23.

Sheila

- Oh mon Dieu merci elle est libre. Passe lui le téléphone je t'en prie ma chérie

Je tendis le téléphone à Ana en me faisant la réflexion qu'il n'était peut-être pas nécessaire que je fasse un choix entre mes deux mamans. Les deux m'aiment certainement différemment mais j'aime cette situation. Parfois il ne faut pas trop se compliquer la vie et juste la vivre telle qu'elle se présente.

Je me levai du lit pour les laisser parler et me rendis à la cuisine pour boire un verre d'eau. Je trouve Ado les yeux rivés sur son téléphone, assis sur la paillasse près de l'évier.
Notre ordinateur portable commun à ses côtés. Je me servis un verre d'eau et le rejoignis. Il continua de pianoter sur son téléphone puis constatant que je restais là, silencieusement, il se tourna vers moi avec une expression comme pour dire << qu'est-ce que tu veux ?>> Ou alors <<t'as un problème?>>.

- Ado j'ai un truc à te dire dis-je en déposant mon verre sur ma droite

Il me suivit en verrouillant son téléphone.

- Je t'écoute dit-il d'une voix plus amène que celle d'il y a moins de deux heures
- Je vois un homme depuis quelques temps, pas longtemps hein rajoutai-je
- J'ai le pressentiment qu'il y a une question qui se cache par là souffla-t-il très bas
- Oui en fait je commence à avoir de plus en plus de sentiments pour lui mais je doute que ce soit réciproque. En même temps peut-être que je me trompe mais depuis Matt je sais plus faire confiance aux...
- C'est le mec de tout à l'heure n'est ce pas s'informa-t-il

Je mordis ma lèvre en guise de réponse en triturant mes doigts. Son expression était certes impassible mais je sentais déjà le goût acide des reproches qui ne tarderont pas. Je relevai les yeux sur lui mais je fus surprise du fait qu'il ait un sourire en coin.

- Tu te serais vue, vraiment impossible de rester sérieux dit-il en riant légèrement, ça doit être un bon gars pour te mettre dans cet état argumenta-t-il

Lorsqu'il évoqua ce fait je souris à toutes les choses qu'il avait eu à faire pour m'avoir. Dans la liste des adjectifs qualifiant Leis je ne pourrais vraiment compter celui de "bon gars" mais plus celui "d'homme déterminé". Un bon gars selon moi est un de ceux-là avec une vie calme et sans problème majeur, un caissier dans la supérette d'à côté, un professeur de littérature ou encore un médecin, le classique des classiques des bons partis, tout son contraire en somme .

- Il est chic tu sais mais ....

Je lui expliquai la confusion qu'il a fait naître en moi sans omettre qu'on s'était accessoirement mit en couple.

- Leis Sanchez c'est ça ? Le mafieux.. Humm Shei pourquoi faut-il toujours que tu t'accroches à l'impossible me répondit-il me faisant me rembrunir

- Je ne l'ai pas décidé moi, c'est le résultat d'une suite de coïncidences. C'est pas comme si je les cherchais il est venu à moi tout seul et...
- Ok j'ai compris pas besoin d'en rajouter, et donc toute cette tristesse c'est parce qu'il s'est présenté en tant que ton ami et que jusqu'ici il ne t'a pas contacté c'est ça ? Demanda-t-il

Question à laquelle je répondis en hochant lentement la tête. Sans m'y attendre il partit dans un rire. Je me sentis en effet stupide d'un coup. En faire toute une histoire pour si peu

- Tu es vraiment une gamine,si ça se trouve il a juste voulu bien faire les choses avec toi et que jusqu'ici il souhaitait te laisser du temps avec Ana ou alors qu'il est juste occupé par ses affaires dit-il d'une voix calme et profonde

J'hochai la tête. Si Ado ne semble dérangé des masses par ma relation avec Leis c'est plutôt bon signe non, bien-sûr si on fait abstraction de sa légère crise de folie de tout à l'heure. D'ailleurs comment ça se fait qu'il soit si calme ?

