~Épilogue #3~
~Livai~
Assis à l'arrière d'un taxi, mon dos est droit et mes bras sont enroulés autour de la petite valise sur mes genoux afin de ne rien toucher qui pourrait me contaminer. Je hais les transports en commun. Quand Erwin m'a proposé de venir jusqu'à son appartement en autobus, mon cœur s'est arrêté. Jamais mon TOC ne me permettrait de m'agglutiner contre des humains étrangers dont la propreté laisse à désirer. Toucher les mêmes choses que d'autres personnes sans savoir la dernière fois que quelqu'un a tout lavé, c'est suffisant pour me faire perdre la tête.
Heureusement, un taxi, c'est moins répugnant. L'idée que d'autres passagers se soient assis sur la banquette arrière avant moi reste repoussante, mais après avoir tout aspergé de désinfectant, je suis en mesure de profiter du trajet. Par son petit rétroviseur, le chauffeur me regarde avec inquiétude.
-P'ti gars, tu sais que tu peux te détendre? s'enquiert-il. Je t'assure que je suis un bon chauffeur. Tu ne cours aucun danger.
-Non merci, ça ira.
Je serre plus fort ma valise, agacé par le terme que cet inconnu a utilisé pour me définir. Ce que je fais, ça ne le regarde en rien. Il est payé pour conduire et non pour parler.
Ma tête tourne vers la fenêtre afin d'admirer la ville qui se dessine de l'autre côté du pont que nous traversons. Même en plein jour, les hauts gratte-ciels sont impressionnants, tout comme le trafic imposant dont les coups de klaxon répétitifs m'agacent. Est-ce ici que je vais désormais vivre? Ayant grandi dans un village de petite taille où tous les voisins se connaissent, je peine à imaginer mon avenir dans un endroit aussi animé. Vais-je apprécier cette nouvelle vie? Peu importe si cette ambiance me plait ou pas, tout ce qui compte pour moi, c'est de vivre avec Erwin
après une heure complète dans les embouteillages, nous suivons les indications du GPS à travers le centre-ville achalandé. Il y a tellement de gens. J'observe les petites boutiques que nous croisons lorsque le taxi s'arrête le long du chemin devant un grand bloc d'appartements. Est-ce ici? Je dévisage l'immeuble, légèrement intimidé.
-C'est l'adresse que vous m'avez donnée, affirme le chauffeur. Vous avez besoin d'aide pour amener vos affaires? S'il y a des escaliers, ce sera compliqué pour vous.
-Non merci. Ça ira.
Je sors mon porte-monnaie pour lui payer son dû, puis je quitte le véhicule en tirant ma valise à ma suite. Je retire le reste de mes affaires qui se trouvent dans le coffre arrière, puis les bras pleins, j'avance vers la porte d'entrée de l'immeuble. C'est stressant. Mon cœur palpite alors que je pénètre dans la spacieuse bâtisse, évitant quelques résidents qui sortent sans se soucier de ma présence étrangère.
Comme Erwin me l'a expliqué au téléphone, je cherche l'ascenseur afin de m'y engouffrer. Heureusement, il n'y a personne d'autre qui pourrait m'incommoder. Après avoir appuyé sur le bouton du quatrième étage, je profite de la petite musique classique jusqu'à ce que les portes en fer s'ouvrent à nouveau. Dans une grande inspiration, je sors pour chercher l'appartement qui deviendra ma maison, là où l'homme de mes rêves m'attend sagement.
En reconnaissant le numéro recherché, je m'arrête devant la porte. Nous avons décidé de déménager ensemble lorsque nous étions encore au camp et désormais que nous nous sommes quittés depuis deux semaines, il est temps de tenir notre promesse. J'habitais encore chez mon oncle et comme je possède peu de biens personnels, je n'avais pas beaucoup de choses à amener. N'étant plus aux études, contrairement à Erwin qui doit terminer sa technique policière, nous avons convenu de vivre temporairement dans son appartement.
Je cogne quelques coups, puis j'attends.
Il faut peu de temps avant que la porte s'ouvre, laissant apparaitre la grande silhouette musclée d'Erwin. Ses cheveux d'or légèrement en bataille au sommet de ses larges sourcils, il me sourit avec tendresse. Sans commencer par me saluer, ses grandes mains encerclent mes joues qu'il attire afin de m'embrasser, libérant un torrent de chaleur dans mon corps amoureux. Deux semaines sans se voir, c'était trop long.
-Bienvenue chez toi, Livai, souffle Erwin en rompant le doux baiser.
