Chapitre six :

Les vagues s'échouent sur le sable et viennent lécher nos pieds et nos chevilles nues. Ernest rit tandis que je lui tiens les mains, debout devant moi. Charlotte s'occupe de Doris et Félicité nous attend déjà dans l'eau. Maman est restée sur le bord, avec papy, mamie et les affaires.

Comme il fait chaud depuis presque un mois, nous allons nous baigner. Les jumeaux ont revêtu leurs brassards, même si nous n'allons pas les faire nager loin et que nous allons toujours les tenir. Doris aime un peu trop l'eau, elle sautille au dessus des vagues et avance pour entrer rapidement le reste de son corps. Ernest est un plus dans la réserve, il entre lentement en serrant ma main dans la sienne. Il suit le mouvement des vagues avec attention et s'arrête quand l'eau lui arrive au niveau des cuisses.

– Tu ne veux pas aller plus loin ?

– Non, j'aimerais jouer ici.

– D'accord, c'est parfait. Comme tu veux.

– Tu restes avec moi ?

– Bien sûr petit diable.

Mon surnom lui fait tirer la langue et je regarde son nez couvert de crème solaire. Notre mère n'a pas hésité à les en recouvrir pour qu'ils n'attrapent aucun coup de soleil, et elle a même surveillé du coin de l'oeil qu'on en ait tout mis correctement. Son instinct de maman.

On joue à s'éclabousser à deux, on rigole bien. A côté, un peu plus avancé, Charlotte joue avec Doris sur une bouée en forme de pizza. Félicité nage autour d'eux, entre les vagues. Je propose à Ernest de les rejoindre, monter un peu lui aussi sur la bouée, mais il fronce les sourcils et secoue la tête.

– Je préfère aller faire des châteaux avec le sable, tu viens m'aider ?

– Oui, on va faire le plus beau de tous !

Impatient, mon petit frère tire sur ma main pour aller hors de l'eau et commencer cette fameuse construction de sable. Je lui laisse prendre son seau et sa pelle, je me charge du râteau et l'aide en amenant du sable mouillé pour les fondations.

On passe un long moment à le construire, il est un peu bancal sur le côté, mais il est joli. Trois tours, une grande cour au milieu, des remparts autour, de l'eau dans le trou qui sert de rivière amené par la mer. Je me lève, vais essuyer mes mains et le prends en photo pour immortaliser ce moment, avant que les vagues ne détruisent tout. Ernest vient devant sa construction et lève un pouce en souriant, fier de son travail. Je prends un nouveau cliché et sourit.

– L'eau elle va tout casser...

– Oui, mais ce n'est pas grave mon lapin, nous on sait qu'on a fait le plus grand et magnifique des châteaux.

Ma réponse a l'air de le convaincre car il lève son bras et me présente sa main qui vient taper la mienne. Je le prends ensuite dans mes bras et le porte jusqu'aux serviettes et notre famille. Les filles sont revenus de l'eau et c'est maman qui est allée tremper ses pieds avec mamie. Je les regarde en souriant, et même si j'aimerais aller piquer une tête, je leur laisse un moment à deux.

A la place, je m'allonge sur ma serviette et regarde mes messages. Zayn qui me demande quand je reviens pour qu'on s'organise une soirée. Je n'ai pas de nouvelles d'Harry depuis notre coup de fil il y a trois jours. Parfois, j'aimerais lui envoyer un message pour lui demander comment il se sent, m'informer sur son état, mais je me dis que tant qu'il ne vient pas vers moi, c'est qu'il va bien. Sinon, il ne m'aurait jamais demandé de l'appeler. Je ne sais pas si c'est logique, mais je ne veux pas forcer les choses ou lui mettre la pression.

Pourtant, j'ai envie d'échanger un peu avec lui. Même un ou deux messages. Je passe quelques minutes à réfléchir devant mon écran, incapable de me décider. J'entends Ernest râler en me disant que son château est maintenant ravagé par l'eau, et je souris. Je vais sur ma conversation avec Harry, fouille dans ma galerie de photos et sélectionne celle que j'ai pris d'Ernest devant sa construction de sable.

De Louis à Harry :

- média -

On a construit le plus beau château du monde.

Et voilà. Rien de plus. C'est assez suffisant, je pense. Je verrouille mon téléphone et le glisse dans la pochette de mon sac. Les jumeaux jouent ensemble avec du sable et mes soeurs sont allongées en train de bronzer. Notre grand-père lit un journal dans sa chaise pliante, abrité par le parasol.

