Chapitre trente-deux :

                          Quand finalement le médecin arrive, je retiens mon souffle et semble revenir sur Terre. Nous avons patienté presque deux heures trente. C'est interminable, je me ronge les ongles, je pleure, je tremble, je respire à peine, j'ai peur... J'ai envoyé un message à ma mère pour la prévenir, elle m'a appelé pour me rassurer et m'a dit qu'elle allait venir. Je ne voulais pas la déranger, mais elle a insisté. Et je la remercie. Parce que... Si les choses devaient mal tourner, si Harry ne se réveillait jamais de son coma, si son cœur cessait de battre, j'aurais besoin d'elle. De tout son soutient et de ses bras pour pleurer.

Je ne peux pas m'empêcher de penser à tout ces éventualités. Ces « si » qui me serrent la gorge et me donnent envie de hurler à travers mes larmes. La vie est cruelle, ce n'est pas une nouveauté, mais elle semble s'acharner sur Harry. Son frère, ses coups, ses blessures, ses maux... La simple pensée qu'il soit sous les barreaux à cet instant même me soulage, je ferais tout pour que la justice soit faite et qu'il croupisse sous les barreaux pour tout le mal qu'il a infligé à son frère.

Le médecin s'arrête devant nous et je me lève presque immédiatement, le carnet toujours entre mes doigts moites. Je ne l'ai jamais lâché depuis que Zayn me l'a confié. Comme si l'abandonner une seule seconde signifierait d'abandonner aussi Harry. Mon meilleur ami suit mon mouvement, l'homme en face de nous tient un carnet dans sa main et nous regarde. Je ne sais pas déchiffrer son regard, c'est insoutenable. J'aimerais qu'il nous dise tout maintenant, sans passer par quatre chemins.

– Bonsoir jeunes hommes, vous êtes bien ici pour Harry Styles ?

– Oui, je souffle rapidement comme incapable de respirer.

– L'opération est terminée. C'était urgent et nous devions agir vite, il perdait une dose conséquence de sang. Il s'en sort avec de nombreux hématomes, une côte fêlée et le bras dans le plâtre. Son poumon droit a bien failli être endommagé lui aussi, mais nous sommes parvenus à le soigner à temps. Ce qui est une bonne nouvelle, cela aurait pu être dramatique.

– Et maintenant, il est réveillé ?

Mon ton est brusque, je lui ai à peine laissé le temps de terminer sa phrase. Il parle beaucoup trop lentement, mon corps entier est sous tension. J'ai le sentiment que tout tourne autour de moi, une nausée affreuse qui me fait monter les larmes aux yeux. Instinctivement, je serre le carnet d'Harry tout contre mon cœur.

Chaque seconde qui défile semble des heures, et je prie silencieusement pour que ce soit une bonne nouvelle. Je prie pour qu'Harry soit éveillé dans son lit, que je puisse le voir, entendre son cœur battre, voir son torse se soulever sous sa respiration, le voir en vie. J'ai besoin de ça. Que ce soit vrai, réel, concret.

– Maintenant, tout dépend de lui. Il faut que vous compreniez qu'il a subi de nombreux coups, un traumatisme crânien important. Sans parler d'une peur intense qui a sans doute agavé son état. C'est à lui de décider de son réveil.

– Ça... Ça se peut qu'il ne se réveille jamais ?

Le médecin tourne son regard vers Zayn et inspire légèrement, avant de hocher la tête. Mon cœur se serre à l'intérieur de ma poitrine, c'est douloureux mais je ne crie pas. Je n'ai plus la force.

– Ce sont des choses imprévisibles. C'est comme un sommeil interminable, il ne se réveillera que s'il en envie, s'il en a la force. Nous faisons tout notre possible pour l'y aider, il est actuellement sous assistance respiratoire. Cet appareil nous permettra de voir s'il y réagit, donc s'il est un minimum conscient.

– Et... En combien de temps pourrait-il revenir parmi nous ?

– La durée d'un coma est variable, il peut durer entre quelques heures et plusieurs années, mais... plus il est long plus les risques sont importants. Cependant, aujourd'hui avec l'avancée de la science et nos études, les chances de s'en sortir s'améliorent.

