Chapitre quatre :
Ma valise à la main, je monte dans le train. Il est neuf heures vingt six et, pour le moment, il n'est pas encore trop rempli. Ce calme matinal va me permettre de pouvoir lire le temps de la demi-heure de trajet qui me sépare de ma maison d'enfance.
J'ai décidé de retourner chez ma famille. Une petite visite surprise. Seule ma soeur, Charlotte, est au courant de mon arrivée et je lui ai fait promettre de ne pas en toucher un mot à qui que ce soit. Demain, c'est l'anniversaire des jumeaux et j'ai envie d'être là pour fêter l'événement avec tout le monde. Ce n'est pas tous les jours qu'on a cinq ans. J'ai apporté leurs cadeaux dans mes bagages, ainsi quelques vêtements et deux livres.
Après avoir posé ma valise, je m'assois sur le siège juste devant et sors mon livre de mon sac à dos. Le train ne tarde pas à démarrer cinq minutes plus tard et me voilà en route pour des vacances improvisées. Je ne sais pas si ce sont réellement des vacances, mais je suis heureux de revoir ma famille et mes proches. Zayn a profité de ce temps sans moi pour rester avec sa petite amie, il ne va pas vraiment s'ennuyer sans moi.
Par contre... J'aurais aimé revoir Harry avant de partir. Deux semaines, déjà, sont passées depuis notre rencontre au café, depuis que je lui ai rendu son précieux carnet. Nous avons échangés quelques messages formels, mais rien de plus. Peut-être aurais-je dû l'inviter à boire un café ou un thé à l'appartement ?
Mais je pense au fait qu'il m'a envoyé un message, il y a sept jours, pour m'informer qu'il a terminé de lire l'ouvrage que je lui ai acheté et qu'il a adoré. A ce moment là, j'avais eu envie de le voir, de lui demander ce qu'il en avait pensé. Puis je me suis souvenu qu'il parlait peu, alors je me suis contenté de deux ou trois phrases échangées par écrit.
Je suis à une bonne cinquantaine de pages de mon roman quand la voix dans le train annonce l'arrivée à ma destination. Je range mes affaires, me lève, prends ma valise et mon sac. Dehors, je sors mon portable et préviens Charlotte que je suis là. La maison n'est pas tout près de la gare et c'est pour cela que j'ai proposé à ma soeur de venir me chercher. Elle me répond dans les secondes qui suivent qu'elle m'attend sur le parking derrière la gare.
Quand je contourne le bâtiment, la valise au bout du bras, mon regard tombe sur la belle chevelure blonde de ma soeur. Elle m'attend, debout contre sa voiture, ses lunettes de soleil sur son nez. Une fois à sa hauteur, on se serre directement dans les bras l'un de l'autre et j'embrasse sa joue. Ce qui la fait toujours râler, et moi rire. Elle m'aide à mettre la valise sur les sièges à l'arrière et on ne tarde pas plus à se mettre en route.
– Ils vont tous être trop heureux de te voir. Maman n'arrête pas de rabâcher depuis des jours que tu pourrais faire un effort et venir pour l'anniversaire des jumeaux.
– Je ne pouvais pas leur dire, si c'était une surprise.
– Tu comptes rester combien de temps ?
– Une semaine, peut-être un peu plus.
– On pourra aller à la mer tous ensemble !
Je hoche la tête en souriant et la regarde conduire. Elle a obtenu son permis il y a moins d'un an, mais elle se débrouille comme si elle avait fait cela toute sa vie. Je crois que j'ai été un bon professeur en la laissant s'entraîner sur ma première et vieille voiture. Un véhicule dont elle a maintenant hérité et dont elle prend grand soin.
Un quart d'heure de trajet, et nous arrivons devant la maison. Rien n'a changé. La dernière fois que je suis venu c'était il y a deux mois. Et c'est vrai que, même si je m'amuse beaucoup avec Zayn, si je suis occupé avec l'université, les partiels et les sorties entre amis, ma vie ici me manque parfois. C'est plus calme, plus serein. Vivifiant. A chaque fois, je repars avec un pincement au coeur, mais également une grande bouffée d'air frais dans les poumons.
Charlotte prend un sac en plastique sur la plage arrière, moi ma valise et mon sac et on rentre ensemble. J'essaie d'être le plus discret possible pour le moment, tandis que la voix de maman se fait entendre depuis la cuisine :
– Charlotte, c'est toi ? Tu as trouvé les oeufs et les framboises alors ?
