Quand La Nuit s'Empare de Nous II


Icare, vers l'astre solaire, a pris son envol, alors que moi, du paradis, j'ai sombré en désespoir.


Claudio entreprit de décrire à Lyreai le lieu de la soirée, une villa luxueuse nichée en périphérie de la ville. Les mots de Claudio peignirent un tableau si enchanteur que Lyreai ne put que s'émerveiller. Le désir de se parer pour cette soirée unique la prit alors, et elle se résolut à se rendre dans un magasin de vêtements pour se préparer.

C'est ainsi, portée par cette promesse, que Lyreai prit congé de Claudio qui, quant à lui, regagna son domicile pour finaliser les préparatifs de sa soirée, qui s'annonçait à la fois littéraire et apaisante, telle qu'il l'avait décrite.

Lyreai, plus déterminée que jamais, s'aventura dans la première taberna qu'elle croisa, un petit magasin de vêtements pour femmes. À l'entrée, une vieille dame nommée Emilia vint à sa rencontre.

- Eh bien, ma jolie, que puis-je faire pour vous ? demanda Emilia.

Lyreai, non timide mais submergée par l'étendue de son ignorance, se sentit écrasée par la variété des tissus et des robes qu'elle ne connaissait pas et n'avait jamais portés. Tout ce qu'elle avait porté jusqu'à présent était le fruit de sa propre confection, simple et rustique, loin des extravagances de la vie romaine.

- Je dois me rendre à une soirée ce soir, une soirée littéraire et reposante, déclara Lyreai, les mots hésitant sur ses lèvres, à la fois gênée par son ignorance et par son latin imparfait.

- Ah, alors vous êtes au bon endroit ! Suivez-moi, j'ai de quoi vous faire essayer, et ne perdons pas de temps ! répondit immédiatement Emilia, la vendeuse, subitement plus enthousiaste et accueillante. Face à cet accueil chaleureux, Lyreai se détendit et la suivit à travers le magasin.

Elle essaya plusieurs robes, certaines lui allaient mieux que d'autres, mais elle finit par faire son choix.

Vêtue d'une robe d'une blancheur immaculée, légère et flottante, en soie luxueuse, ornée de broderies délicates, elle se découvrit sous un nouvel angle. Le corsage mettait en valeur sa silhouette, dévoilant des courbes qui, en l'espace d'une nuit, étaient passées de l'enfance à la féminité. La robe s'évasait gracieusement vers le bas, touchant à peine le sol. Ses épaules dénudées révélaient une peau douce et bronzée, tandis que les manches longues et légèrement évasées ajoutaient une touche de grâce qu'elle n'avait jamais possédée. Des plis drapés descendaient le long de la robe, créant une fluidité à chacun de ses pas.

Lyreai se contempla dans le miroir, se découvrant véritablement femme pour la première fois. Cependant, son reflet révélait également les empreintes de sa vie passée, sa beauté rayonnait à travers ses traits, mais elle portait encore les marques de sa nature sauvage, de son tempérament combatif. Devant ce miroir, Lyreai se sentit éprise de son propre reflet.

Claudio, d'une décennie son aîné, l'initiait à un monde qui lui était étranger, que ce soit dans les coulisses de la cour des hommes ou dans les plaisirs qu'il promettait. Malgré le prix exorbitant de la robe, Lyreai vida sa bourse sans regret, mettant de côté toute pensée à l'égard de Séléné et de ses avertissements, qu'elle avait déjà oubliés.

En sortant de la boutique, elle croisa un groupe de gladiateurs en train de s'entraîner. Leurs corps musclés et luisants de sueur attirent son regard. Elle se sent à la fois fascinée et troublée par leur puissance. Elle était aussi une guerrière, mais ça, c'était autre fois.

Finalement, elle prend une litière pour se rendre à la villa de Claudio.

Lyreai arrive devant un grand bâtiment en pierre blanche, orné de colonnes doriques. Des esclaves accueillent les invités et les conduisent à l'intérieur. Elle est frappée par l'ambiance festive et la multitude de couleurs et de sons. La musique résonne dans toutes les pièces, des flûtes, des tambours et des luths se mêlent pour enjouer les invités. Des rires et des conversations remplissent l'air.

L'odeur d'encens se mêle à celle de la nourriture et du vin, un mélange qui chatouille les narines.

La salle s'étirait infiniment, richement parée de draperies pourpres et dorées qui pendaient des murs jusqu'aux plafonds. Lyreai fut escortée vers une vaste scène située au fond de la salle. Là, un groupe de musiciens exécutait une mélodie qui parcourait tout son corps, caressant ses sens, surtout ceux qui n'avaient jamais été initiés à une telle douceur musicale.