- Dis Ado, qu'est-ce qui t'as fait si soudainement changer d'avis ?
- J'ai pas changé d'avis, confonds pas tout. J'ai discuté avec Térésa et elle m'a dit de vous accorder une chance. À la moindre erreur c'est terminé vous deux. Et ça rigole pas, enfin tu me connais, je parle pas trop

Bah le revoilà le Ado que je connais. On ne transforme pas un cheval en chat, même par magie !

- J'en étais sûre que c'était bizarre. Cette demoiselle T hein..
- La minute confession amoureuse est passée. Rêve pas
- T'es chiant quand tu veux

Il m'offrit un clin d'œil et disparut de la cuisine.

Mes yeux étaient figés sur un point fixe, le réfrigérateur. Je ne l'observais pas réellement mais il était juste en soi le point de chute de mes yeux tandis que mon esprit quant à lui divaguait totalement.

La coque blanche et la fraîcheur qui s'en dégage lorsqu'on l'ouvre rappelle les paysages aux paysages de glace de l'Arctique, lorsqu'un vent froid vous fouette en plein visage et vous gèle le nez. L'épais tapis blanc qui recouvrent les dunes, les monts les vallées. Des tas d'images fusent dans ma tête. L'envie de faire un roman-photo sur ce genre de panorama me saisit, exactement comme pour chacune de mes escapades. Je suis assez spontanée, donc mes décisions ou mes choix je les prends selon le feeling et parfois l'instinct.

Toute contente de ma nouvelle trouvaille je pris l'ordinateur et fis une recherche sur Google pour savoir quel pays correspondrait à ce que je recherche. Dans le style beauté sauvage. Puis mes yeux s'attardèrent sur Moscou, cette ville ne cessait de revenir dans les propositions alors j'optai pour celle-là. Je repérai très vite un hôtel à la hauteur de mon budget et pris l'adresse mail pour leur écrire in box. Je m'apprêtais à me déconnecter lorsqu'une notification de ma boîte mail s'afficha à l'écran. Il s'agissait certainement d'un spam. J'y jetai néanmoins un coup d'œil tentée, mais aussi pour le supprimer après. Mais bien au contraire il s'agissait d'une offre d'emploi d'une agence touristique en Allemagne. Ils avaient besoin de moi pour que je prenne les meilleurs clichés des principales villes d'Allemagne et ce pendant 3 mois pour renouveler leurs brochures. Si je ne m'abuse l'Allemagne c'est un pays froid aussi non? En plus ça serait tous frais payés. Je jubilais intérieurement et me hâtai de leur répondre par la positive. Mes petits posts sur les divers réseaux sociaux auront payé, c'est super

Cette opportunité me permettra certainement de me détendre, de me retrouver et de faire table rase sur les évènements récents mais surtout de mettre un mot sur ce que j'éprouve pour Leis.

- Il t'a écrit c'est ça dit Ado qui était réapparu comme par magie
- Pourquoi tu dis ça ?
- Réponds souvent aux questions Shei. De toute les manières je l'ai ma réponse, tu as les yeux qui brillent

Mon sourire s'effaça l'instant d'une seconde à la pensée qu'il s'était trompé puis j'arborai de nouveau ce large sourire, car il ne servirait à rien de ruiner ma bonne humeur.

- Peut-être que tu dis vrai répliquai-je dans un clin d'œil

Je descends du plan de travail et ferme les onglets qui ont été ouverts. Je pense ne parler de cette trouvaille à personne du moins jusqu'à ce que ça se confirme.

Deux jours plus tard nous étions reunis autour de la table à prendre le petit déjeuner et j'hésitais à leur parler de mon voyage imminent, car j'ai eu la confirmation de mon embauche. De plus qu'il y a d'autres sujets encore plus importants qui méritent d'être traités tel que la rentrée d'Ana et Ado en troisième et cinquième année universitaire respectivement dans trois mois.