***
Onze ans se sont écoulés depuis que je vis avec celui qui est aujourd'hui mon mari.
Erwin m'a convaincu de retourner à l'école dans un domaine qui me plairait. Au début, j'étais terrifié à l'idée de recommencer à étudier, effrayé d'être à nouveau le mouton noir. Pourtant, personne ne m'a jugé. Les élèves étaient tous dans leur bulle, loin des clichés du secondaire où les jeunes cherchent à ridiculiser les marginaux. Cette expérience en gestion d'entreprise m'a permis de mettre sur pied ma propre agence de nettoyage et de diriger de nombreux employés.
Alors que mon mari est un policier admirable, je m'occupe de ma petite agence avec passion tout en aidant à élever notre fils adoptif. Désormais âgé de trois ans, ce petit bonhomme est une boule d'énergie qui n'a pas peur de se salir, ce qui joue parfois avec mes nerfs. Craindre la saleté tout en ayant un bambin, c'est une tâche ardue. Heureusement, mon amour pour lui prend le dessus sur le reste et je crois m'améliorer en maitrisant mieux mes pulsions.
Debout devant l'évier de la cuisine, je nettoie des légumes tout en gardant un œil sur la petite télévision qui nous serre de divertissement. Il y a encore des problèmes en ville. Ces derniers temps, Erwin m'a confié enquêter sur un trafic de stupéfiants qui s'est installé dans le coin. Jusqu'à maintenant, le petit groupe de suspects aurait envoyé deux victimes à l'hôpital, donc mon mari se fait un point d'honneur de les arrêter. Il travaille dur pour faire de notre quartier un lieu sécuritaire où notre fils pourra grandir sans risque.
Sur un épais drap étendu au sol, mon fils joue joyeusement avec ses nombreuses petites figurines de schtroumpfs dans son adorable pyjama à motifs de tortue. Il est mignon. Lorsqu'il remarque mes yeux posés sur lui, il se lève en se tenant à ma jambe pour ne pas tomber.
-Où est papa? s'enquiert-il en me fixant de ses grands yeux verts.
-Il est au travail. Ne t'en fais pas, il devrait bientôt rentrer.
Ma main glisse sur sa tête d'un geste réconfortant alors qu'au fond de mon cœur quelque chose me perturbe. Erwin ne rentre jamais aussi tard, sauf quand il a des travaux importants. Il m'appelle presque toujours lorsqu'il sera en retard afin que je ne me fasse aucun souci.
Le téléphone sonne.
Convaincu qu'il s'agit de mon mari, j'essuie mes mains humides avant d'approcher le combiné de mon oreille.
-Bonsoir?
-Monsieur Smith? s'enquiert une voix masculine étrangère. Je me nomme Nile Dok, je suis le collègue d'Erwin. Hum... je vous appelle pour vous informer qu'il est actuellement à l'hôpital. Soyez sans crainte, sa vie n'est pas en danger.
-Quel hôpital?
Ma voix est glaciale et ma main commence à trembler. Que s'est-il passé?
***
Mon fils dans les bras, je sors de ma voiture que j'ai stationnée devant l'hôpital. Mon corps entier est engourdi alors que ma tête bourdonne et que mon cœur palpite avec douleur. De nombreux scénarios remplissent mes pensées, mais j'essaie de les chasser afin de ne pas voir le pire. Je veux Erwin... Son collègue m'a certifié que sa vie n'est pas en danger, cependant, je suis incapable de ne pas me faire un sang d'encre pour lui.
Je pénètre à pas rapides dans le grand hôpital, contournant quelques malades en chemin. Sans me soucier de dépasser les gens, je m'arrête face au poste d'information où une jeune femme svelte appuie sur les touches de son ordinateur.
-Je viens voir mon mari, Erwin Smith, affirmé-je. Où est-il?
-Veuillez patienter s'il vous plait. Je suis actuellement occupée.
La femme ne me jette même pas un regard, continuant son travail comme si je ne valais pas la peine qu'elle se presse. Ne voit-elle pas l'urgence? Je m'apprête à me répéter avec plus de colère lorsqu'une main étrangère se pose sur mon épaule. Je me retourne vers un homme en uniforme de policier qui me fait un triste sourire sous ses yeux cernés. Sa barbe est taillée courte sur ses joues creuses tandis que ses cheveux sombres lui donnent un côté négligé.
-Vous êtes Livai Smith? s'enquiert-il. C'est moi qui vous ai appelé, Nile. Erwin est actuellement en salle opératoire, donc nous devons attendre que le docteur vienne nous chercher. Je suis désolé.