– Mais elles ne sont pas certaines.

Mes mots ne sont plus qu'un murmure, je crois que je ne prête même plus attention aux larmes qui coulent sur mes joues. Zayn me prend dans ses bras et c'est tout mon monde qui s'écroule. La survie d'Harry ne repose plus que sur ses épaules, s'il a envie de se battre il se réveillera, s'il décide d'abandonner, il sombrera dans un sommeil éternel.

Je n'ai pas envie qu'il me laisse, c'est égoïste, mais je ne peux pas m'empêcher de penser à notre avenir. Tout ce à quoi je rêve depuis que je l'ai rencontré. Nous avons encore tellement de choses à vivre, tellement de lieux à voir, tellement de musées à visiter, tellement de livre à lire, tellement de roman à parcourir ensemble, tellement de rires et de pleurs à partager. Mais je crois que ce qui me fait le plus mal, c'est que je ne lui ai même pas dit que je l'aime. Il pourrait partir demain, sans avoir que je donnerais ma vie pour lui, sans connaître l'ampleur de mes sentiments à son égard. Et ça me tue, ça me ronge, ça me détruit.

Il n'a pas le droit de m'abandonner comme ça. Pas alors que nous venons à peine de vivre nos premiers mois ensemble, pas alors que nous apprenons encore à nous connaître l'un l'autre, pas alors que nous commençons à être réellement heureux. Pas alors qu'il ne sait pas qu'il est aimé. Que je l'ai sous la peau et que j'aimerai lui répéter tous les jours à quel point il est exceptionnel.

– On peut aller le voir ?

Je me suis redressé, ressuie ma joue. Le médecin a eu la bonté de nous laisser un moment pour digérer l'information, il nous adresse un bref sourire.

– Nous terminons de l'installer dans sa chambre, une infirmière viendra vous y conduire d'ici une dizaine de minutes, d'accord ?

– Merci, répond Zayn d'une voix fébrile.

– Si vous avez la moindre question, demandez après moi... Ce jeune homme est très fort et courageux, je suis persuadé qu'il s'en sortira.

L'homme nous adresse un signe de tête et fait demi-tour. Je laisse échapper un souffle tremblant, amène le carnet bien contre ma poitrine et Zayn passe son bras autour de mes épaules. Il va jeter nos deux gobelets vides de café, nous avons besoin d'énergie et nous restons là en attendant qu'on vienne nous chercher.

Je joue nerveusement avec mes doigts jusqu'à ce qu'une infirmière s'avance vers nous et nous fasse signe de venir avec elle. Un sourire orne ses lèvres et je me demande comment elle fait pour être aussi souriante dans cet environnement. Nous montons un escalier, tournons dans un couloir et elle s'arrête devant une porte. Il y fait froid, tout est blanc et j'ai mal à la tête. J'aimerais partir d'ici, mais je ne peux pas. Je ne peux pas parce qu'Harry est derrière ces murs et il a besoin de moi, et j'ai besoin de lui.

Elle s'éclipse, je ravale ma salive et fixe la poignée grise. Zayn ne dit rien, ne bouge pas, il me laisse le temps qu'il me faut. J'ai l'espoir que, peut-être, si j'ouvre cette porte, ce ne sera qu'un mauvais cauchemar et qu'il n'y aura rien dans cette chambre. Qu'Harry sera assit sur le lit et m'attendra avec son éternel sourire et ses yeux brillants.

J'ouvre, le cœur battant la chamade et le souffle court. La chambre est blanche et grise, épurée. Il y a une télévision éteinte sur le mur en face du lit. Et dans le lit, le corps étendu et inerte d'Harry. Harry endormi, le teint pâle et un long tuyau pend depuis sa bouche. L'assistance respiratoire rattaché à une machine. Elle bip à côté, un rythme modéré, entêtant. Celui de son cœur. Ca me fait tourner la tête.

