Chapitre cinq :
Ernest et Doris soufflent leurs bougies en même temps, avec entrain et difficultés, sous les applaudissements de tout le monde. La famille, les proches. Nous sommes une petite dizaine. Nous six, nos grands-parents maternels, la marraine et le parrain des jumeaux et la soeur de notre mère ainsi que sa cousine.
Ils descendent de leurs chaises et prennent leurs assiettes pour aller chercher leurs parts. De mon côté, je débouche la bouteille de champagne et sers une coupe aux adultes. Je taquine un peu Charlotte, mais lui tend finalement la sienne. Que j'ai quand même moins remplie que les autres, elle s'en contentera.
Une fois que chacun a sa part, on déguste tous le fraisier et nos bulles. Tranquillement installés au salon du jardin, couverts des rayons du soleil par le grand parasol. On discute un peu tous dans notre coin, on participe à certaines conversations. Ernest et Doris dévorent leur gâteau, malgré les remarques de maman, impatients d'ouvrir leurs cadeaux qui trônent en bout de table.
Je me dévoue pour aller débarrasser les assiettes et les couverts, et mamie insiste pour venir m'aider. Elle prend le gâteau quasiment terminé pour le remettre au frais. Je dépose la vaisselle dans l'évier, m'essuie les doigts tandis qu'une main se pose sur mon avant-bras. Je tourne mon regard vers mamie et elle me tend une enveloppe blanche. Intrigué, je fronce les sourcils et l'interroge du regard. Elle m'incite à la prendre. Je la saisis, l'ouvre et secoue directement la tête en voyant le contenu. Je ne m'attendais certainement pas à ça, mais j'aurais très bien pu le deviner.
– Non mamie, je ne peux pas accepter ça.
– Mon Lou...
– C'est beaucoup trop enfin, et puis ce n'est même pas mon anniversaire.
– Louis, nous sommes âgés, nous avons bien gagné notre vie et à part pour les courses et le loyer de la maison, nous n'avons plus besoin de dépenser notre argent. Nous avons tout ce qu'il nous faut... Toi, en revanche...
– J'ai tout ce qu'il me faut aussi, ne t'inquiète pas.
– Je le sais bien mon coeur, mais garde-ça de côté pour plus tard, ou un plaisir que tu veux te faire, dépense-le comme bon te semble. Il te sera plus utile à toi qu'à nous.
– Mamie...
Un soupir s'échappe de mes lèvres alors que je pense encore aux trois chiffres inscrits sur le chèque dans l'enveloppe. Je ne peux pas accepter ça, je ne suis pas venu pour ça. Je refuse qu'ils me donnent de l'argent sans raisons ou même pour me faire plaisir, ce qui me réchauffe le coeur c'est de les voir.
Mais c'est sans compter sur le caractère borné de mamie qui dépose ses doigts contre ma joue, je ne peux pas douter d'avoir hérité d'elle. Je regarde son visage, ses yeux bleus clairs et ridés, son petit sourire. Ainsi, elle ressemble beaucoup à maman.
– Ça nous fait plaisir à ton grand-père comme à moi. Et je préfère te le donner en mains propres plutôt que sous forme d'héritage quand je ne serais plus là... On ne sait jamais, si l'année prochaine nous...
– Ne dis pas n'importe quoi mamie, arrête...
Ma gorge se serre à ses mots et sans attendre je viens la prendre dans mes bras et la serrer affectueusement dans mes bras. Je crois que les larmes me montent aux yeux, mais je n'ai pas le temps d'y penser parce que Ernest entre en furie dans la cuisine et nous presse pour l'ouverture des cadeaux. Avant qu'on ne rejoigne tout le monde, j'embrasse la joue de ma grand-mère et la remercie encore. Je suis têtu, mais elle l'est plus que moi, alors je sais que ça lui fait plaisir que j'accepte cet argent.
Avant de reprendre ma place dehors, je vais remercier mon grand-père aussi et le serre dans mes bras. Il rit et caresse mon dos en m'assurant que ce n'est rien.
