Épilogue
Lorsque Louis-Gustave se présenta sur le perron de ce qui servait de domicile au commissaire (récemment nommé) Patrick Fondement, il émergea de sa voiture de location avec la grâce d'une sirène dans son élément. Ses cheveux blonds soigneusement gominés en arrière laissaient paraître un visage au sourire confiant, et autour de son cou s'exhibait un nœud papillon indécent de complexité. Il portait également son plus beau smoking, cela allait sans dire, et s'était même armé d'un bouquet de roses rouges pour l'occasion. Cette soirée serait parfaite ou il ne s'appelait plus Louis-Gustave.
Il dut malheureusement se rendre à l'évidence assez rapidement : Patrick Fondement n'avait pas tout à fait la même définition d'une soirée parfaite que lui. Après que Louis-Gustave ait sonné longuement, il émergea de son appartement miteux en jeans et chemise à carreaux – laquelle laissait certes deviner quelques poils des plus alléchants sur le torse musclé, mais manquait néanmoins un peu de classe, il fallait l'avouer. En voyant comment s'était vêtu Louis-Gustave, Patrick entreprit hâtivement de recoiffer ses cheveux en bataille avec ses doigts et remonta les manches de sa chemise de bûcheron pour cacher les taches d'huile de moteur sur les poignets. De son côté, Louis-Gustave poussa un soupir évocateur. Il lui tendit malgré tout les roses avec une bonne volonté à toute épreuve, le couvant d'un regard enamouré qui pardonnait tout, même le manque de style.
– Ah, merci, grommela Patrick en se saisissant du bouquet comme s'il s'était agi d'une grenade dégoupillée.
Tandis qu'ils remontaient l'allée, il le balança aussi discrètement que possible dans le terrain vague d'à côté, où paissaient quelques chèvres rachitiques qui se firent une joie de l'en débarrasser. Puis, comme pour se faire pardonner, il asséna une tape complice sur les fesses de Louis-Gustave.
Les deux hommes eurent à subir les regards torves du serveur lorsqu'ils pénétrèrent au Homard Flamboyant, le restaurant le moins miteux de la ville. Louis-Gustave en conclut que l'affreuse chemise à carreaux de son compagnon en était la cause, tandis que Patrick, plus pragmatique, songea que le restaurant ne devait pas recevoir souvent deux hommes en tête-à-tête, d'autant plus lorsque l'un arborait un habit digne d'un paon en parade amoureuse particulièrement voyante.
Quoi qu'il en soit, ils étaient tous deux d'humeur joyeuse, et rien ne put l'entamer – pas la mauvaise grâce évidente du serveur, ni même la bataille acharnée qu'ils durent mener contre des homards aux pinces décidément bien coriaces. Ils bavardaient sur tout et rien en mangeant, sirotant un bon vin rouge de la région, que Louis-Gustave avait choisi pour eux – le domaine d'expertise de Patrick, lui, s'étendait plutôt du côté des whiskys single malt.
– J'ai entendu dire que votre cabinet avait été engagé pour défendre le couple Desmiers, lança soudain Patrick, d'une voix prudente vu le terrain glissant.
– Mon ancien cabinet, répliqua posément Louis-Gustave, pas vexé le moins du monde. Ayant été témoin direct de leur crime – l'assassinat de mes parents, entre autres – j'aurais difficilement pu les défendre. On m'eût sans doute accusé de partialité...
La conscience professionnelle de Louis-Gustave Valette était décidément sans bornes, ce que Patrick admira d'autant plus.
– Ça veut dire que tu acceptes mon offre ? s'enquit-il, soudain pris d'une excitation qui fit hérisser les poils de ses bras.
– Peut-être bien, répliqua Louis-Gustave en lui adressant un regard amusé. Devenir consultant juridique pour la police est certes un peu dégradant, mais je devrais m'y faire. Peut-être même obtiendrai-je une tasse à thé décorée de mon propre prénom, qui sait ?
Le très récent commissaire Fondement lui adressa un sourire carnassier en retour.
– Tu peux toujours te brosser, persifla-t-il. Ton grade sera encore plus bas que celui de l'agent Lande d'Aussac !
Il se refit toutefois plus aimable par la suite, ne souhaitant pas effrayer sa nouvelle recrue avant qu'il n'ait signé il ne savait quel agrément juridique le décrétant au service du bien public – et à celui, plus particulier, de son unique personne.
Le repas s'acheva sur une Charlotte aux fraises arrosée de porto, sur quoi les deux hommes quittèrent le restaurant bras dessus bras dessous.
– Puisque tu vas bientôt travailler pour moi, je te propose de commencer immédiatement avec une mise en situation, lança Patrick une fois dans la rue, scrutant les enseignes de bars qui s'étalaient tout au long de la ruelle.
