Chapitre 2 : Hortense
Le village est paisible, Hortense ouvre doucement les yeux. Une douce lumière printanière filtre à travers les rideaux. Le soleil a le don de la mettre de bonne humeur, elle sent que cette journée sera pleine de joie.
Elle se lève, marche jusqu'à la fenêtre et la lumière l'aveugle quand elle déplace le morceau d'étoffe. Elle savoure quelques instants la douce chaleur qui s'empare de son visage, les yeux fermés, levés vers le ciel, puis elle retourne vers son lit. Elle se sent relaxée ce matin, et elle a hâte de voir ce que sa journée d'anniversaire va lui révéler comme surprise.
Elle a retrouvé Léopold depuis maintenant plus de 2 ans, et même en grandissant, il trouve toujours de quoi lui faire passer une journée extraordinaire.
Hortense positionne son oreiller contre le mur, s'assied dans son lit et s'adosse dessus. Elle ouvre son livre et se replonge dans la peau de la jeune protagoniste. Elle adore ces moments hors du temps, se mettre à la place du héros, réaliser ses exploits tout en restant dans son lit, bien au chaud sous les couvertures. C'est tellement plus immersif que le petit écran en noir et blanc dans le salon !
Au bout d'un certain nombre de minutes - voire d'heures - elle referme son livre, contemple la belle couverture et le repose délicatement sur la table de nuit. Elle entend du bruit en bas, enfile donc une belle robe, et descend hâtivement à la cuisine, se demandant quelles belles surprises on lui a réservées pour ses 16 ans. Elle a l'impression de retomber en enfance, quand, en Angleterre, pour ses 8 ans, sa mère avait cuisiné de son mieux une brioche qui était excellente ! Elle avait dû économiser un peu pour pouvoir acheter tous les ingrédients afin de réaliser la recette de son aïeule boulangère, mais cela avait été une pure réussite.
Hortense sent déjà les effluves sucrées arriver jusqu'à ses narines, comme autant de brioches invisibles qui voleraient droit sur elle. Elle en salive d'avance.
En arrivant à la cuisine, sa mère s'affaire déjà derrière les fourneaux et Simone presse des oranges pour confectionner un jus de fruit frais. Dès qu'elle eut fait un pas dans la cuisine, les deux femmes se retournèrent pour venir la serrer dans leurs bras et lui souhaiter tout le bonheur du monde.
"Je peux faire quelque chose ? demanda Hortense.
- Alors là, répondit sa mère avec un joli sourire, dans tes rêves ! Aujourd'hui, tu ne prépareras rien, laisse toi guider. C'est bientôt prêt, ajouta-t-elle."
Marion pouffa et retourna à ses fruits, tandis qu'Alice enfournait une belle brioche au chocolat. Elle alla ouvrir la fenêtre pour faire rentrer la chaleur printanière et les odeurs de nature, puis s'assit à table en savourant les arômes fruités de la cuisine.
Hortense perçoit le bruit d'une porte qui s'ouvre doucement et déduit que son père est arrivé. Il entre en trombe dans la cuisine et Hortense se jette dans ses bras.
Elle entretient une relation privilégiée avec son père. Elle ne l'avait jamais vu avant ses quatorze ans mais depuis qu'ils se sont retrouvés, il profite de sa famille au maximum et Hortense adore lui raconter des secrets et anecdotes. Ils se comprennent tellement bien, parfois sans trop parler, juste dans les yeux.
Il a un paquet sous le bras, qu'il lui tend doucement. Elle le prend dans ses mains en contemplant le joli tissu avec lequel il est soigneusement emballé. La mère et la sœur ramènent leur préparation à table, s'assoient et Hortense commence doucement à dénouer l'étoffe blanche et rouge. Petit à petit elle distingue une couverture en cuire noire avec des dorures. Elle laisse tomber l'emballage sur la table et feuillette le carnet magnifique qu'elle a entre les mains. Elle remarque que des pages ont été arrachées au début de l'ouvrage mais avant qu'elle ne puisse se demander pourquoi, Léopold explique :
"- Ce carnet représente quelque chose. C'était mon carnet de bord pendant les 10 ans où j'ai tenté de vous retrouver."
Un éclair de tristesse passe dans ses yeux avant que son joli sourire ne reprenne place sur son visage.
"- Je me suis dit que cela te ferait plaisir de le récupérer. Je ne sais pas ce que tu en feras mais je suis sûr que tu lui trouveras une utilité.
- Oui il est magnifique ! Merci !"
Sa fille se jette une nouvelle fois dans ses bras et il lui caresse doucement les cheveux avant qu'elle ne mette fin à cette étreinte pour dévorer le petit déjeuner.