Zayn ferme la porte derrière nous, je n'ose pas avancer d'abord. Je l'observe et les larmes me brûlent les yeux, la gorge. Je m'étouffe avec, en silence. Ses paupière sont closes, il semble dormir paisiblement. Son bras est dans un plâtre couleur crème, une couverture bleu remontée jusqu'à son torse. La vue de son visage me donne la nausée. Des égratignures, des hématomes, des plaies recousues, des boursouflures. Partout. Ses boucles tombent sur le coussin, je vois son torse se soulever mais je sais que ce n'est pas lui qui respire. Pas vraiment. Si c'était lui, il n'émettrait plus aucun souffle.

Quand je m'avance, c'est lent et c'est comme si chaque pas me rapprochait du gouffre. Le gouffre immense qui me sépare actuellement d'Harry. Parce qu'il est perdu autre part dans son inconscient et que lui seul peut en sortir. Zayn reste derrière moi, me soutient et me laisse découvrir aussi. Je m'arrête devant le lit, quand ma cuisse rencontre le matelas.

Je retiens mon souffle, Harry est si près de moi et pourtant inatteignable. Si je tends la main, je peux le toucher mais pas le saisir. C'est affreux, cette impuissance. Ne rien pouvoir faire.

– Alors... On doit juste... attendre ?

– Oui, on doit l'attendre.

Le murmure de Zayn fait frisonner mon corps de peur, d'appréhension. J'attendrais Harry, toute ma vie s'il le faut. Je glisse mes doigts contre les siens, ceux de son bras qui n'est pas blessé. D'abord, je caresse sa peau froide et je saisis sa main dans la mienne. S'il ne m'entend pas, je peux au moins croire qu'il sente que je ne l'abandonne pas, que je me battrais pour lui.

Je m'assois sur le bord du lit, Zayn dans un siège de l'autre côté et je regarde Harry dormir. Je surveille le moindre mouvement, le moindre battement de paupières, j'attends son réveil.

Nous restons jusqu'à l'heure de la fin des visites. Je refuse de partir, je demande si c'est possible de rester mais l'infirmière secoue la tête et répète qu'elle est désolée, que nous pourrons revenir demain dès l'ouverture. Et si Harry se réveille dans la nuit et que je ne suis pas là ? Et si Harry... meurt dans la nuit et que je ne suis pas là pour l'accompagner dans son dernier souffle ? L'infirmière nous assure que nous serons prévenus au moindre problème ou à la première nouvelle qui survient. Nous laissons nos numéros.

Je ne quitte pas mon portable de la nuit, je le laisse chargé à côté de moi sur la table de chevet de Zayn. Nous sommes allés à son appartement, le plus près de l'hôpital en voiture, après avoir récupéré Hercule et quelques affaires chez moi. Je n'ai pas réussi à dormir, ou à fermer les yeux. Toute la nuit, j'ai fixé l'écran noir de mon téléphone. Il s'est allumé un moment, je me suis précipité dessus, c'était un message de ma mère à vingt-trois heures pour me demander des nouvelles et me dire qu'elle avait réservé un train pour demain matin.

A la première heure, nous étions de retour dans la chambre d'Harry. Zayn s'était proposé pour aller chercher ma mère à la gare. Il a vu que j'avais besoin de rester là, avec lui. Je l'ai remercié, il m'a dit de le tenir au courant et m'a embrassé la joue, serré contre lui. Je suis seul, et le bruit et l'appareil respiratoire me donne envie de pleurer.

Une infirmière est passée pour vérifier les branchements, noter quelques mots sur un calepin et elle nous a laissé à nouveau. Elle a dit que le médecin passera nous voir en fin de matinée. J'espère juste qu'Harry sera réveillé d'ici là.

J'ai repris la place d'hier, sur le bord du lit. La main d'Harry dans la mienne, posée sur mon genou. Mes doigts caressent sa peau douce et froide, je ne le quitte pas du regard. Sa position est toujours la même, il n'a pas bougé d'un pouce. Et moi, je voudrais qu'il se réveille et qu'il s'anime.

– Harry...