Maman et mamie ne tardent pas à revenir, bras dessus bras dessous. Je leurs souris et me redresse pour proposer d'aller chercher des glaces. Tout de suite, ça attire l'attention des deux plus petits qui sautillent de joie. Avant cela, ils se lavent les mains et le corps avec l'eau de la mer et se sèchent avec les serviettes.

Félicité vient avec nous, pour m'aider à porter les glaces de tout le monde. Les jumeaux choisissent une boule vanille, et je rapporte les autres parfums avec ma soeur à tout le monde. Rapidement, avant que ça ne fonde. On déguste notre glace en famille, en discutant un peu. Tom nous rejoint au bout d'une heure, je le salue, content de le revoir après tout ce temps.

On se fait une partie de foot avec le ballon d'Ernest qui vient jouer avec nous aussi ainsi que sa jumelle. Doris se met en équipe avec moi, on rigole bien, elle n'est pas très forte mais Tom la laisse gagner. Malgré les protestations de son frère.

Sur le chemin du retour, assis sur le siège passager, je regarde enfin mon portable. Un message d'Harry. Il y a deux heures déjà.

D'Harry à Louis :

Félicitations.

Il est adorable, il te ressemble beaucoup. Il a tes yeux et ton sourire.

Est-ce que ça veut dire indirectement que je suis adorable aussi ? J'ai le droit de rêver après tout. J'essaie de retenir mon sourire niais et me mords la lèvre inférieure. Je lui réponds en le remerciant, le coeur léger.

Papy et mamie sont restés pour dîner, je dresse la table avec l'aide de Charlotte. Maman prépare un gratin de chou fleur et de pommes de terre. Je sers du vin aux adultes, sauf mes soeurs qui n'en sont pas spécialement fan. On mange ensemble, je profite parce que ce sont des moments que je chéris beaucoup. Ce n'est pas quelque chose que je peux vivre tous les jours, maintenant, avec l'université. Mais j'aime aussi l'existence que je mène là-bas, ça me permet de profiter plus encore lorsque je reviens ici. Aux sources. Là où tout mes souvenirs sont gravés.

Nos grands-parents repartent un peu avant vingt et une heures trente. Et moi je vais directement coucher les jumeaux. Je m'installe sur une chaise face à leur lit mezzanine, un livre entre les mains. Ils aiment que je leur lise des histoires avant d'aller dormir. Ils m'écoutent attentivement et s'endorment petit à petit. Ernest, en haut, suce son pouce. Doris serre son doudou contre elle. Je leur embrasse chacun le front et laisse la veilleuse allumée.

Avant de descendre fumer, je passe prendre une douche afin d'ôter tout ce sable de mon corps et mes vêtements. Je pose le linge dans le panier, me glisse sous l'eau tiède et me savonne jusqu'à avoir l'impression qu'il ne reste plus un seul grain. Les cheveux encore humides, et mon pyjama sur le dos, je descends au jardin. J'allume ma cigarette et m'assois dans un transat.

J'allais prendre mon portable pour envoyer un message à Harry, mais des pas se font entendre dans mon dos et Félicité vient s'assoir en face de moi, au bout du transat.

– Tu fumes beaucoup.

– C'était pire avant.

Elle laisse échapper un léger rire. Mais c'est vrai, je consomme moins de cigarettes qu'avant. J'avais l'habitude d'en fumer un paquet et demi par jour, maintenant j'ai réduit à cinq cigarettes. Petit à petit. Même si je ne pense pas arrêter un jour définitivement. C'est plus quand j'en ai besoin ou envie.

Félicité coince une mèche de sa chevelure brune et lisse derrière son oreille et regarde le hais qui nous séparent de la maison mitoyenne. Je vois ses joues s'empourprer un peu. Signe qu'elle va probablement me parler de quelque chose. Avec le temps, j'ai appris à reconnaître les signes. Je la laisse prendre son temps, parce que je crois que c'est quelque chose d'important à ses yeux.

Au bout de quelques secondes, après avoir joué nerveusement avec ses doigts, elle tourne son regard timide vers moi et je coince ma cigarette entre mes lèvres.

– Comment tu as su, que tu préférais les hommes aux femmes ?