– Oui maman, mais viens voir j'ai ramené autre chose aussi !
Je lève les yeux au ciel à la remarque de ma soeur qui se contente de rire silencieusement. J'entends les pas de ma mère qui approchent, puis un sourire fend mes lèvres quand elle apparaît. Elle semble à la fois ravie et émue de me voir, elle porte une main devant sa bouche et me regarde quelques secondes avant de venir me prendre dans ses bras. Je pose mes mains dans son dos et inspire son parfum de maman qui m'a toujours rassuré. De son côté, elle me serre aussi fort qu'elle peut et glisse ses doigts dans mes cheveux quand on se détache.
Ses yeux brillent de bonheur et je ne peux qu'être heureux à mon tour. Je crois que, si elle ne se retenait pas, elle se mettrait à pleurer devant nous. Ma venue est une surprise, un franc succès pour le moment, et elle ne s'attendait certainement pas à me voir arriver avec Charlotte. Un sourire doux prend place sur ses lèvres et elle dépose un baiser sur mon front.
– Louis ! Dire que j'allais t'appeler pour te gronder de ne pas venir nous rendre visite.
– Je ne manquerais l'anniversaire des deux monstres pour rien au monde, et... Vous me manquiez aussi.
– Toi aussi mon chéri...
Une nouvelle petite étreinte puis sa voix résonne, elle appelle tout le monde et leur demande de descendre. J'entends un peu de grabuge, des pas dans les escaliers et deux boules d'énergie qui foncent sur moi ainsi que Félicité, mon autre soeur, qui trouve aussi son chemin dans mes bras. Ernest et Doris sautent impatiemment autour de moi et réclament des bisous. Je ris et me baisse à leur hauteur, comblé de retrouver leurs jolis petits minois. Chacun leur tour, je leur embrasse la joue et ils me demandent déjà de venir jouer avec eux.
– Il viendra jouer avec vous dans quelques minutes, il doit d'abord se reposer un peu. Intervient maman, encore toute souriante. Allez ranger un peu votre chambre en attendant.
– Tu feras un gâteau avec nous après Lou ? Demanda mon petit frère, alors que déjà sa soeur jumelle est à l'étage.
– Bien sûr, oui. Si vous avez bien rangé votre chambre. Je vais venir vérifier.
Sans attendre, il se précipite à l'étage, très impatient de tout mettre en ordre pour faire ce gâteau. Pour le moment, je laisse mes affaires dans l'entrée et rejoint les quatre plus grandes femmes de la maison au salon. Maman me prépare un thé, celui que j'adore, elle me connaît par coeur. Une odeur alléchante embaume mes narines quand je m'approche de la cuisine pour prendre place à table. Une casserole est posée sur la gazinière et un livre de recettes est ouvert à côté de quelques ingrédients.
Mes soeurs s'assoient l'une à côté de l'autre et je sais déjà qu'on va profiter d'un moment à quatre pour discuter. Quand on se retrouve, c'est toujours ce qu'on fait. Du moins, plus encore depuis que je ne suis plus là tous les jours. Même si les contacte tous les jours, même si je fais souvent des appels avec maman, c'est bénéfique pour nous de nous réunir ainsi. Juste en famille.
Alors, pendant presque quarante minutes, on parle un peu de tout. Ils me racontent les cours, le lycée pour Charlotte qui termine sa dernière année. Et Félicité, elle, est en première année d'école de commerce, dans un établissement proche d'ici. Ernest et Doris sont encore au stade de l'école maternelle et ils se débrouillent bien, selon ma mère. Ils sont indépendants, curieux, créatifs et se font pas mal d'amis.
De mon côté, je leur parle de mes vacances assez peu mouvementées. Entre les sorties avec Zayn et mes longues heures d'errance dans la librairie ou au café. Malheureusement, je ne reprends pas les cours avant mi-Septembre et j'ai un contact de travail étudiant qui ne commence que fin Août. Mais je ne me plains pas, j'adore passer mes journées à lire ou fumer en faisant du skate avec Zayn. Je ne mentionne pas les cigarettes, je sais que ma mère déteste ça. Même si elle se doute que je ne me contente pas que de la bière en soirée.