Ma voix tremble, baignée de larmes. Je sais qu'il ne m'entend pas, encore moins si je murmure, mais je ne peux pas m'empêcher d'essayer. C'est rassure de lui parler, de se dire que tout n'est pas encore terminé, qu'il peut sortir de son coma d'une seconde à l'autre, que ses yeux peuvent s'ouvrir sur cette belle couleur émeraude. J'ai vu ça dans les films, j'ai lu des romans où des personnes se réveillaient du coma après qu'on leur ai parlé. Pourquoi pas tenter ma chance ? Je n'ai plus rien à perdre. A part lui.

Tant que je lui parle, il n'est pas mort. Pas réellement. C'est ce qu'il fait aussi avec sa mère, au cimetière, et j'ai tout de suite vu que ça l'aidait énormément. De lui adresser la parole comme si elle était toujours là, comme si elle l'écoutait et pouvait le voir. Alors, je fais pareil.

– Mon amour... Réveille toi, s'il te plaît...

Je joue avec ses doigts immobiles, une larme coule le long de ma joue et je ne tente même plus de les ravaler ou les cacher. Mon souffle tremble, emporte tout mon corps à chaque respiration qui devient plus difficile que la précédente. L'attente d'un résultat, d'un signe, est insoutenable. Les minutes semblent des heures.

– Tu sais que je ne peux pas vivre sans toi... J'ai encore tant de choses à te montrer et te dire... Je veux que tu sois réveillé pour les entendre.

Même si j'ai des tas de choses à lui dire, je ne veux pas m'adresser à lui alors qu'il est plongé dans un sommeil profond. Je passe une main contre sa joue égratignée et embrasse ses doigts délicatement. Au fond, j'espère que mes gestes puissent réveiller quoi que ce soit en lui. Mais, à part son torse qui se lève sous l'aide respiratoire, rien ne vit en lui.

Hier, j'ai eu beaucoup de mal à le laisser. Je ne voulais pas l'abandonner seul dans cet hôpital. Je voulais m'allonger à côté de lui dans ce lit, le serrer contre moi, poser mes lèvres sur sa joue et son front pour le rassurer. Je sais que c'est ce qu'il aurait fait avec moi. Sans aucun doute. Je ne le connais pas depuis des années, mais il ne m'a pas fallu plus de quelques semaines pour savoir que je donnerais ma vie pour lui. Ça ne peut pas s'expliquer, c'est simplement arrivé. Une évidence.

– J'ai besoin de toi, Harry... J'ai besoin que tu vives encore, que tu ouvres les yeux... Ce n'est pas fini, ta vie ne s'arrête pas là...

Alors non, il ne peut pas mourir, il ne peut pas me laisser seul. Je refuse de même l'imaginer. Imaginer une vie sans lui. Sa rencontre a totalement changé mon existence, je ne veux pas qu'elle me soit déjà retirée. Je n'en ai pas assez profité. Il nous reste encore toute une vie à savourer, ensemble.

Une larme s'écrase sur nos mains liées, je serre la sienne en tremblant et ferme les yeux. J'ai du mal à reprendre ma respiration, du coup j'éclate rapidement en sanglots. Ils m'arrachent la gorge, me la brûle. Je pleure pendant plusieurs minutes, au milieu de cette chambre trop silencieuse et vide. Comme mon cœur. Je le sens lourd à l'intérieur de ma poitrine, mais il est vide, lui aussi.

Pourtant, je ressens tout. Trop de choses en même temps. Je ne sais pas gérer tout ça, je ne sais pas me faire à l'idée de sa probable mort, à ce qu'il puisse disparaître aussi soudainement de ma vie.

Puis, quand je me suis calmé, je souffle. Mes larmes perlent toujours sur mes joues, mais je n'ai plus de force pour pleurer. Je suis épuisé. Et j'ai peur.

Je prends son carnet que je n'ai pas quitté depuis mon arrivée à l'hôpital hier. J'ai dormi avec, serré tout contre ma poitrine. Je ne l'ai pas encore ouvert. Je n'ai rien lu non plus. Mais c'est ce que Harry veut, que je parcours ses mots. Alors, je tourne la couverture et pose mes yeux sur la première page.

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