Préface : Cinq ans plus tôt...

Le cœur d'Anna livrait une course effrénée, palpitait sous les rebonds incessants de son corps. Ses joues se coloraient de rouge tandis que ses cheveux ébouriffés, remontés en une queue de cheval lâche, tombaient lâchement sur son épaule. Elle poussa un gémissement excédé, hors d'haleine, mais ne put se défaire de l'emprise exaltante de son activité favorite.

Finalement, lorsque l'air lui manqua et que ses reins engourdis par de tels chocs répétés manquèrent de lâcher, elle ralentit l'allure et se permit de respirer plus convenablement.

-Anna, frappa une voix à la porte, presque mal à l'aise. Smith t'attends.

L'intéressée coupa sa machin et leva la main pour signaler à son assistante qu'elle avait entendu.

-Tu ne devrais pas courir autant sur ce tapis, ajouta cette dernière, un sourcil arqué d'amusement. Il est vieux et rouillé, tu risques de le péter...

-Je suis sûre qu'il tiendra, assura Anna en accordant à sa collègue un sourire forcé.

Elle ne pouvait pas s'empêcher de commenter ses moindres faits et gestes et cela, elle ne le supportait pas. Néanmoins, elle garda son calme et attrapa sa serviette pour essuyer sa nuque trempée de sueur. Si Smith l'attendait, cela ne voulait dire que deux choses ; soit son travail n'était pas à la hauteur des attendes, soit il souhaitait la féliciter.
Mais voilà longtemps qu'Anna ne craignait plus ces convocations. Elle était l'agent favorite de son supérieur, aussi celui-ci la désignait il toujours pour les missions les plus ardes. Anna aimait son métier. Mais elle aimait bien plus les situations dangereuses qui la mettaient au défi de se surpasser.

Et elle réussissait à chaque fois. Elle n'avait accumulé que de rares tâches sur sa fiche d'agent. L'échec n'était pas dans ses habitudes.

Anna relâcha finalement sa serviette, qu'elle exposa sur l'un des bras du tapis roulant, pour se presser de quitter la salle de sport. Malgré sa position plus que confortable au sein de son bureau de terrain, elle savait que Smith n'aimait pas se faire attendre. Il était un "Special Agent in charge", aussi appelé "SAC" et était donc à la tête de leur bureau de terrain, situé à Manhattan. Anna n'était que fière superviseur d'opérations, à la tête d'un groupe d'agents. Elle n'espérait pas monter en grade avant un moment ; pour commencer, elle n'était âgée que de vingt-cinq ans, un âge relativement jeune pour la position qu'elle occupait déjà.

Elle poussa la porte qui donnait sur les bureaux, salua ses collègues en chemin avec un bref sourire peu convainquant. Elle n'avait pas vraiment le temps de leur parler.

-Anna ! lança tout de même l'un d'eux, en accourant vers elle en brandissant un dossier.

-Pas maintenant, Troy, ordonna-t-elle en pointant un doigt menaçant sur la poitrine de son agent. C'est vraiment pas le moment, là.

-Pardon, pouffa-t-il en réajustant ses lunettes sur son nez.

Elle leva les yeux au ciel et poursuivit sa route. Troy était arrivé il y a deux semaines et il peinait à trouver ses marques dans le milieu. Il faisait ses débuts comme agent et... bah, il faisait de son mieux. Et c'était tout ce qu'Anna trouvait à dire de positif à son sujet.

Mais la porte gravée de "Smith" approchait, aussi elle dû redresser le menton et se concentrer pour réajuster son débardeur et sa queue de cheval défaite. Elle ne portait pas son uniforme, ce qui déplairait au SAC, aussi devait elle faire un minimum d'effort quant à sa présentation. Elle se gratta la gorge, épousseta inutilement ses vêtements. Elle contempla un instant son reflet sur les vitraux de la porte, les yeux plissés, et tenta de visualiser malgré le fou de la vitre ses cheveux blonds cendrés décoiffés, son grand nez plissé d'agacement quant à son apparence, complété par son regard brun exaspéré. Elle n'avait pas le temps de se changer, de toute façon. Finalement, elle se décida à entrer et frappa.

Ce ne fut pas bien long. En fait, ce n'était jamais très long. La porte finit par s'ouvrir pour dévoiler un grand homme aux cheveux noirs légèrement ondulés, parfaitement ajustés sur sa mâchoire ciselée et ses oreilles d'elfe. Smith était un grand gaillard au regard bleu perçant qui avait la fâcheuse habitude que tout lui tombe aux pieds ; mais cela ne surprenait pas Anna. Il était grand, large d'épaules, charmant et c'était un directeur de terrain du FBI ; toutes les femmes du monde rêvaient d'un homme tel que celui qui se dressait devant la jeune femme.