Louis-Gustave n'avait pas mis long à comprendre où il voulait en venir.
– Test sanitaire des différents établissements procédant à la revente de boissons alcoolisées, plus spécifiquement de whisky ? demanda-t-il pour la forme.
Patrick hocha gravement la tête, tout à sa formidable mission. Lorsqu'ils furent bien confortablement installés au premier bar venu, il arrêta le barman alors que celui-ci s'apprêtait à verser le précieux breuvage ambré dans un joli verre en cristal.
– Non non non, servez-le-moi là-dedans, je vous prie.
Il dégaina d'on ne savait trop où la fameuse tasse en porcelaine dont son supérieur lui avait fait don quelques mois plus tôt, lorsque la vérité concernant le meurtre de Valmont Desmiers avait enfin éclaté. En réalité, on ne pouvait pas vraiment considérer que Patrick Fondement avait géré l'affaire avec brio, se trompant trois fois de coupable, mais comme il avait permis dans la foulée de résoudre la fameuse prise d'otage de l'opéra et de mettre le couple le plus riche de la région derrière les barreaux, on lui avait tout de même accordé le précieux sésame.
Quoi qu'il en soit, Patrick était décidé à savourer son whisky au sein de cette tasse égrenant son prénom en lettres dorées, et ni l'air franchement circonspect du barman ni les soupirs désabusés de Louis-Gustave ne purent le faire changer d'avis.
– Et comment se portent tes délicieuses sœurs ? demanda Patrick au bout du troisième bar et du cinquième whisky de la soirée.
– Pas trop mal, à ce que j'ai cru comprendre, expliqua Louis-Gustave, sans relever la note sarcastique dans la voix de son compagnon de beuverie. Je dois avouer que je n'ai guère eu l'occasion de les voir ; toutes ces histoires ont considérablement resserré les liens entre les pensionnaires de Mademoiselle de Touchet – enfin, celles qui ont survécu – et Calixte et Domitille ne quittent les lieux qu'à contrecœur.
– Tant mieux, s'exclama Patrick, qui n'avait demandé des nouvelles des jumelles – qu'il ne portait pas dans son cœur – que par pure politesse. Ça te laisse plus de temps pour les contrôles sanitaires !
La fin de leur soirée se fit brumeuse et de plus en plus imprécise. Louis-Gustave finit par perdre le compte des bars et des whiskys.
De manière assez peu surprenante, il s'éveilla le lendemain matin sur la couchette rudimentaire de la cellule de dégrisement du poste de police. Il ne s'en alarma pas cette fois, d'autant qu'il pouvait entendre les ronflements harmonieux de Patrick dans la cellule voisine.
– Sacrée soirée... maugréa Louis-Gustave en s'asseyant tant bien que mal, la tête lourde et les yeux étrécis par une nuit particulièrement courte.
Il nota avec un soupir son nœud papillon défait, dont les extrémités avaient vraisemblablement fait la connaissance avec un voire plusieurs whiskys. Irrécupérable... Ses relations d'affaire, d'amitié et de plus-si-affinités avec le très récent commissaire Fondement commençaient à lui coûter cher en soie de Chine.
La porte du couloir s'ouvrit brusquement, laissant apparaître l'agent Lande d'Aussac, tirée à quatre épingles dans son uniforme. Elle les toisa avec dépit.
– Chef ? appela-t-elle.
Ledit chef ne fit pas mine de se lever, mais Stéphane ne s'en formalisa pas et poursuivit :
– Chef, on vient de nous confier une nouvelle affaire. C'est encore l'internat de Mademoiselle de Touchet. Apparemment, Georgianna O'Mahony et Philiberte d'Hennezel auraient disparu. On a trouvé une lettre d'un soi-disant tueur en série dans leur chambre, qui affirme avoir découpé leurs corps au moyen d'une scie sauteuse et en avoir enterré les morceaux pour former un pentacle dans la forêt voisine, dans le but, je cite, d'effectuer des rituels païens tout nu au clair de lune. Il nous met au défi de tous les retrouver.
Patrick Fondement se redressa d'un bond, papillonnant des paupières comme un hibou en plein jour. Mal lui en prit : la précieuse tasse en porcelaine à son nom reposait jusqu'alors sur son ventre musclé et s'en alla se fracasser sur le sol. Elle ne survécut pas.
– Hein ? Quoi ? balbutia le tout récent commissaire Fondement, trop choqué pour développer son argumentation.
En face de lui, l'agent Lande d'Aussac haussa les épaules.
– Oh, et encore... ajouta-t-elle prestement. Selon la vieille demoiselle, l'intégralité de leur linge de plage aurait également disparu.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top