Il y avait des patriciens et des plébéiens, des citoyens romains et des étrangers venus de tout l'Empire. Tous semblaient heureux et insouciants, dansant, buvant et discutant joyeusement.

Finalement, Lyreai repéra Claudio qui était occupé à discuter avec un petit groupe de personnes. Elle se dirigea vers lui, en souriant timidement. Claudio se tourna vers elle et sourit à son tour, en la saluant chaleureusement.

- Que vous êtes radieuse, ma Lys, toutes les têtes se tournent vers vous, déclara Claudio en la prenant dans ses bras, la serrant contre lui. Lyreai se blottit contre lui, les lèvres entre-ouvertes, prête à répondre à ses lèvres fébriles qui se mouvaient avec une telle ardeur que le monde autour d'eux s'effaça.

Un sourire aussi séducteur et charmeur que celui de Claudio se dessina sur les lèvres de Lyreai, et sur un ton taquin, elle répliqua :

- Je suis ta bien-aimée, je dois te séduire, te tourmenter et te soumettre.

Claudio éclata d'un rire joyeux, ses boucles d'or voltigeant, ses yeux azurés étincelants.

Ensuite, Claudio la présenta à ses amis, qui l'accueillirent avec une chaleureuse gentillesse et une vive curiosité. Parmi eux, un seul individu la troubla profondément : Marcus. Son regard était empreint d'une lueur sinistre, dirigé droit vers elle, avec des yeux enfoncés, d'un noir intense, et un regard scrutateur qui ne la lâchait pas. Pourtant, Claudio la tenait fermement près de lui, et Lyreai avait l'impression de n'avoir jamais été loin de sa chaleur, son torse et de son odeur.

Lyreai se sentait à l'aise en compagnie des convives, mais une question tourbillonnait dans son esprit : pourquoi était-elle là ? Elle se percevait comme une étrangère dans ce monde luxueux et frivole. 

Par moments, elle ressentait des picotements dans ses doigts, un doux bourdonnement dans sa tête, comme si des voix lointaines cherchaient à l'atteindre. Elle aurait juré que l'une de ces voix appartenait à un homme, sa voix masculine, légèrement grave mais empreinte de douceur, semblait avoir persisté à essayer de la joindre, en vain. Cependant, Lyreai reléguait ces sensations à l'effet du vin qu'elle avait consommé, préférant se laisser emporter par l'ivresse de la soirée.

Lyreai avait fermé les yeux l'espace d'un instant, un silence éphémère avait enveloppé la pièce. Puis, une mélodie lente avait commencé à jouer, ses notes douces et sensuelles s'infiltrant dans chaque fibre de son être.

- Laisse-toi emporter, ma Lys, murmura Claudio à son oreille.

Lyreai garda les yeux fermés tandis que Claudio guidait ses mains vers ses hanches, la forçant à se mouvoir au rythme des notes et de ses pas. Lyreai se soumettait volontairement, sa tête devenant de plus en plus légère, un voile épais obscurcissant ses pensées.

Elle ouvrit ses yeux, observant les convives qui commençaient également à danser doucement, à s'abandonner à l'instant présent.

Claudio commença à défaire la robe de Lyreai, mais elle ne s'en soucia pas, le laissant faire. Elle se sentait comme une brebis au milieu d'un troupeau. Des odeurs d'encens flottaient dans l'air, mais aussi dans son esprit.

- Je t'appartiens pour la vie, déclara Lyreai à Claudio, alors qu'elle émergeait de sa robe désormais tombée au sol. Elle se tenait de dos à Claudio, mais cette fois, elle se tourna vers lui, saisissant son visage entre ses mains et capturant ses lèvres avec une passion sincère et indomptable.

- J'aimerais tellement, lui répondit Claudio en l'attirant davantage vers lui, son baiser devenait désespéré, ses larmes coulant silencieusement.


Le sablier s'écoulait inexorablement, chaque grain de sable en était témoin.


Lyreai avait entouré les épaules de Claudio de ses bras après l'avoir aidé à se défaire de sa toge. Désormais, ils se trouvaient au centre de la salle, parmi les convives, dansant, nus. Lyreai avait rejeté sa tête en arrière, tantôt dansante, tantôt riante, elle tournoyait de plus en plus avec assurance. Claudio la laissait s'exprimer, mais il ne laissait personne s'approcher. Chaque fois qu'elle s'éloignait un peu en dansant, il la ramenait inexorablement vers lui, lui mordillant le cou, les seins, à chaque fois pour la punir, et Lyreai ne pouvait que soupirer de plaisir ou glousser joyeusement.

