— Maman, dis, elle sera là n'est-ce pas ?

Je laisse échapper un soupire à peine audible en entendant cette question pour la énième fois de la soirée. Mes mains s'agitent nerveusement sur la grosse tasse que je suis en train de laver. Mon cerveau tourne à vive allure pour essayer de trouver une échappatoire.

— Hum, princesse tu pourrais aller voir s'il y a assez de biscuits dans l'assiette du père Noël ? demandé-je.

— Oui maman.

Ma petite tête brune me tourne le dos puis disparaît dans le salon. Mon cœur se serre en repensant à sa petite bouille déçue. C'est chaque année la même chose. Charlie, ma fille, rêve de passer la fête de noël entourée de plusieurs personnes de sa famille,  un peu comme sa meilleure amie Cylia qui a une grande fratrie. Hélas, je suis une fille unique, qui en plus ne parle plus à sa mère depuis la mort de son père, il y maintenant cinq ans. Alors du haut de ses six ans, ma brunette rabat ses espoirs sur Angie, ma fiancée. Elle est une deuxième mère pour Charlie.

Nous nous sommes rencontrées quand nous avions dix-sept ans. A l'époque, nous sommes restées ensemble deux ans avant de nous séparer. Nous nous sommes perdues de vue et quand nous nous sommes revues, j'avais un enfant d'un an entre les mains. Cela ne l'a pas empêchée de se remettre avec moi.

— Maman, il y a assez de biscuits.

Charlie est revenue dans la cuisine avec un sourire collé aux lèvres. Elle adore préparer tous ces trucs pour le Père Noël. J'aimerais tellement que sa bonne humeur dure toute la soirée...

— C'est parfait. Reste plus que le lait et le compte est bon.

J'ébouriffe les cheveux de Charlie puis me rends vers le frigo pour remplir la tasse lavée. Je sens ma fille trépigner dans mon dos.

— Hein qu'elle viendra, Angie ?

Je me retourne pour faire face aux yeux larmoyants de ma petite princesse. Cette fois, je ne vais pas y échapper aussi facilement. Je pose la tasse et me baisse au niveau de Charlie.

— Hum, peut-être princesse, peut-être. Et si on regardait quelque chose le temps de voir si elle arrive ?

— Génial ! On met Vaiana ! s'excite ma fille en prenant la direction du salon.

— Pitié, pas ça ! marmonné-je.

Ça va faire au moins la cinquantième fois qu'elle m'oblige à regarder ce Disney. De toutes les manières, je ne crois pas avoir le choix. C'est la moindre des choses que je puisse faire aujourd'hui. Je range le lait près des biscuits et vais m'installer près de Charlie dans le canapé.

Le film est en marche depuis un bon bout de temps, pourtant Charlie n'y prête que peu d'attention. J'ai du mal à croire que c'est la même fillette qui m'a obligée à apprendre toutes les répliques de Vaiana pour faire des « battles » tous les matins.

Un pincement au cœur et une grande culpabilité m'assaillissent. Je n'ai pas eu le courage de lui répondre franchement quand elle m'a demandé si ma grande brune sera avec nous ce soir. Pourtant, je sais très bien qu'elle ne sera absente à ce réveillon, tout comme elle l'a été aux réveillons passés, tout comme elle se sera à ceux à venir.

La cerise sur le gâteau est sûrement le fait que tout ceci soit entièrement de ma faute. À la mort de mon père, Angie a décidé de reprendre l'affaire familiale à ma place. Elle qui pourtant n'avait aucun lien direct avec ma famille. Ma mère m'en a voulu, m'en veut toujours, de ne pas « prendre mes responsabilités », mais bon, ça c'est une autre histoire.
Quoiqu'il en soit, à cause de ce foutu boulot, Angie ne pourra pas être présente ce soir. Demain, j'aurai donc à affronter la mine triste et déçue de Charlie.

Je sors de mes pensées en sentant ma petite fille se lever du canapé. Elle se dirige vers la télé et change de CD. Déjà ? C'est étrange, elle regarde toujours Vaiana au moins trois fois de suite avant d'être dégoûtée. Je jette alors un regard à ma montre. Vingt-trois heures treize. Mince, je n'arrive pas à croire qu'elle soit restée éveillée tout ce temps. Elle n'arrête pas de bailler quand elle revient se coucher contre moi. Ma petite princesse mène une énorme lutte pour ne pas tomber dans les bras de Morphée. Mon cœur de mère se serre face à ce spectacle. J'installe Charlie confortablement et me lève pour aller prendre des couvertures. À l'allure à laquelle vont les choses, je suppose que nous passerons ce réveillon dans le salon...

Alors que je suis à l'étage, j'entends quelqu'un sonner à la porte. Qui est-ce à cette heure ? Peut-être le voisin Eddy ? Un gentil homme qui hélas peu devenir très chiant quand la lumière reste trop longtemps allumée chez nous ?

— Je vais ouvrir ! me crie Charlie depuis le salon.

La sonnerie a dû l'exciter, en plus de la réveiller.

Oh misère, elle croit sûrement que c'est Angie.

— Non, princesse, laisse-moi faire. dis-je en dévalant les escaliers.

— Charlita ! s'enthousiasme une voix qui m'est un peu trop familière à mon goût.

Non, c'est pas possible. J'ai forcément des hallucinations auditives...J'accélère encore le pas. Je traverse la cuisine et le salon pour me retrouver devant la porte d'entrée.

— Oh merde ! lâché-je.