- Sheila tu as pensé à aller renouveler ton traitement ? S'enquit maman
- Euh non j'irai sûrement le faire demain répondis-je en trifouillant mon assiette de nouilles
- Tu sais à quel point c'est urgent Sheila !
- Mais oui maman je le sais bien répliquai-je du tac au tac sans prêter attention

Ce n'est que lorsque je remarquai leurs mines surprises que je cherchai à rembobiner mentalement mes dires. Quand alors je compris la grosse bourde que je venais de commettre, encore devrais-je dire.

Mes yeux se posèrent instinctivement sur tante Every ou plutôt ma mère. Sin visage était pâle. Exactement comme la dernière fois. Je soupirai bruyamment en tirant sur une des courtes mèches de cheveux qui retombent sur mon visage, continuant de la fixer faisant abstraction de la présence des autres à côté.

- Maman tu ne crois pas qu'il est temps de me dire toute la vérité ? Lui demandai-je en insistant sur le mot maman

Elle sembla embêtée et regardait Ana et Ado qui étaient à ses côtés, mais mon regard restait posé sur elle. Je ne lui en veux pas le moins du monde et si je lui mets la pression c'est juste pour qu'elle parle. Je l'aime trop pour lui en vouloir.

- Sheila voyons... je..
- Maman on est au courant alors c'est juste une formalité qu'on te demande ajouta Ana en rivant elle aussi son regard sur notre mère

Ado quant à lui semblait complètement largué et ne cessait de nous regarder l'une l'autre, se sentant sûrement mis à l'écart.

- Alors on m'explique ?
- C'est simple commençai-je avant de regarder Ana dans les yeux et qu'elle et moi ensemble ne terminions : nous sommes jumelles

Il leva un sourcil, l'air sceptique puis jaugea notre crédibilité, et ne voyant aucune ombre de sourire ou aucune lueur amusée il dut se résoudre à nous croire. Après la révélation plus personne ne parlait pourtant ça n' était pas ce que j'espérais, j'aurais souhaité qu'on parle, qu'on échange sur tout et rien dans la bonne humeur mais apparemment ce sujet démeure tabou. Je tendis mon bras pour serrer la main de maman, qui était sur la table. Son regard vînt à la rencontre du mien et je lui offris un sourire dans le but de la motiver à parler. Ce qu'elle fit avec un peu d'hésitation.

- Il y a de cela une trentaine d'années mon frère, a rencontré Tiffany, une jeune journaliste. Cette année là il s'engageait pour l'armée et nous passions nos dernières vacances avant qu'il ne s'en aille. Très vite ils sont tombés amoureux l'un de l'autre et de fil en aiguille ils se sont fréquentés. Puis Tiffany est tombée enceinte, ils ont alors décidé de se marier. Bref pendant tout ce temps là Tiffany et moi nous étions énormément rapprochées, nous étions tellement complices. Ensemble nous avons traversé de nombreuses épreuves, vécus toutes ses grossesses. Jusqu'à ce que vînt une année durant laquelle nous étions toutes les deux enceintes et rien que ce fait nous rendait tellement joyeuses. Nous faisions tout exactement pareil pour nos futurs bébés. C'était l'euphorie. Mais peu de temps avant nos dates d'accouchement j'ai décidé d'aller faire un tour en voiture avec Tiffany mais tout ne s'est pas bien passé et nous avons fait un accident. La voiture est entrée en brousse. Sur le coup Tiffany a perdu son enfant. Puisque ni elle ni moi n'avions informé qui que ce soit des résultats de nos échographies et aussi que pendant cette période-là mon frère était en mission, j'ai décidé de céder une de mes deux filles à Tiffany. Je me sentais coupable et j'avais ainsi l'impression de réparer mon tort mais...

- L'instinct maternel te rattrapait terminai-je à sa place

Au final on en parla et nous étions plutôt fiers car cette nouvelle venait renforcer notre trio.

Plus tard dans l'après midi j'entrepris d'aller renouveler mon traitement à la pharmacie puisque je n'avais rien à faire. Ceci fait je retournai à la maison et jetai un coup d'œil à mon téléphone mais rien aucun message de Leis.

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