Chapitre 1

Anna Ricks était un prédateur dans son travail. Une lionne, qui chassait sans merci et qui capturait toujours sa proie. Mais en amour, elle n’était qu’un pauvre insecte insignifiant, qui ne savait même pas combien de pattes il possédait ou s’il savait voler, sauter ou autre choses que seul un insecte normal savait faire.

Et la voilà qui venait de couper le ruban, face à ce bel étage dont elle était désormais la responsable. Elle possédait son propre bureau de terrain et était donc promue SAC. Enfin, pas officiellement. Puisque le Bureau des Cœurs -et tel était le nom de son entreprise- n’était qu’un étage du véritable bureau de terrain, lui toujours sous la gouverne de Smith.

Elle avait accueillit des collèges, qui ne trouvaient place où bosser, et leur avait présenté le projet. Ils avaient aussitôt adoré. Une autre réaction de leur part aurait surpris Anna. Après tout, ils avaient tous la treintaine, et tous rêvaient qu’un agent du FBI tombe sur leur profil et décide de les aider dans leur relation amoureuse. Ce dont ils étaient désormais chargés de faire.

— Anna, cria Beth, plus loin sur les ordinateurs.

Au milieu de dizaines d’autres penchés sur elle, la jeune femme lui faisait de grands signes de main.

— Connor fait sa déclaration ! enchaîna Sam.

Les yeux levés au ciel, Anna se pressa à leurs côtés et vit sur l’écran une capture en directe de la messagerie de l’individu. Il affirmait avoir une chose importante à dire à... Sarah.

— Comment avez vous fait ? s’amusa Anna, qui préferait toujours s’intéresser à la manière, et non au résultat cliché qui de donnait en spectacle.

— On a remarqué que le sujet principal -Connor- avait une attirance pour Sarah. On a étudié les sujets, évalué leurs chances d’être un bon couple qui dure et qui s’apporte du positif ; qui se complète, quoi. On a créé des "coïncidences" avec les agents sur le terrain et comme ça Connor a pu prendre son courage à deux mains et aborder la conversation. Le reste s’est fait tout...

La réponse de Sarah était dans la boîte, coupant Beth dans ses explications passionnées. Les deux tourtereaux finiraient leur vie ensemble et vivraient heureux en ayant plein d’enfants. Anna connaissait le topos. Elle s’écarta du groupe lorsqu’il poussa des cris de victoires et s’enlaça, plus gai encore qu’hier d’avoir rendu possible un amour qui ne se serait jamais rendu possible sans leur intervention.

Anna avala un donut, s’essuya doucement les lèvres. Il y avait dans cette routine de l’amour qu’elle n’appréciait pas le moins du monde. L’amour. Elle haïssait l’amour. Déjà parce qu’elle avait toujours été incapable de ressentir le moindre sentiment pour la moindre personne. Et ensuite parce qu’elle adorait son job. Et qu’ainsi, à créer des couples, elle s’ennuyait. Elle voulait descendre les rues, monter des trapes et rester en planque des heures durant, comme elle avait tant l’habitude de le faire. Et voilà qu’on le lui avait retiré. Sous prétexte d’une anormalité. Elle trouvait cela terriblement injuste.

Le cri du téléphone signalant un appel l’arracha à ses pensées, et elle décrocha le combiné.

— Agent Ricks, je vous écoute.

— C’est Smith, fit la voix dans l’interphone.

Anna leva les yeux au ciel.

— Que voulez vous ?

— Descendez, lui ordonna-t-il.

Anna devinait son air coquin même à travers l’appareil.

— Pourquoi ? soupira-t-elle. Je bosse, je vous rappelle.

— Mon nouvel adjoint est arrivé.

Elle écarquilla les yeux et décrocha aussitôt. Voilà une chose qui valait la peine d’être vue. Le précédent adjoint de Smith était parti pour sa retraite il y a une semaine de cela. En bas, où l’on avait un véritable job, l’on ne parlait plus que de ça. Le nouvel arrivant, un jeunot de trente-cinq ans, qu’ils disaient, était déjà haut gradé. Et Anna jalousait une telle position. Surtout à cet âge.

Elle se pressa dans l’ascenseur, arrangea ses cheveux et les portes se refermèrent sur ces bureaux qu’elle haïssait tant. En bas, elle retrouva les odeurs familières, le café froid et le bazar habituel d’enquêtes en cours. Or cette fois-ci, Anna ne perçut ni brouhaha, ni agitation quelconque. En fait, elle ne perçut rien du tout. Puisqu'ils s’étaient tous enfuis dans le bureau de Smith, où un pot à l’honneur du nouvel adjoint devait être donné. Anna s’y précipita et poussa la porte sans toquer. Tel qu’elle se l’imaginait, les discussions battaient à son plein à l’intérieur. L’on avait sorti l’alcool pour l’occasion. Au centre des regards, Anna vit deux épaules sculptées et de soyeux cheveux bruns. Au son de la porte claquée, les visages se tournèrent dans sa direction. Smith l’aperçut, bondit à ses côtés et tenta de l’encadrer d’un bras amical, qu’elle rejeta aussitôt. Smith n’abandonnait jamais, tout comme il perséverait dans ses avances pour la jeune femme. Mais cette dernière n’avait d’yeux que pour le nouveau venu. Il était grand. Et elle vit se dessiner sur le profil de l’individu une mâchoire ciselée, ainsi que deux yeux verts énigmatiques, lorsqu’il pivota dans sa direction.

— Agent Ricks, toussota Smith, je vous présente Marcus Howell. Mon nouvel adjoint.

L’intéressé arqua un séduisant sourcil et tendit sa paume à Anna, qui s’empressa de lui tenir une ferme poigne.

— Marcus, enchaîna Smith, voici Anna Ricks. Elle est superviseur d’opérations et SAC du Bureau d...

— De l’étage supérieur, le coupa-t-elle, terriblement mal à l’aise.

Soudain, déclarer à ce bel inconnu qu’elle dirigeait une agence pour les amoureux lui semblait terriblement embarrassant. Elle avait une furieuse envie de lui prouver qu’elle savait donner de la voix, qu’elle participait activement aux missions de terrain. Qu’elle maniait l’amour -enfin non, plutôt l’arme- comme personne. Elle s’imagina déjà en voiture avec Howell, en route pour une périlleuse mission ; et cette simple pensée lui arracha un frisson. Elle perdait l’esprit. Elle devenait folle. Ou bien le charme de Marcus Howell était-il trop puissant, et soudain, la foudre avait frappé au Bureau des Cœurs.

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