On passe le reste de l'après-midi ici, en famille. Les jumeaux sont heureux de leurs cadeaux et veulent déjà tout construire. Quand vient l'heure de partie, une fois que tout est rangé et débarrassé, je remercie encore nos grands-parents. Je vais sûrement les revoir avant de retourner à mon appartement, on a prévu une sortie à la mer tous ensemble, mais ce n'est pas pour autant que je ne le serre pas fortement contre moi.
Les jumeaux dorment pendant le trajet, et sur le siège passager, je regarde ma mère conduire, puis tourne la tête pour observer tout le monde. Un sourire paisible prend place sur mes lèvres, je prends mon portable pour la première fois depuis ce matin et vois deux messages de Zayn. Il me dit de souhaiter bon anniversaire aux jumeaux de ma part et me demande de mes nouvelles. Je lui réponds que je n'ai jamais été aussi heureux.
Un peu plus tard, en soirée, je ramène le plat de lasagne à table et maman sert tout le monde. Les jumeaux raffolent de ce plat concocté tout spécialement par notre mère, et ça tombe bien, parce que moi aussi. On commence à manger en parlant de tout et de rien, puis Félicité se fait reprendre par maman qui lui dit de ne pas utiliser son portable autant à table. Elle retient un soupir et un air espiègle passe sur le visage de mon autre soeur.
– Elle ne sait plus se passer de Lucas, c'est pour ça... Aïe !
Charlotte remplace son rire par une légère grimace lorsque Félicité, les joues rosées, lui donnent un coup de pied sous la table. Je hausse un sourcil en portant un bout de lasagne à ma bouche, la remarque de notre soeur a aussi intriguée maman qui lance un regard amusé à sa fille dont les yeux sont baissés vers son assiette.
– C'est qui ce Lucas ? Je demande finalement, intrigué et protecteur à la fois. Mon rôle de grand frère.
– Personne.
– Un garçon avec qui elle passe beaucoup de temps, il est venu la chercher l'autre jour au centre-commercial et il nous a ramené à la maison.
– N'importe quoi c'est un ami.
– Ouais peut-être pour toi, mais vu comment il te dévorait du regard, il a dépassé le stade de l'amitié depuis longtemps !
Félicité rougit davantage et relève la tête pour lancer des yeux noirs à sa soeur. Charlotte a toujours été très curieuse, elle adore se mêler des histoires d'amour, jouer les entremetteuses. Ce n'est pas méchant, elle aime nous taquiner, mais je comprends pourquoi cela agace Félicité.
Je crois d'ailleurs que c'est bientôt mon tour, car elle pose son regard amusé sur moi. Mais, je n'ai rien à cacher, surtout pas à ma famille. Ça ne manque pas, deux secondes après sa bouchée, elle demande :
– Et toi Lou, tu as un copain là-bas ?
– Non, je soupire, non personne.
Et, je ne sais pas pourquoi, je me suis mit à penser à Harry. Au moment qu'on a partagé au café, autour de nos thés, à discuter de livres et de littérature. Je ne m'étais jamais sentis aussi détendu et épanoui depuis un moment. Bien sûr, il y a Zayn, et les ouvrages que je dévore et découvre à longueur de journée. Mais ce n'est pas le même sentiment de plénitude.
Je ne saurais pas l'expliquer ou mettre de mots dessus, c'est différent. C'était différent, c'est tout.
– Quoi ? Il n'y a même pas de beaux garçons à ta fac ?
– Je n'y fais pas vraiment attention, j'y vais pour étudier tu sais.
– A d'autres ! S'exclame Charlotte en riant de bon coeur, pour me taquiner.
– Et toi, avec Tom ?
– C'est ça, évite le sujet... Je ne te lâcherais pas, je te préviens.
Je lève les yeux au ciel en souriant, et elle se met à parler de son petit-ami qu'elle fréquente depuis deux ans, Tom. Ils vont bien ensemble et, même si j'étais très réticent et sur mes gardes au début, c'est un garçon bien et respectable. Il la traite comme il se doit et se montre toujours très poli avec ma famille. Et on a appris à se connaître, on a échangé quelques ballons de foot et jeux-vidéo lorsqu'il restait la soirée ici.
