Le lendemain Zoé et moi sommes parties en même temps en direction de la fac. Le jeudi c'est le seul jour où on commence à la même heure. En arrivant sur le campus on se rend compte qu'on est en avance contrairement à d'habitude, ce qui nous laisse un peu de temps pour discuter avec nos amis avant que les cours commencent.
Violette et Iris sont devant le bâtiment d'art, se sont des amis qu'on a rencontré au lycée, elles sont vraiment adorables. Violette porte bien son nom puisqu'il correspond à la couleur de ses cheveux, timide elle ne va pas beaucoup vers les gens mais une fois qu'on commence à discuter, elle est plus à l'aise. Elle a un véritable talent pour le dessin, c'est d'ailleurs l'option qu'elle a choisi au bac. On la croisait tout le temps avec une pochette à dessin sous le bras, pas étonnant qu'elle ai choisi cette filière. Iris est rousse aux yeux verts et petite comme moi, on fait la même taille. Il est difficile de ne pas l'apprécier, elle est avenante et douce, elle est gentille avec tout le monde, bien qu'un peu naïve.
On marche vers elle en les saluant. Nous discutons toutes les quatre quelques minutes mais très vite on a dû se séparer. Zoé et moi allons dans le même bâtiment, nous rejoignons les escalier et montons un premier étage, mon amie me salue et me dit qu'on se retrouvera sûrement à la pause dej', j'hoche la tête et continue de monter les escaliers jusqu'à arriver deux étages au-dessus. Arrivée devant ma salle celle-ci est fermée et quelques élèves attendent devant. Je ne me pose pas plus de questions et attends à mon tour en me posant contre le mur. Des étudiants marchent dans le couloirs, je les regarde discrètement, j'aime regarder les gens, leurs émotions sur leur visage, leurs joies, leurs déceptions, leurs petites victoires, je m'imprègne des émotions des autres, je suis une véritable éponge.
Il m'arrive même de m'arrêter quand je marche dans la rue pour regarder les passants. Quand on prend du recul sur la situation je dois avoir une attitude peut-être un peu bizarre c'est vrai, mais au fond je me fiche bien du regard des autres.

Les cours se sont déroulés normalement, avant de manger j'ai une heure de permanence. J'en profite pour aller à la bibliothèque comme la veille pour faire mes devoirs et aussi aller chercher un livre pour les cours. J'ai installé mes affaires et j'ai commencé à errer entre les étagères. Quand j'ai enfin mis la main sur ce que je cherchais j'ai saisi le livre, en faisant cette action, l'espace créé laissait apercevoir l'autre côté. Une personne est là de dos à chercher un livre aussi, quelqu'un qui m'a invité à venir chez lui ce soir avec Zoé. Il ne m'a pas vu, je réfléchis à comment je peux manifester ma présence.
Je décide de pousser un livre pour le faire tomber juste derrière lui. Je m'exécute, je ne bouge pas d'un pouce. Un bruit se fait entendre et Kentin sursaute et se retourne pour comprendre ce qu'il s'est passé. Il se baisse et saisit le livre, c'est seulement quand il se redresse pour le ranger que nos regards se croise. Son expression change tout de suite et on échange un sourire complice. Il range l'ouvrage dans l'étagère et fait le tour.
-Salut toi, décidément on ne se croise jamais de manière normal en ce moment! Chuchote-t-il.
Je ri doucement.
-Salut Kentin. Oui c'est vrai! J'avais oublié qu'on avait une heure de creu en même temps le jeudi. Je dis à voix basse.
-À vrai dire c'est exceptionnel, j'ai un prof absent.
-Oh d'accord.
Son sourire disparaît quelques secondes après.
-Comment tu vas?
J'ai tout de suite compris que ce n'était pas une question comme il me l'a poserait tous les matins. Il me demande comment je me sens réellement.
-Tu n'as pas besoin de t'inquiéter, et puis mon meilleur ami m'a invité ce soir alors ça me changera les idées! Et toi ça va?
-Ton meilleur ami..? C'est comme ça que tu me vois?
Je marque un temps d'arrêt, j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas? On a toujours été très amis, il ne s'est jamais rien passé entre nous alors pourquoi il me demande ça maintenant?
-Kentin, je ne comprends pas...Tu me vois comment toi?
Il rougit et fronce les sourcils instantanément.
-Non laisse tomber, je suis stupide.
Kentin tourne les talons et retourne à l'endroit où il était quand je l'ai vu. Je soupire un peu avant de le suivre, je le connais par cœur à force et je sais ce que je dois faire pour lui remonter le morale. Je m'approche à pas de loup, je me glisse derrière lui, et me colle contre son dos, je le sers dans le cercle de mes bras. Il sursaute pour la deuxième fois.
-Kentin...Tu comptes beaucoup pour moi. Tu es une des personnes les plus importantes dans ma vie.
Je le sens se détendre dans mes bras, ses muscles se relâchent. Il attrape ma main droite avec la sienne et soupire.
-Je suis désolé.
-Non non c'est rien ne t'en fais pas!
Il saisit mes poignets et desserre mon étreinte, il se retourne et me fait face.
-Tu n'as clairement pas besoin de ça.
-Hein? Mais de quoi tu parles?
-Tu as déjà vécu beaucoup de choses, je ne veux pas te compliquer la vie.
Je m'empresse de répondre.
-Ce n'est pas absolument pas comparable, ne te prend pas la tête pour si peu. C'est rien!
Il rie nerveusement et me sourit, je le retrouve enfin.
-On bosse ensemble? Je propose.
-Ça marche. Dit il en me faisant un clin d'œil.
Kentin est un peu impulsif parfois, il laisse parler ses émotions et après il mesure les conséquences de ses paroles et regrette. Dans ces moments là il faut juste le rassurer et montrer qu'on est bien là pour lui en trouvant les bons mots.