Sa maman lui tend un autre paquet quand elle se rassoit. Hortense ouvre le petit sac qu'elle lui remet et découvre une magnifique robe ouvragée que sa mère a dû faire elle-même. Ses yeux s'éclairent : elle la trouve absolument incroyable ! Elle affiche un grand sourire qui lui signifie sa gratitude, et la serre dans ses bras à son tour. C'est ensuite le moment de déguster le petit festin préparé par leurs soins, c'est un régal !
En remontant dans sa chambre ce soir-là, après avoir passé une journée extraordinaire, après avoir marché pendant deux heures pour aller à la mer, et deux heures pour en revenir, elle ne va pas se coucher tout de suite. Elle est fatiguée après tous les efforts de la journée, mais sa tête est remplie, alors elle ressort le carnet offert par Papa ce matin. Elle contemple encore une fois sa couverture, qu'elle trouve absolument parfaite, et l'ouvre à la première page. Elle fixe le papier un peu jauni mais toujours beau, avec ses fines lignes noires et se demande quelle utilité elle va lui trouver. Hortense voudrait que ça soit quelque chose d'important, voire de symbolique. Ce carnet ne peut pas juste être un carnet de recette ou d'adresse, il représente beaucoup trop sentimentalement. Elle passe en revue toutes les choses qu'elle pourrait y consigner, pendant quelques heures, et finit par avoir une petite idée derrière la tête. La nuit lui portera sûrement conseil. Elle se glisse dans son lit, les draps doux contre sa peau, elle ferme les paupières et entre dans un monde plein de rêves où tout est possible.
La jeune fille se réveille une nouvelle fois avec les doux rayons de soleil qui lui chatouillent le visage. Qu'est-ce que c'est agréable !
Elle se lève, ses pieds nus contre le parquet en bois, et marche silencieusement pour ne pas réveiller les autres. Elle s'assied à son bureau et ouvre le carnet qu'elle a laissé là la veille au soir. Elle retrouve la première page, prend sa plume et, de sa plus belle écriture, trace les mots qui sont si importants à ses yeux : "Carnet de vœux". Écrits dans CE carnet, ils prennent tout leur sens : pour Hortense, il ne faut jamais s'arrêter de rêver. Si un père est perdu et probablement mort, il reste toujours de l'espoir, et on finit par le retrouver un jour.
Elle écrit en dessous son nom et l'année, et tourne la page. Elle cherche quel vœu elle pourrait écrire en premier. Au bout de quelques instants de réflexion, la jeune fille finit par opter pour quelque chose qui lui tient à cœur. Elle inscrit la date du jour et écris en dessous : "Ne jamais oublier mon histoire, ni celle de mon père."
Ce sera son premier vœu et sûrement le plus important. Son histoire, elle la connait parfaitement : à ses deux ans, en mai 1941, sa mère a décidé de quitter le pays avec un cousin et de partir pour l'Angleterre. Malgré le très jeune âge d'Hortense et celui, pas beaucoup plus élevé, de sa sœur, cette occasion ne se serait peut-être pas représentée deux fois.
Elle a laissé un mot caché pour leur papa, elle a juré qu'ils reviendraient en 1954 : elle ne pouvait pas abandonner cet endroit, qui constituait la plupart de son existence, sans avoir aucun espoir de revenir.
Hortense n'a plus aucun souvenir de cette période de sa vie, et heureusement peut-être. Sa maman a essayé de lui raconter la souffrance qu'elle a enduré, le manque de sommeil qu'elle avait à cause du stress, qui ne la quittait plus. Cette période a été très compliquée pour toute leur famille. Ils logeaient chez un ami d'enfance de leur père, que sa mère avait réussi à contacter. Maman et Simone aidaient aux tâches, pour compenser tout ce qu'il leur offrait, et Hortense se faisait garder par la grand-mère. Sa maman lui a dit avoir eu très peur quand elle est tombée malade et qu'elle a eu de la fièvre pendant des jours. Elle devait alors avoir presque 3 ans et elle ne mangeait pas assez, comme tout le monde. Le médecin du village a confectionné des remèdes comme il pouvait et la jeune enfant a guéri au bout de quelques semaines. Ils sont restés là-bas jusqu'à ce qu'ils remportent la guerre, en 1945 : Hortense avait alors 5 ans. La Maman a obtenu un bout de maison chez un inconnu en 1946, ils étaient maintenant autonomes, la situation s'améliorait de jour en jour.
Ils ont commencé à avoir une vie de plus en plus paisible. Ils ne parlaient jamais de Papa, Hortense ne l'avait jamais vu, sauf en photo, car elle était née en avril 1940, après son départ. L'aînée, ayant 4 ans de plus, avait des souvenirs heureux en sa compagnie et mère et fille étaient très tristes toutes les deux. C'est dur de voir des êtres très chers être si tristes quand, soi-même, on n'arrive pas à ressentir cette émotion pour quelqu'un qu'on ne connait pas.
