et musicaux, on a beaucoup de points en commun, je suis ravi et comblé. Je crois que ça se voit au sourire lumineux qui occupe mes lèvres.
On a fini notre thé, il se ressuie la bouche avec la serviette et je joue avec le sachet vide de mon sucre. J'aurais encore envie de lui parler pendant des heures, mais ce ne serait pas raisonnable. Il a encore sûrement d'autres choses à faire, plus intéressantes que parler avec moi. Ou plutôt m'entendre parler sur tout et n'importe quoi. Avec lui, je pourrais faire ça toute la journée.
Au moment où j'allais proposer de se quitter, il prend son portable et tapote quelques secondes. Je vais lire son message, il m'adresse un sourire timide.
D'Inconnu à Louis :
Laissez-moi payer la consommation s'il vous plaît, vous m'avez déjà offert énormément. Ce serait la moindre des choses, je vous suis redevable.
Je ne peux pas lui refuser cela, au vu du regard qu'il me lance. Il a son carnet, son livre, je lui ai déjà acheté une collation lors de notre rencontre il y a une semaine. Je hoche la tête et, le coeur un peu lourd, je me lève en même temps que lui.
On se dirige ensemble vers la caisse, il vérifie bien qu'il a pris ses deux biens et je lui souris. Il paye et je l'attends, admirant son visage que je ne reverrais peut-être pas de sitôt. Je n'ai pas envie que Zayn ait raison. Je veux lui prouver que je peux écrire ma propre fin.
Une fois dehors, c'est un peu plus gênant comme atmosphère. J'aimerais lui proposer une autre sortie, de se revoir, mais j'ai peur du refus. Tous mes espoirs seraient réduits à néant. Et mon coeur avec. Seulement, je crois que ça me ferait plus mal de le voir partir en ayant le regret de ne rien avoir tenté.
L'un face à l'autre, je sors une cigarette et lui en propose. Il hoche la tête et je les allume. Je suis un peu stressé, alors je fume. Maintenant, je ne sais pas comment aborder le sujet. Ce qui est un peu absurde parce que je viens de parler pendant une heure et demi. Il me regarde, tire sur sa cigarette et se pince les lèvres. Il cherche les mots, il attend, lui aussi, de trouver les bons.
– Je... Je voulais dire, merci pour le thé. C'était agréable de discuter avec vous, vous avez de très bons goûts.
Quelque chose pétille dans son regard, il coince sa cigarette entre ses lèvres et fouille dans sa poche de jean pour sortir son portable, mais je l'arrête avant qu'il ne puisse le déverrouiller. Je sais qu'il allait me remercier encore, lui aussi. Je pose ma main sur son bras et lui souris en secouant la tête.
– Pas la peine de me remercier, ça me fait plaisir. Et puis, c'était votre carnet, je présume que c'était important ?
Doucement, il baisse les bras le long de son corps et je retire ma main. Il hoche la tête et serre son carnet entre ses doigts. Aucun doute, cet objet est important à ses yeux. J'ai bien fait de laisser mon numéro à Emily, je suis fier de mon geste. C'est vrai, je ne le connais pas après tout. J'aurais pu laisser le carnet là et un serveur se serait chargé de le récupérer, de le laisser sous le comptoir si son propriétaire revenait et il aurait fini par le lire peut-être ou le mettre à la poubelle.
Je vois le doute dans son regard hésitant. Il se demande si j'ai lu, il tente de voir sur mon visage si je sais quelque chose à propos de lui ou de qu'il aurait pu écrire là-dedans. Cependant, je m'empresse de secouer la tête après avoir recrachée de la fumée.
– Je ne l'ai pas ouvert, ne vous en faîtes pas. Je l'ai gardé précieusement, même mon chat n'a pas eu le temps de poser ses pattes dessus.
Son visage se détend, il sourit, soulagé. Il ressemble à un enfant. Si je ne me retenais pas, si je n'avais pas aussi peur, si j'en avais le courage, je serais en train de caresser sa joue rosée du bout des doigts. Sentir la chaleur de sa peau.
Mais on se contente de détourner le regard, parce que c'est étrange de garder un contact visuel aussi longtemps. Même si je ne m'en plains pas. Loin de là. Nos cigarettes sont bientôt consumées, j'aimerais dire quelque chose pour le retenir. Trouver un argument pour le convaincre de rester. D'un autre côté, je n'ai pas envie de forcer les choses et qu'il en ai déjà assez de me voir.
Alors, j'écrase mon mégot contre la poubelle et le regarde faire de même. Il serre ses deux livres contre sa hanche, regarde autour de nous.
C'est moi qui fait le premier pas.
– Bon... Je vous souhaite une bonne fin d'après-midi, encore merci. Et... Bonne lecture.
Au début, j'ai le sentiment qu'il va partir sans envoyer de message. Il me regarde pendant plusieurs secondes sans rien dire, sans bouger. C'est... Extrêmement perturbant. Je crois que je rougis comme jamais. Puis il monte son portable devant ses yeux et tape une réponse. Le mien vibre dans ma poche, je sors et souris faiblement en voyant son message. Il me remercie à son tour et me souhaite une bonne fin de journée.
Un instant passe, on se regarde sans chercher à ajouter quoi que ce soit. Mon coeur bat un peu trop vite à mon goût. Est-ce qu'il faut que je lui serre la main ? Qu'on se fasse la bise ? Je ne sais pas... Mais je crois qu'il a trouvé la réponse avant moi, il m'adresse un sourire léger et son dos me fait face. Il commence à partir, je serre les poings et sens une poussée d'adrénaline monter en moi.
– Attendez... !
Il se retourne, visiblement surprit. Je m'avance de deux pas pour le rattraper. Mon souffle semble plus rapide ou plus difficile à canaliser. Peu importe, ce n'est pas ce qui m'importe le plus en ce moment. Il me regarde avec des yeux brillants et je demande, dans un murmure presque timide :
– Est-ce que je pourrais connaître votre prénom ?
Le coin de sa bouche se redresse en un sourire, il me regarde comme quelques secondes auparavant. D'une manière qui me fait chanceler. Zayn serait sûrement en train de rigoler de moi, de mon état totalement désespérant. Mais j'ai fort à parier que le jeune homme en face de moi subit la même chose. Je l'espère du moins. Que je n'ai pas mal interprété les signes qu'il m'a envoyé.
Mes joues chauffent plus encore sous son regard, ce que je croyais pas possible. Et j'attends qu'il sorte son portable pour me donner son prénom. Ou qu'il parte, pour me laisser seul avec ma peine de coeurs et mes espoirs brisés. Mais à la place, c'est sa voix qui résonne.
– Harry.
Simplement cela. Un mot. Un son. À peine un murmure. Rauque. Rocailleux. Doux. Mais ça me suffit. C'est plus que suffisant. Il me sourit, visiblement ma réaction doit être amusant parce que ses yeux pétillent de malice. C'est vrai que je ne dois pas avoir l'air fin avec ma bouche entre ouverte et ma respiration qui peine à en sortir normalement.
Mais je crois qu'il attend quelque chose en retour. Parce qu'il ne part pas. Il me regarde toujours. Et je mets quelque secondes avant de réagir, toujours bouleversé par le son de sa voix. Il attend que je décline mon identité à mon tour. D'une voix un peu moins assurée, je lui souffle mon prénom. Je ne sais même pas s'il a entendu. Il hoche la tête, toujours en souriant et reprend :
– Louis.
Puis il tourne les talons. Me laissant pantelant devant le café. Il s'éloigne et mon coeur part avec lui.
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