-Tu as pris ton temps, s'amusa-t-il tout en ajustant son col.

Il finit par s'écarter afin de laisser à Anna la place de passer. Elle prit rapidement place sur une des chaises métalliques qui faisaient face au bureau du SAC. La miniature du drapeau Américain lui souriait à côté du pot à stylos, tandis que les dossiers proprement empilés face au siège du directeur demeuraient aussi sérieux que les sujets desquels ils traitaient. L'étiquette plastifiée entreposée au bord de tous ces objets typiques d'un bureau de police était inscrite de "Aaron Smith" en lettres majuscules. 

-Pourquoi m'avoir demandé ? fit Anna après que Smith ait fermé la porte.

-Il y a une rumeur intéressante, siffla-t-il dans son dos, amusé tout en prenant place face à elle.

Anna arqua un sourcil et retint un long soupir. Ainsi, voilà la raison pour laquelle son supérieur la convoquait. Non pas pour une nouvelle enquête, pour la féliciter ou la réprimander, mais pour lui faire part d'une stupide rumeur de bureau.

-Ecoutez...

Il secoua négativement le menton pour la faire taire et tomba sur son siège pour placer ses talons sur le bureau. Anna eut grande peine à ne pas esquisser une grimace de dégoût. Les pieds de Smith n'étaient pas les bienvenus dans son champ de vision.

-Il n'y a pas à avoir honte, vous savez, concéda-t-il, feignant la compassion. Tout femme doit s'y résoudre un jour ou l'autre.

Les poils d'Anna se dressèrent sur ses bras tandis qu'elle s'étouffait, sous le choc :

-Quoi ?!

S'imaginait-il qu'elle portait un enfant ? Ou qu'elle était en plein dans sa période menstruelle ? A cette pensée, le dégoût qu'elle ressentait déjà envers cet homme ne fit que se décupler. Il n'avait véritablement aucune honte, aucune gêne. Il se croyait si supérieur...

-Non, ne vous sentez pas coupable ! poursuivit-il en se redressant brusquement. C'est moi qui le suis. Je suis vraiment désolé. Je pensais que vous y aviez échappé, mais visiblement, c'est impossible...

-Mais de quoi est-ce que vous parlez ?!

Il avança sa chaise, braqua son regard dans celui d'Anna et lui attrapa fermement les mains :

-Je suis désolé, Ricks. Mais je ne ressens pas la même chose. Vous avez le droit de pleurer et de vous morfondre, ne vous en faites pas. Personne ici ne vous jugera.

Mais Anna retira prestement ses mains et recula sa chaise le plus loin possible dans un crissement sec.

-Vous êtes tombés sur la tête ?! Je ne suis pas amoureuse de vous et je ne l'ai jamais été !

-Les collègues se posent des questions, Anna ! s'emporta Smith. Vous n'avez, selon eux, eu que deux ou trois petits amis dans votre vie ! Vous n'avez jamais aucune relation, vous vous fichez de l'amour ! C'était la seule explication qu'on avait ! Sinon, vous êtes un cœur de pierre, une insensible... Vous avez un problème avec les sentiments, en tout cas !

La jeune femme passa deux mains dans ses cheveux, sous le choc, et réprima un rire sarcastique :

-Vous m'avez fait venir pour ça... ?

-Vous êtes sûre de ne pas m'aimer... ?

-Sûre et certaine ! mugit-elle en revenant brusquement à elle-même. Et je ne suis pas insensible ! Je n'ai pas de problème !

Il la dévisagea quelques secondes, une moue dubitative au visage. Anna écarquilla les yeux, indignée, et sauta hors de sa chaise pour pointer un doigt menaçant vers Smith :

-Vous vous trompez lourdement. Vous n'étiez pas au courant ? Je suis en train de monter une entreprise secrète. Qui s'appellera... euh... Le Bureau des Cœurs ! Je mettrai des gens en couple ! Je ferais en sorte qu'ils puissent vivre heureux dans l'amour ! Je les aiderai à trouver quelqu'un ! Je... euh... Je les aiderai aussi à se déclarer à leur amour !

Il haussa les sourcils, stupéfait, et s'avança sur son siège :

-Vraiment ?

Elle opina vivement du chef :

-Oui, oui.

Elle eut ensuite un semblant de sourire approbateur et enchaîna :

-D'ailleurs, je vais m'y remettre tout de suite. La boîte devrait s'ouvrir d'ici un an ou deux. Sur ce, je vous laisse, Smith.

Elle tourna les talons, cogna son orteil contre un meuble qui passait là et réprima un juron entre ses dents serrées. C'était officiel. Elle venait de signer son arrêt de mort.


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