Nous sommes en plein travail face à face sur une table depuis plus d'une demi-heure.
-Au fait, tu n'as pas revu Nathaniel depuis la dernière fois?
Cette question me fait immédiatement réagir.
-Non, pourquoi tu me demandes ça tout à coup?
-Tant mieux, j'aime pas trop l'idée que tu le croises.
-Tu es jaloux?
Je remarque des couleurs sur ses joues ce qui me fait rire.
-Mais non enfin! C'est juste qu'avec ce qui s'est passé ce soir là dans cette rue, je m'inquiète et je me pose des questions.
Un frisson parcourt tout mon corps à la mention de ce souvenir.
Je change de ton.
-Je sais je te taquine! Moi aussi je me pose des questions et j'aimerais bien en savoir plus. S'il traîne avec ce genre de personnes, c'est qu'il a une raison.
-Ouais...mais ne joues pas trop avec le feu, tu risques de te brûler les mains.
C'est une métaphore mais il ne faut pas être prof de français pour comprendre ce que ça veut dire.
-Je ferai toujours attention, mais je ne resterai pas sans réponses. Il était si droit au lycée, je n'arrive pas à comprendre ce qui a pu se passer pour qu'il change autant en deux ans. Ça me travaille.
Il pèse le pour et le contre avant de répondre.
-Je me le demande aussi mais ne t'approche pas trop près. Il fréquente des personnes pas net.
J'acquiesce et nous continuons de travailler jusqu'à ce qu'il soit l'heure pour nous de partir.
Il y a quelques semaines je me suis faite agressée dans la rue par deux hommes alors je rentrais tard de la fac, j'ai vraiment eu peur ce soir là. Nathaniel est intervenu au bon moment, c'était la première fois que je revoyais depuis le lycée. Il a échangé quelques mots avec ces deux personnes, et ça ne m'a pas échappé, ils se connaissaient. Il m'a raccompagnée et depuis je ne l'ai pas revu. En rentrant dans l'apart j'étais dans un état second, Zoé a tout de suite compris qu'il s'était passé quelque chose parce que j'étais dans l'entrée immobile les yeux dans le vague. Je lui ai tout raconté d'une traite en omettant aucun détail, j'étais choquée et j'avais besoin de parlé. On était toutes les deux abasourdies, jamais l'une de nous n'avait vécu ça. On croit que ça n'arrive qu'aux autres et quand on se retrouve dans cette situation on est frappé par la réalité. Les autres c'est aussi nous.
Quelques jours plus tard c'est Kentin qui m'a demandé ce qu'il se passait et pourquoi j'avais aussi peur de finir tard le soir. Lui cacher ça aurait été idiot, alors je l'ai mis au courant aussi. Il m'a d'ailleurs accompagné au commissariat pour aller porter plainte mais je n'ai pas eu de nouvelles depuis.

Nous sommes sortis de la bibliothèque, je vais rejoindre Zoé pour manger et lui retourne en cours, il déjeunera une heure après. On se salue et il me dit "À ce soir" avant de partir, j'ai lâché un petit rictus amusée.

Les cours ont rarement été aussi longs, j'avais vraiment hâte d'être à ce soir. Le temps s'écoulait doucement, j'essayais d'être concentrée et attentive en cours mais j'avais la tête ailleurs. Je me suis surprise à regarder par la fenêtre, je me suis fait reprendre en td, ce qui ne m'arrive très rarement. Je me suis replongée dans le cours après cette remarque.