Vers vingt et une heures, je sors de la salle de bains, fraîchement douché. Je rejoins la nouvelle chambre d'ami que ma mère a installé il y a quelques mois, dans l'une des pièces qui servait de bureau aussi. C'est une grande maison, on a beaucoup de pièces. Deux salles de bains. Cinq chambres possibles. Une maison qui nous a toujours suivit, je crois qu'on y est depuis la naissance de Charlotte.
Je m'allonge dans mon lit défait de ce matin, et prend mon portable sur le matelas. Un message de Zayn et un autre d'un ami de l'université. Je leurs réponds et lis ensuite tranquillement, allongé sur le ventre. La maison est calme maintenant que les jumeaux sont couchés. Maman doit sûrement discuté avec les filles au salon, devant une émission de télévision.
Au bout d'une petite heure, je descends pour aller fumer dans le jardin. Au passage, je les vois toutes les trois dans le canapé en plein débat. Je les laisse à leurs échanges en souriant et vais m'asseoir sur le siège à bascule. Je sors une cigarette de mon paquet, mon briquet et l'allume. Mon portable vibre dans ma poche de jogging, je le sors et vois un message d'Harry.
Je n'attends pas une seconde de plus et le déverrouille tout en tirant une bouffée.
D'Harry à Louis :
Bonsoir Louis, tu es là ?
C'est étrange. Presque cinq jours sans nouvelles. Je ne cherche pas non plus à trop lui forcer la main ou m'imposer. Peut-être qu'il n'a pas envie de me revoir, après tout. Mais, son message que j'ai en ce moment sous les yeux m'en fait fortement douter. Je ne tarde pas à lui répondre.
De Louis à Harry :
Bonsoir. Ça dépend là par message ou là chez moi ? Parce que, je ne suis pas en ville en ce moment, je suis retourné dans ma famille.
J'écris beaucoup trop, et je m'étale. Qu'en aurait-il à faire que je sois chez ma famille ? Je n'ai pas besoin de justifier chacun de mes actes. Pas à un homme que je connais à peine et avec qui j'ai partagé un thé. Ça aurait pu tomber sur n'importe qui. Cet incident du carnet aurait pu arriver à un grand-père, une jeune étudiante, un employé de banque, un médecin, une petite fille... Tellement de possibilités. Et il a fait que mon chemin a croisé celui d'Harry, même si je l'avais remarqué avant.
Depuis, je ne cesse de penser à son sourire timide, ses fossettes, la façon dont sa voix rocailleuse a prononcé mon prénom.
Mon portable vibre à nouveau dans ma main et s'allume sur le nouveau message.
D'Harry à Louis :
Est-ce qu'on peut s'appeler, s'il te plaît ?
A travers des messages, c'est toujours difficile à interpréter, mais ça sonne étrangement comme une supplication. Un besoin. Je n'hésite pas très longtemps avant d'appuyer sur le bouton en forme de téléphone et entends rapidement les sonneries à mon oreilles. Deux. Et il décroche. Un silence, je crois entendre son souffle.
Je ne réfléchis pas à quoi dire, ni au fait qu'il ne parle pas beaucoup. Je suis attentif, au moindre petit bruit qui me ferait comprendre qu'il écoute.
– Salut....
Je murmure presque, relève mes yeux vers l'entrée arrière de la maison, la baie vitrée restée ouverte avec cette chaleur écrasante d'été. Lentement, je me balance sur le siège et prends une bouffée de ma cigarette qui se consume entre mes doigts.
Il ne répond pas. Je crois qu'il ne répondra pas. Il attend sûrement que je parle, que je comble ce silence entre nous. Je cherche quel sujet aborder, peut-être ce livre que nous avons tous les deux lus ? Je joue avec le bout de ma cigarette et passe ma langue entre mes lèvres, puis j'entends du bruit à l'autre bout de l'appareil. Un bruit qui me tord le coeur. Je l'entends renifler. Et son souffle qui tremble.