-Qu'est-ce qui s'est passé? Qu'est-ce qu'il a?
Nile pince les lèvres, balayant ce qui nous entoure avec ses yeux noisettes. Réalisant qu'il y a trop d'oreilles indiscrètes, il me guide à l'écart, mon fils dans mes bras. Ce dernier câline sa peluche en forme de panda sans se douter que son père est blessé, toujours dans son adorable pyjama que je n'ai pas pris le temps de changer.
-Ces derniers temps, Erwin et moi enquêtons sur un trafic de stupéfiants qui touche beaucoup les écoles du coin, commence le policier. Ce matin, une source nous a envoyé les coordonnées de la prochaine transaction qui devrait avoir lieu, donc avec d'autres policiers, nous avons fait une perquisition. Ils étaient plus nombreux que prévu et ils ont commencé à fuir. Erwin a poursuivi l'un des hommes dehors, mais un autre l'a poussé et il est tombé sur le sol, devant leur voiture. Il... Il s'est fait rouler sur le bras.
Tout mon corps est gagné par les frissons quand je m'imagine la scène. Il s'est fait rouler sur le bras... Je serre mon fils contre moi, un gout amer dans la bouche.
-C-Comment va son bras? soufflé-je.
-C'était moche, je ne mentirai pas. Ils ont appuyé sur l'accélérateur au mauvais moment. Les médecins pourront surement faire quelque chose. J'en suis convaincu.
Le corps faible, je m'assois sur une chaise de la salle d'attente, fixant le sol. Le temps parait tellement long. Après un moment, un médecin vient me chercher, l'air sérieux. Il me guide vers la salle où se trouve mon mari, m'expliquant qu'ils ont fait leur possible pour sauver son bras, mais que l'os était dans un état irrécupérable. Qu'est-ce que cela signifie? Incapable de dire un mot, j'entre dans la chambre.
Erwin est allongé sur un lit blanc, branché à quelques files. Son visage est plus blanc que la neige, ses yeux sont cernés et ses lèvres sont gercées. Pourtant, ce qui attire mon regard est l'endroit où devrait être son bras droit. Il n'y a plus rien, seulement un moignon bandé d'un tissu épais.
-Je suis désolé, je suis en retard pour le souper, déclare Erwin d'une voix faible.
-Ne dit pas de bêtises. Nile m'a tout expliqué... Comment tu te sens?
-Les médicaments font effet, donc ça va pour l'instant.
J'approche du lit pour regarder mon mari de plus près, glissant une main sur sa joue glaciale. Il doit terriblement avoir souffert. Ce dernier tend ses doigts restant pour les glisser dans les cheveux de notre fils qui semble avoir compris que son papa est blessé. L'enfant fronce ses petits sourcils, puis il tend la peluche au blond.
-Bean va te protéger.
Erwin sourit faiblement en agrippant la peluche, ému par son geste.
-Merci, le remercie-t-il. Papa va précieusement la garder en attendant de guérir. Est-ce que ça te dérange de laisser tes papas seuls deux minutes? Tu reviendras juste après. Je t'aime fort.
Mon mari embrasse le front de notre fils que je vais porter à Nile qui attend hors de la pièce, comprenant qu'Erwin souhaite me parler sérieusement. Lorsque je reviens, je remarque que ses yeux fixent le plafond avec tristesse. Perdre un bras doit être difficile à avaler pour un sportif tel que lui. Sa carrière va en pâtir.
-Dis, Livai? souffle-t-il. Je... Je sais que c'est idiot, mais je me demande si ça va te dégouter. Je sais que c'est laid, effrayant même. Vas-tu encore m'aimer?
Je reste figé, étonné par sa question soudaine. Pourquoi craint-il que je ne l'aime plus? Erwin est l'homme de ma vie, mon partenaire jusqu'à la mort. Peu importe l'état dans lequel il serait, rien ne ferait faner l'amour que j'éprouve pour lui. Ma main va se glisser sous son menton pour le forcer à me regarder dans les yeux et ainsi lui prouver ma sincérité:
-Erwin, je serai avec toi jusqu'à la mort, que tu le veuilles ou non. Ce n'est pas un petit bras en moins qui va changer quoi que soit. Je vais être là pour t'aider à passer à travers cette épreuve difficile. Je te le promets, donc ne doute plus jamais.
Erwin sourit, puis je me penche pour lui voler un rapide baiser. Les prochains mois seront difficiles pour lui, mais je promets de ne jamais l'abandonner.
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