Nous sommes interrompus par les jumeaux qui arrivent en courant dans le salon, sous les réprimandes -assez douces- de maman qui leur répète de ne pas courir dans les escaliers. Doris me prend la main et me dit de venir voir leur chambre. Je ne peux pas résister plus longtemps à l'impatience de ces petits monstres et les suit à l'étage. Tout le monde vaque à ses occupations tandis que j'entre dans la grande chambre que partagent Doris et Ernest. Avant, elle appartenait à Charlotte et Félicité. Mais, maintenant qu'elles ont toutes les deux la majorité, elles ont besoin de leur indépendance et de leur coin. Maman a laissé ma chambre à Charlotte et Félicité a eu le droit à la chambre d'amis qui servait aussi de bureau.
Effectivement, je suis forcé de constater qu'ils ont pris leur tâche très au sérieux. Tout est rangé dans les petits compartiments, les caisses ou les étagères. Les jouets, les livres, les figurines. Même sur les tapis de jeux il n'y a plus rien. Il y trône encore la maison de poupée et quelques meubles autour. Pendus à mes lèvres, ils attendent avec impatience mon jugement. Je souris et fais mine de regarder à l'intérieur de derrière les meubles ou sous les lits superposés.
– Alors, on a bien rangé ?
Me demande finalement Ernest pour qui mon silence devient sûrement un supplice. Je ne peux m'empêcher de rire en me redressant. Il a toujours été un enfant très impatient et actif, un peu grognon parfois aussi quand on ne lui donne pas ce qu'il veut. Mais, je suppose que c'est le cas avec tous les petits.
– Oui, c'est parfait.
Ils s'exclament de joie et Doris vient tirer sur le bas de mon tee-shirt pour me demander d'aller faire les gâteaux. Je me penche et la prends dans mes bras, la tiens contre moi et embrasse sa joue. Pour ne pas faire de jaloux, je prends la main d'Ernest et me dirige vers la salle de bains.
– Avant de faire de la pâtisserie, il faut se laver les mains.
– Tu crois que maman elle nous laissera utiliser la cuisine pour faire la tapisserie ?
– La pâtisserie mon coeur, je reprends Ernest en souriant, mais oui bien sûr. Vous savez quoi ? On va même faire un gâteau secret pour elle.
Mon idée semble les combler de joie car ils se lavent les mains minutieusement et sans attendre. Je fais de même pour leur montrer le bon exemple et me sèche la peau humide sur la serviette, comme eux. On redescend tous les trois à la cuisine. Il ne reste plus que maman. Mes deux autres soeurs ont dû rejoindre leur chambre.
Ernest et Doris revêtissent leur petit tablier de chef, un chacun, ce qui évite les disputes. Maman les regarde en souriant et termine de nettoyer le plan de travail où elle était occupée avant notre arrivée.
– M'man maintenant c'est nous qui vont faire la cuisine !
Doris appuie les paroles de son frère d'un hochement de tête assuré et je sors les ingrédients que je dépose sur la table en souriant. Ils ne cesseront jamais de m'amuser et de me divertir. Sans aucun doute, si un jour j'ai besoin de me changer les idées, je sais que j'irais passer la journée avec eux.
Et c'est justement ça qui me manque. Passer du temps avec ma famille. On cuisine pendant longtemps, tellement longtemps que j'en oublie de regarder l'heure. Je ne pense même pas à prendre ou consulter mon téléphone. On rit, on se salit de farine, ils apportent leurs mains à la pâte comme ils peuvent. C'est un peu maladroit, Ernest a cassé deux oeufs et Doris a renversé un verre de lait au sol, mais ce sont de bons souvenirs. Je n'ai jamais autant aimé cuisiner.
Au final, on a fait un gâteau au yaourt vahiné pour maman et des cookies aux pépites de chocolat. Pendant que tout cela termine de cuire, je nettoie le bazar qu'on a fait un peu partout. Ils ont demandé pour m'aider mais, étant donné qu'ils sont couverts de farine de la tête au pieds et ont les mains grasses, je les ai envoyé se débarbouiller. Avec l'aide de Charlotte. Sinon, ils allaient salir toute la salle de bain.
La délicieuse odeur de la pâtisserie englobe l'air de la cuisine, je range les derniers ingrédients Ma mère vient m'aider à essuyer la vaisselle et on discute encore un peu tous les deux.
– Je ne sais pas si Charlotte te l'a dit, mais on va faire l'anniversaire chez papy et mamie.
– C'est vrai ? Je demande, agréablement surpris, en relevant mes yeux vers elle. Ça fait un petit moment que je ne les ai pas vu, ils vont être contents.
– Oui, ils me demandaient si tu allais venir, justement.
– Le fils prodige est de retour à la maison maintenant, alors tout va bien tu peux aller passer le mot dans le quartier.