Je fronce les sourcils et recrache la fumée sur le côté avant de hausser les épaules. Ce n'est pas un sujet dont j'ai honte ni sur lequel j'ai des secrets. Alors, je réponds sincèrement :

– Je ne sais pas tellement... Je crois que c'est venu comme ça. J'ai embrassé une fille au collège et ça ne m'avait pas trop plu. Puis j'ai été réellement attiré pour la première fois par un garçon à quinze ans, je me posais des questions évidemment. Mais j'ai compris que c'était normal. C'est... Disons que le corps et la présence d'un homme m'attire, contrairement aux femmes. Ce n'est pas pour autant que je leur manque de respect, tu vois ? Après, c'est propre à chacun je pense. Mais moi, c'est ainsi que je l'ai vécu.

Elle hoche la tête et je me demande pourquoi elle me pose une telle question. J'aspire une nouvelle bouffée de nicotine et lui laisse le temps de réfléchir à ses mots, aux miens aussi.

Au loin, le jour commence à se coucher et la nuit à tomber. Le ciel se décompose en un joli dégradé de couleurs; rose, orange, rouge, violet. J'admire ce spectacle et je me dis qu'avant de partir, il faut que j'aille voir un coucher de soleil à la mer. Comme je le faisais autrefois. J'ai toujours trouvé cela apaisant et calme. Lire jusqu'à ce que la lumière du jour tombe, assister aux vagues reposées de la mer le soir et le soleil brûlant qui se couche à la surface de l'eau.

– Est-ce que... Comment tu peux savoir si tu plais à un garçon ? Je veux dire, tous les hommes ne sont pas attirés par des autres hommes, tu dois bien le savoir à un moment ou à un autre ? C'est pas l'amour au premier regard comme dans les histoires, parce que tu ne peux pas connaître la sexualité de la personne en face... ?

– Disons que, encore une fois, c'est compliqué. Il y a des signes, des regards qui ne trompent pas mais parfois tu as du mal à le voir toi-même... Je suis déjà tombé sous le charme de garçons qui ne s'intéressaient qu'aux filles. Mais après, il ne faut pas se focaliser que sur les apparences, elles sont parfois trompeuses. Le mieux, même si c'est dur à aborder parce que tu as peur d'être blessé, c'est toujours d'en parler directement à la personne...

Encore une fois elle hoche la tête, je repose mes yeux sur elle et écrase ma cigarette terminée. Son regard est fixé sur ses chaussures et ses joues deviennent de plus en plus roses. Je cherche à savoir où vont nous mener toutes ces questions. Mais après, je suis ravi qu'elle cherche à en savoir plus sur ce sujet, qu'elle vienne me demander des renseignements. Ce n'est pas toujours facile d'y répondre parce qu'une expérience personnelle n'est pas celle du monde entier. Et j'ai la chance d'avoir une famille et des proches qui ont toujours bien réagi à mon homosexualité, ouverts d'esprit et compréhensifs.

Je sais que ce n'est pas le cas de tout le monde, que certains ont peur d'en parler à leurs parents ou leurs proches, que certains se font rejeter ou maltraiter, juger, insulter, frapper... J'y pense et je me rends compte du bonheur que m'apporte ma famille. Quoi qu'il puisse m'arriver, de bien ou de mal, je reviendrais toujours vers eux. Je pense que c'est pour ça que ce soir, Félicité est venue se tourner vers moi. Parce qu'il y a toujours eu un climat de confiance et d'entraide dans la famille.

– Il y a... Tu te souviens de Lucas, le garçon dont Charlotte a parlé ?

– Oui. Il n'aime pas les filles, c'est ça ?

– Non, elle secoue la tête en souriant et reprend. Il m'aime bien, beaucoup même. Charlotte a raison, je crois qu'il est amoureux de moi. Il m'a dit que je lui plaisais et qu'il voulait tenter quelque chose avec moi, mais... Il ne m'attire pas. Je... Je le vois simplement comme un bon ami et...

Elle hésite, je l'incite à parler en lui lançant un regard doux qui devrait la mettre à l'aise. Je ne la jugerais jamais sur quoi que ce soit, c'est ça la famille. Elle m'offre un léger sourire, timide, presque une grimace et souffle :

– À l'école, il y a une fille qui me plaît... On se connaît depuis le début de l'année scolaire et on a tout de suite été proches. Elle est intelligente, drôle... Jolie. Je me sens rendu compte qu'elle me plaisait un peu avant les examens d'Avril, que c'était plus qu'une relation amicale que je voulais partager avec elle. Je ne sais pas si c'est toutes les filles, ou juste elle, mais... Elle me manque et j'ai peur... J'ai peur qu'elle ne s'intéresse pas à moi comme ça, qu'elle me repousse si je lui en parle...