À la fin des cours j'ai rejoint Zoé et on nous sommes allés à l'appart pour poser nos affaires puis nous sommes reparties quelques minutes après.

Nous sommes arrivées quelques minutes après au pied de l'immeuble. Je fixe la fenêtre où il habite, je ne bouge plus, à quoi va ressembler cet ami.
-Dis Léna, tu crois qu'il sera comment son ami?
Je sursaute.
-C'est exactement ce que je me demandais. Je réponds en souriant.
On échange un sourire complice avant de sonner à l'interphone en bas. Kentin répond au bout de la troisième sonnerie et nous déverrouille la porte. Une fois en haut je remarque que sa porte d'entrée est déjà ouverte. Kentin se tient contre celle-ci un sourir sur le visage. Zoé passe devant moi, le salue puis rentre dans l'appartement. Kentin me regarde avec un petit sourire, pas le même qui nous a lancé quelque secondes plus tôt. Un sourire qui voudrait plutôt dire...
-Je suis content que tu sois là.
Oui c'est ça, c'est comme ça que j'aurais décrit son visage.
-Moi aussi, je suis contente.
Je me rapproche un peu de lui et le regarde dans les yeux sans détourner le regard. Son expression change encore une fois, lui non plus ne cherche pas à fuir de contact visuel.
-Je-
Une voix coupe ce qu'il allait dire.
-Vous rentrez où vous comptez camper devant la porte?
Je ne reconnais pas cette voix, je regarde derrière Kentin et aperçois un garçon ne notre âge. Il est aussi grand que Kentin donc environ 1m80, il a les cheveux rouges, une veste de la même couleur qui laisse entrevoir ses tatouages sur les bras et un pantalon noire.
-Ça va, on arrive!
Kentin m'attrape la main et me fait rentrer avec lui puis il ferme la porte.
-Léna, je te présente Castiel un ami de la fac, Castiel voici Léna, ma meilleure amie depuis des années!
Je suis toujours un peu frustrée qu'il me présente ainsi et bizarrement je remarque que quelque chose le gène aussi.
Castiel me sort de ma rêverie.
-Salut pète-sec.
Kentin et Zoé qui est juste à côté de lui le fusillent du regard mais je m'approche de Castiel et lui répond sur le même ton.
-Salut rebelle.
Il y a un blanc jusqu'à ce que tout le monde éclate de rire.
-Et bah ça promet! Lance Kentin. Léna tu m'accompagnes à la cuisine? Il reste deux trois trucs à faire.
J'accepte, Zoé et Castiel s'installe dans le salon pendant ce temps. Je rentre dans la cuisine, Kentin place des minis cakes sur une plaque de cuisson. Je prends la deuxième plaque et fait pareil.
-Excuses Castiel, je sais qu'il n'a pas de tact, mais je ne pensais pas qu'il serait comme ça dès le début.
-Pourquoi tu t'excuses? Il en faut plus pour me vexer! Je dis en lui faisant un clin d'œil.
Il me sourit et mets sa plaque dans le four, je le suis et fait de même. Il règle pas temps et le lance.