Elle me donne un léger coup de coude et nos rires s'élèvent en même temps. Je plaisante, mais je sais que ma présence manque à ma famille. Avant, quand j'étais encore là tous les jours, on passait souvent nos week-end chez nos grands-parents maternels ou ensemble à la mer, même quand il ne faisait pas un temps propice. Je crois que depuis que notre père nous a tous abandonné il y a maintenant quatre ans et demi, on toujours été aussi soudés.
C'était un peu avant la naissance des jumeaux, quand il a appris que ma mère était enceinte. J'avais seize ans, je suis rentré des cours et j'ai retrouvé ma mère en pleurs. Dévastée. Au début, elle n'a rien voulu nous dire. Elle pleurait, elle retenait ses larmes devant nous, devant mes soeurs plus jeunes encore à l'époque. En tant qu'aîné de la famille, je me devais de les rassurer, comme je le fais toujours aujourd'hui. Maman nous a réunis le lendemain après-midi autour de la table, quand on commençait à demander où était notre père. Elle nous a expliquée, la gorge serrée, qu'il ne reviendrait plus. Qu'il était parti, définitivement.
J'ai d'abord cru qu'il était mort, mais elle m'a expliqué ensuite toute l'histoire. Seulement à moi. La nouvelle femme qui occupait sa vie depuis un peu plus d'un an, qu'il voyait dans son dos, elle aussi attendait un heureux événement. Et il avait choisi cette inconnue à nous, à maman, à notre famille, à ses trois enfants et aux deux autres qui grandissaient dans le ventre de sa femme. De toute ma vie, je n'ai vu maman anéanti à ce point que deux fois. Quand papa l'a quitté et lors de sa fausse couche, avant d'avoir les jumeaux.
Pour autant, malgré sa rancœur, sa haine et sa tristesse profonde envers notre père, maman nous a laissé le choix de rester en contact avec lui. Elle nous a longtemps parlé et demandé si on souhaitait encore le voir, un week-end sur deux, quelques jours dans la semaine. Parce qu'il restait notre père, malgré tout, celui qui nous avait mis au monde. Et, on ne peut pas renier les souvenirs qu'on a partagé en famille.
On a essayé, pendant un an, deux ans. Nous sommes allé chez lui un week-end sur deux. Mais c'était trop étrange avec son autre femme et leur enfant. Alors que de l'autre côté, maman se dépassait corps et âme pour élever seule des jumeaux et une famille de cinq enfants. J'ai grandis, j'ai arrêté d'aller le voir. Il n'a pas cherché à me faire rester, ni mes soeurs quand elles se sont éloignées. Alors, on a tous coupés les ponts. Légalement, il reste notre père. Mais dans nos coeurs, il n'est plus qu'un inconnu. Cela fait plus de deux ans qu'on a plus entendu de ses nouvelles, et je crois que c'est mieux ainsi. Il a déménagé à l'autre bout du pays entre temps. Et on s'en porte mieux.
Quand il est parti, c'est moi qui suis devenu l'homme de la maison. J'ai aidé maman avec les jumeaux, avec mes soeurs. J'ai travaillé à la fin de mon année de terminale pour payer mes études et mon appartement. Je refusais, et je refuse toujours, que ma mère verse une partie de son salaire pour moi. Elle doit encore s'occuper de mes frères et soeurs qui sont à la maison, et je sais parfaitement me débrouiller. Entre mon emploi étudiant et ma bourse d'étude, je vis comme il faut.
Alors, depuis ce temps, mais bien avant je crois, les liens entre nous n'ont cessé de se resserrer. Je suis extrêmement proche de ma mère, je n'ai pas vraiment de secrets pour elle et je sais que je peux aller me confier à elle quand je veux. Même à travers un appel le soir quand je rentre de cours. Lorsque mon premier copain, auquel j'étais très attaché, m'a quitté, c'est elle que je suis venu voir. Et elle a calmé mon coeur brisé d'adolescent de quinze ans. Ça n'a pas été non plus angoissant de lui annoncer mon penchant pour les hommes. Elle s'est toujours montrée bienveillante et à l'écoute. Je me souviens, ce jour là, quand je lui en ai parlé pour la première fois, elle m'a dit qu'un joli garçon m'attendait sûrement et qu'il avait intérêt à me traiter comme un prince.
Je ne l'ai pas encore trouvé, ce fameux joli garçon. Mes relations n'ont jamais été fructueuses à ce point. Mais une maman a toujours raison, et la mienne je la crois sur parole.
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