- Reste près de moi, pour moi, avec moi, ne t'éloigne pas, c'est dangereux, répétait inlassablement Claudio à Lyreai, et à chaque fois, elle lui coupait la parole en scellant leurs lèvres.

Soudain, la porte s'ouvrit, et une femme entra, captivant tous les regards. Lyreai reconnut immédiatement Amarante, la femme avec qui elle avait partagé un baiser dans les bains publics. Si depuis un moment, il semblait à Lyreai qu'elle avait oublié beaucoup de choses, une certitude restait ancrée dans son esprit : Amarante.

La musique changea de tempo, devenant plus rapide, et Amarante se mit à danser, dévoilant doucement mais sûrement son corps, son tatouage, la rose sur son bras semblant briller, un autre tatouage, plus grand et plus gracieux, ornait son bas-ventre, attirant son regard. Lyreai n'avait jamais cru qu'elle pourrait trouver le corps d'une femme aussi beau et désirable. Elle attira désespérément Claudio vers elle.

Les mouvements d'Amarante étaient fluides, ses pieds se croisaient, ses hanches se balançaient, ses seins bondissaient de gauche à droite, aucun vêtement ne venait cacher son corps apetissant aux yeux de Lyreai. Les hommes commencèrent à s'approcher d'elle, à danser avec elle, et Lyreai sentit une pointe de jalousie monter en elle.

Elle voulait s'en approcher, mais Claudio la retenait dans ses bras par derrière, toujours collé à elle, mais n'osant pas la regarder de face.

- Désolé, ma Lys, ne cessait-il de répéter, mais Lyreai ne prêtait pas attention à ses mots, trop absorbée par le spectacle d'Amarante. Ses longs cheveux caressaient ses fesses, charbonneux et brillants, ses yeux, semblant tantôt jaunes, tantôt noirs et verts, mais Lyreai attribuait cela au manque de lumière.

Amarante s'approcha lentement de Lyreai.

Cette dernière ne pouvait détacher son regard d'elle alors qu'elle s'approchait, sa peau nue effleurant enfin la sienne. La danseuse lui sourit, et Lyreai sentit son cœur battre de plus en plus fort.

- Tu aimes le spectacle, ma Philomèle ? *

Amarante prit la main de Lyreai. Elle l'entraîna avec elle, et Claudio, forcé de la lâcher sous le regard d'Amarante, s'éloigna, sa rage contenue bouillonnant en lui. Mais il se soumit.

Lyreai se laissa emporter par la danse, son corps répondant aux mouvements d'Amarante avec une grâce qu'elle ne soupçonnait pas posséder. Elle se sentait libre et vivante, comme si rien d'autre n'existait dans le monde que le moment présent, elle et la danseuse.

Puis, sans prévenir, Amarante se pencha et embrassa Lyreai, ses lèvres douces et sensuelle capturant les siennes. Lyreai se laissa faire, les yeux fermés.

Lorsqu'elles se séparèrent, Lyreai prit conscience que toute la pièce les observait, une légère rougeur montant à ses joues. Mais elle s'en fichait, elle ne pouvait pas nier l'attirance qu'elle ressentait pour cette femme.

Elle ne savait plus où elle en était, elle ne voulait plus le savoir. Elle se sentait vivante, libérée de toutes ses inhibitions. Les caresses d'Amarante la transportaient, elle se sentait aimée, désirée, et cela la rendait folle de désir à son tour.

Claudio, observant de loin, adossé contre un poteau, nu, avait le visage fermé et les yeux contrariés. Lyreai lui souriait de temps en temps.

Elle sentait le souffle chaud d'Amarante sur sa peau. Elle ne pouvait résister à ses avances, l'embrassant passionnément, laissant ses mains se balader sur son corps. Tout son être était en feu. Puis, brusquement, tout s'arrêta.

La musique se tut, les musiciens avec leurs flûtes, les invités, tout le monde quitta la salle. Lyreai se retrouva seule sur la piste de danse, pantelante et confuse. Elle regarda autour d'elle, essayant de reprendre ses esprits, et vit Claudio qui la fixait avec un sourire triste aux lèvres. Il lui tendit la main, qu'elle saisit, et elle le suivit, les jambes encore tremblantes. Ils quittèrent ensemble cette salle.

Lyreai se sentait dans un état second, perdue entre les souvenirs et la réalité.




Philomèle* : nom de la fille de Pandion, qui enlevée par son beau-frère Térée, fut changée en rossignol.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top