J'ai compris. Ce qu'il attend de moi. Alors, passe une main dans mes cheveux et essaie de ne pas montrer mon inquiétude :
– J'ai commencé un roman dans le train, je l'ai presque terminé, mais je peux déjà assurer que je l'adore. Ça parle de Michel-Ange, de l'art, de la Renaissance, ça me fascine toujours...
Et je continue à parler pendant de longues minutes, lentement. D'abord de mon roman, puis je me mets à lui raconter mon retour chez moi. Comme je suis heureux de retrouver ma famille, j'évoque un peu ma famille, je lui parle de tout le monde. Et je crois que je perçois son léger rire quand je lui parle des bêtises des deux derniers.
Je ne sais pas combien de temps on passe au téléphone, je ne sais pas combien de temps je divague à lui exposer ma famille, mais je vois Félicité approcher du jardin. Elle me regarde quelques secondes et fait demi-tour.
Finalement, j'écrase ma cigarette consumée et l'entends respirer à travers le téléphone. Je ne sais pas si je dois raccrocher, ou quand. Mais justement mon portable vibre entre mes mains et je le recule pour regarder le message.
D'Harry à Louis :
Tu peux raccrocher si tu veux, tu as déjà beaucoup parlé. Il est tard.
Je souris et regarde l'heure qui indique presque vingt trois heures trente. J'ai au moins parlé une bonne heure, mon dieu... Il aurait dû m'arrêter avant.
– Oh, désolé, je n'avais pas vu l'heure... Je te laisse dormir.
Puis j'ai envie de lui demander si ça ira, si ça va mieux, mais je ne sais pas comment aborder le sujet sans que ce ne soit maladroit. Je n'ai pas non plus envie qu'il y pense encore, si j'ai pu l'aider il ne faut pas que je gâche tout ça.
– Bonne nuit dans ce cas, Harry.
Je suis certain qu'il ne va pas me répondre oralement, que j'aurais sûrement un message après avoir raccroché. Et alors que j'allais éloigner le portable de mon oreille, j'entends sa voix. Un murmure. Presque étranglé. Qui appelle mon prénom.
– Louis... Merci.
Un sourire étire mes lèvres, mes yeux fixés sur les étoiles au-dessus de ma tête. Aucun doute, cet appel était important pour lui, il en avait besoin pour ne plus être triste. Et je suis d'autant plus touché qu'il pense à me contacter moi, quand il ne se sent pas bien. J'ai l'espoir que je ne sois pas seulement le garçon qui lui ai rendu son carnet qu'il souhaite apprendre à me connaître un peu plus. Bien que je lui ai déjà raconté pas mal de choses sur ma famille ce soir.
– Pas de soucis. Dès que tu as besoin, quand tu veux.
Ce n'est pas moi que ça dérangera. Je laisse quelques secondes passer, à écouter sa respiration maintenant calme et je raccroche finalement. Il ne me dira rien de plus. Et c'est largement suffisant. Je soupire, mon portable vibre encore et je souris doucement en voyant son message.
D'Harry à Louis :
Merci, j'avais besoin d'entendre ta voix.
Bonne nuit, Louis.
Il avait besoin d'entendre ma voix. Mes joues chauffent et je me lève du siège. Je rentre dans la maison, ma mère est maintenant seule au salon, je lui embrasse la joue pour lui souhaiter bonne nuit. Avant de me coucher, je croise Charlotte dans le couloir et la salue, je vais me brosser les dents. Quand je sors, je tombe sur Félicité qui me regarde les sourcils haussés et les bras croisés sur sa poitrine.
– Tu appelais qui ?
– Zayn.
Elle hoche la tête, peu convaincue mais je la laisse avec ça et lui souhaite bonne nuit à elle aussi.
Je rejoins ma chambre sans attendre et m'allonge dans mon lit. C'est la première fois que je ne dis pas la vérité à ma famille, que je la cache. Mais je ne sais pas comment présenter Harry. Je ne sais pas moi-même de quelle manière le qualifier. Ce n'est pas un ami, ni un amant, ni une connaissance. Et, égoïstement, j'ai envie de le garder encore un peu pour moi. Je pose mon portable sur la table de chevet, cache mon sourire dans mon coussin et m'endors ainsi.
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