Je suis à la fois surpris et touché. Je ne m'attendais pas à cela. Félicité est très discrète sur sa vie privée, mais j'ai toujours cru que c'était parce qu'elle n'avait pas encore trouver l'amour. Ou pas quelque chose de sérieux du moins. Elle est sortie pendant deux semaines avec un garçon en seconde, et depuis il n'y a rien eu à mon souvenir. Et je comprends mieux ses questions maintenant que j'en connais les motivations. Depuis déjà un petit bout de temps, elle s'interroge sur son attirance, sa sexualité, son attachement envers cette fille.

Lentement, je viens lui prendre la main et elle me regarde. Je caresse sa paume et lui offre un sourire rassurant. Félicité doit porter cela sur le coeur depuis quelques mois et elle n'a pas dû oser en parler à Charlotte, car elle cherche toujours à savoir si elle a un copain.

– Tu sais, je te conseillerais de lui donner rendez-vous et de lui en parler en face. Même si ça fait peur, même si ça peut te faire mal peut-être. Mais je serais là pour toi, et maman et tes frères et soeurs aussi. Et si jamais tu hésites à lui dire, tu laisses le temps faire les choses et qu'au final elle t'aime aussi de cette manière ? Si elle ne comprends pas, alors ce n'est pas quelqu'un de bien. Tu ne peux pas forcer les autres à être amoureux de toi, mais si elle t'apprécie comme une amie doit le faire, elle essaiera de ne pas te blesser. Et au contraire, si elle t'aime tu as tout à y gagner.

– Mais si elle ne me voit pas ainsi, je perds tout.

– Tu perds un amour, mais tu ne seras jamais seule. Et tu en retrouveras autre part. Demain, dans dix jours, cinq mois, quelques années. Mais quelqu'un t'attends dehors, quelqu'un qui t'aimera comme tu es. Une fille ou un garçon, ça ne change rien. Tu sais, dans la vie, tu avances, tu recules, tu tombes, tu te relèves. Mais l'important c'est que tu continues à te battre pour ne jamais te laisser anéantir. Des personnes, il y en a qui vont entrer dans ta vie et en ressortir, d'autres qui ne vont jamais la quitter. Tu ne peux pas savoir à l'avance, mais tu ne peux pas passer ton temps à essayer de deviner.

– Tu penses que je devrais la voir, alors ?

– Oui, si tu le veux.

Après un hochement de tête, elle enfouie sa tête dans mon cou et je la prends dans mes bras directement. Elle a besoin d'être rassurée et d'avoir quelques réponses. J'ai essayé de lui en fournir, maintenant c'est à elle de faire les démarches et les pas en avant. Parfois, il faut prendre des risques pour avoir des résultats.

– Merci Lou, c'est bien de pouvoir parler de ça avec toi.

– Tu peux venir quand tu veux si tu as besoin d'en discuter ou si tu as des questions. Il ne faut pas te torturer l'esprit comme ça.

On reste dans les bras l'un de l'autre quelques minutes, elle se redresse et me remercie. Un baiser sur ma joue et elle s'éclipse dans sa chambre. Je m'allonge dans le transat et regarde le ciel qui vire au noir.

La discussion que je viens d'avoir avec Félicité m'amène à penser à ma propre situation. Avec Harry. Je ne sais pas encore si c'est de l'attirance physique. Il est charmant, beau et attirant, c'est indéniable. Puis j'ai envie de le revoir. Et je pense que quand on ressent le besoin de voir quelqu'un, on ne devrait pas attendre. La vie n'attend pas, elle. Elle file à une vitesse folle. Il n'y a pas de temps à perdre à se torturer avec des milliers de questions inutiles. Je n'aurais sûrement jamais de réponses si je ne demande pas avant.

Alors, je sors mon portable de ma poche et ouvre la conversation avec Harry. On ne s'est pas recontacté depuis la photo du château de sable, et je me mords la lèvre en relisant son message.

De Louis à Harry :

Quand je reviens en ville, tu voudrais bien qu'on se voit ? Autour d'un thé, chez moi, dans un parc, où tu veux.

Je range mon téléphone dans ma poche et souris en regarde les premières étoiles apparaître. Et je me prends à rêver que, peut-être, à quelques kilomètres d'ici, Harry aussi sourit en lisant mon message.

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