Il se met contre le four et attend en baissant la tête, on dirait qu'il est frustré.
-Quelque chose te tracasse?
Il ne relève pas la tête, je pose mon pouce et mon index sur son menton pour le faire.
-La soirée s'annonce bien non? Je lui dis avec un petit sourire.
Il soupire et m'attrape les deux poignets.
-C'est pas ça!
-Dis moi alors!
Il soupire encore et plonge son regard dans le mien pendant quelques secondes avant de parler.
-Écoute, il y a quelque chose que je ne t'ai encore jamais dit, je sais pas si le moment idéal mais peu importe, il faut que je te le dise.
Je me fige, il me tient toujours fermement les poignets.
-Je ne pensais pas que ça serait si dur de te le dire. Il murmure.
J'appréhende de plus en plus ce qu'il va me dire.
-Je ne veux plus dire que tu es ma meilleure amie, je pense qu'on a assez perdu de temps comme ça. Je n'ai plus envie de te présenter comme tel, si tu le veux bien, j'aimerais pouvoir dire que tu es ma petite amie.
Je ne réponds pas tout de suite, je le regarde abasourdie, je le dévisage, il ne moque pas de moi, il est très sérieux. Alors, lui aussi, lui aussi il ressent ça. Ça me soulage et me rassure, maintenant je suis sûre de ce que je ressens, Zoé avait raison.
-J'aimerais beaucoup aussi.
J'avance vers lui et me colle contre son torse, il glisse ses bras dans mon dos et je rigole.
-Pourquoi tu ris?
-Parce qu'on est une belle paire d'idiots! Je m'exclame.
Il me dévisage mais très vite il rit aussi.
-Tu as raison!
Le four sonne et nous sort de notre bulle. Je sors deux assiettes pendant qu'il sort les plaques du four, on dispose les minis cakes dessus puis on sort dans le salon.
Castiel et Zoé rigolent et discutent, ça fait plaisir à voir, on dispose les assiettes sur la table au milieu des biscuits apéritifs et des verres. On s'installe tous pour trinquer, mon regard croise celui de Kentin, je lui souris, Zoé me dévisage, j'hoche la tête. Elle met quelques secondes à comprendre mais quand c'est le cas, elle se retient pas de s'exclamer.
-Enfin!
Tout le monde sursaute.
-Quoi enfin? Demande Castiel et Kentin.
-Kentin et Léna sont ensemble! S'exclame ma meilleure amie.
-Zoé...soupire Kentin.
Castiel rigole en regardant mon amie.
-Oh toi tu me fais rire!
-Pourquoi? Lui demande Zoé.
-Parce que la discrétion c'est pas ton truc!
-On peut pas dire que ça soit le tien non plus. Dis Kentin en lui faisant un coup de coude.
La soirée se continue tranquillement, on s'amuse bien, Castiel m'envoie des pics de temps à autres que je m'amuse à lui renvoyer à chaque fois. Zoé a l'air de l'apprécier, ça fait plaisir à voir, ils se parlent comme s'ils se connaissent depuis des années alors qu'ils se sont rencontrés il y a quelques heures!
Quand Kentin commence à débarrasser, on s'y met tous et de fil en aiguille je me retrouve de nouveau seule avec Kentin dans la cuisine. Je regarde par la fenêtre, la nuit est déjà bien entamée, il fait noir maintenant. Il est 2h du matin, c'est normal.
Je me perds dans mes pensées mais très vite elles sont tournées vers une personne, je ne peux pas m'empêcher de penser à lui quand la nuit tombe. Kentin s'approche sans prévenir et pose ses deux mains sur mes épaules en se postant derrière moi.
-Je vais vous raccompagner, ou vous pouvez même dormir ici si vous voulez.
-Oh je ne pensais pas à ça mais c'est très gentil, j'aimerais bien dormir ici oui. J'aime pas circuler la nuit, ça aurait pu vraiment mal tourner s'il n'était pas intervenu.
Il encercle ma taille de ses bras, et niche sa tête dans mon cou.
-Je ne te laisserai plus toute seule et Zoé est là aussi. Ça n'arrivera plus.
Je me blottis dans ses bras tout en regardant par la fenêtre quand soudain un mouvement attire mon attention. Quelqu'un marche dans la rue, je regarde attentivement et sursaute en voyant de qui il s'agit. On est qu'au deuxième étage alors je peux bien distinguer qui est là, je n'ai aucun doute.
-Un problème?
-Non, mais regarde.
Intrigué, il baisse la tête et fixe la personne.
-Quoi? C'est juste un passant.
-Non non! Toi aussi tu as du mal à le reconnaître? C'est Nathaniel.
Il me regarde choqué.
-Tu en es sûre?
-Certaine.
On reste quelques secondes dans le silence.
-Qu'est ce qu'on fait maintenant? On descend? Je demande.
-Quoi? Tu veux descendre le voir? Il me répond avec de l'autorité dans la voix.
-J'avais dit que je ne resterai pas sans réponses!
-Bon d'accord d'accord, on descend discrètement.
On sort de la cuisine, Zoé me regarde bizarrement et m'interroge du regard.
-Nath.
Elle ecarquile les yeux.
-Nath? Quoi Nath? Tu l'as vu?!
-À l'instant. On va descendre et on remonte après lui avoir posé quelques questions.
-C'est quoi cette histoire? Demande Castiel qui ne comprend rien à la situation.
-Je vais t'expliquer si Léna veut bien. Lui dit Zoé.
-Oui tu peux. Bon on y va avant qu'il ne soit trop tard. Je dis.
-D'accord, faites gaffe quand même. À toute à l'heure. Kentin je compte sur toi pour que Léna revienne entière.
-Compte sur moi. Dit-il en faisant un pouce avec sa main droite.
Je me rue vers les escaliers après avoir lancé un dernier regard à Zoé, Kentin sur mes talons.