Leur maman assurait parfois qu'elles allaient rentrer au plus vite à la maison, car ils avaient le rendez-vous de leur vie, en 1954. La jeune fille sait maintenant qu'elle s'accrochait de toutes ses forces à cet espoir, car c'était la seule chose à laquelle elle pouvait se raccrocher. Quand elle pense à la détermination de sa mère, pour s'occuper de deux filles dans un pays étranger, pendant 14 ans, elle se sent tellement fière d'elle. Ce qui est sûr, c'est qu'elle la respectera toujours pour ça.
Leur famille a petit à petit tissé des liens grâce au petit travail de leur maman, et parfois, des amies nouvelles venaient leur rendre visite ou manger à la maison. Elles n'avaient jamais été aussi heureuses avant.
Après Noël, en 1953, elles ont fait leurs bagages en faisant leurs adieux à tous ces gens formidables qu'elles avaient rencontrés, puis elles sont parties à pieds vers le port le plus proche. La traversée en bateau jusqu'en France a été laborieuse mais elles y sont parvenues et elles ont enfin posé le pied sur le sol français, au début de l'année 1954. Il a encore fallu traverser la Bretagne pour rentrer chez elles.
Tout se passait bien jusqu'à ce qu'Hortense se blesse en tombant de fatigue dans un village proche du leur. C'est là qu'elle a rencontré les beaux yeux, noyés de larmes, de son père pour la première fois. Sa vie s'est considérablement améliorée depuis ces deux dernières années passées en famille, et elle est maintenant la jeune de 16 ans la plus heureuse du monde.
Hortense range enfin son carnet dans un tiroir de sa commode, et entreprend de continuer le sac de tissu qu'elle est en train de confectionner pour la dame qui habite à deux rues d'ici. Cette dernière connaît bien la mère de la jeune fille et a entendu parler de son talent pour coudre. Hortense ne se pense pas si douée, mais sait faire des choses simples. Elle essaiera de le lui apporter en fin de journée si elle arrive à le finir.
Elle descend manger et aider dans les tâches quelques heures plus tard. Sa mère est contente de la voir apporter sa contribution et le bonheur de la famille lui importe plus que tout le reste. Simone est en train de faire du beurre et Hortense reconnait qu'elle détient le record du meilleur de tout le village. Hortense va l'embêter un peu en lui mettant de la farine partout, l'aînée râle mais rigole ensuite, et on devine qu'elle ne lui en veut pas. La jeune fille pâtisse ensuite avec sa maman, termine son œuvre de couture et sort pour l'apporter à Mme Mercier. Elle marche seule sur le pavé, en respirant le bon air du printemps, toque à sa porte et elle lui ouvre toute souriante. Elle la remercie pour son travail qu'elle trouve remarquable, et lui donne quelques pièces. Elle lui offre un thé qu'Hortense n'ose pas refuser et elles parlent voyage pendant une bonne heure.
Son fils est parti visiter Tahiti car il se forme en tant que pilote d'avion. Elle lui confie que le prix du voyage était très élevé mais que malgré ça, elle est très heureuse pour lui. Il a réussi à lui envoyer quelques photos par la poste et elle va vite les chercher pour les lui montrer. Ça a l'air magnifique, plus joli que tous les paysages qu'il a été donné de voir à la jeune fille. Les plages de sable fin lui donnent envie de plonger ses orteils dans l'eau et le beau soleil suggère que la température doit être plus élevée que dans leur village de Bretagne. Il a l'air de loger dans un endroit paradisiaque et Hortense n'a qu'une envie : le rejoindre, même alors qu'elle ne le connait pas.
Le soleil commence sa chute vers l'horizon et il rappelle à la demoiselle qu'elle doit rentrer pour faire de la soupe. Elle remercie bien Mme Mercier pour le thé, et la salue avant de passer chercher des légumes à l'épicerie. Louise est aussi ravie de la voir, lui souhaite un joyeux anniversaire en retard, lui demande ce qu'elle a fait pour l'occasion et quelles sont les nouvelles de la famille. Elle rentre enfin chez elle quand le soleil a presque terminé de les faire profiter de sa lumière. L'apprentie cuisinière se lave les mains et se met derrière les fourneaux. Elle concocte un potage sous le regard attentif de sa mère, l'odeur qui s'en dégage donne l'eau à la bouche. Ils passent à table et c'est un régal. Après cette journée bien remplie, Hortense s'empresse de souhaiter une bonne nuit à tout le monde et de monter dans sa chambre. Elle ressort son carnet : elle a décidé de consigner un second vœu. Celui-là est particulier car elle sait qu'il ne sera pas réalisable. Mais personne ne lui empêchera de rêver.
Elle note la date du jour et écrit en calligraphiant les lettres : "voyager dans un endroit paradisiaque". Elle ajoute des petits nuages autour de ses lignes pour signifier que ce vœu restera pour toujours un simple rêve, mais cela lui fait plaisir d'y croire.
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