XII.


J'étais couvert de sang, il y avait bien longtemps que je ne me préoccupais plus de masquer mes traces, essoufflé, éprouvé par la mort que je venais de donner. Chaque meurtre, je le faisais dans un état second. Bien souvent, je m'éveillais après, comme on s'éveille d'une transe, incapable de me souvenir des détails sanglants de ce que j'avais fait. C'était dû à la drogue autant qu'à ce que la guerre m'avait laissé comme traces. C'est à cet instant-là que j'ai croisé sa route.

À mon retour de la guerre, j'avais embrassé ma carrière de tueur délaissant toutes mes activités mafieuses. Je ne voulais plus tuer pour la mafia, plus pour personne d'autre que Lucifer. Mes journées se limitaient à m'asseoir devant chez moi, sur le trottoir et à écouter la musique, le jazz joué par les groupes des rues ou provenant des bars en attendant que la nuit tombe.

Je me grisais de musique jazz quand je n'étais pas en train de massacrer une famille. À défaut de la drogue, la musique me calmait les nerfs. Le jazz m'avait toujours enveloppé, comme n'importe quel enfant de Nola. Je regrette presque, de n'avoir jamais pris le temps d'apprendre à en jouer, de n'avoir épousé une carrière de musicien, j'aurais eu alors sans doute un autre destin. J'éprouvais une sincère fascination pour les saxophonistes. Le son du saxophone paraissait épouser les vibrations de mon cœur, comprendre les abîmes de mon âme.

Après la guerre, il n'y avait que la musique qui m'apaisait, et bien sûr les meurtres.

Brutal et sanglant, je devenais complètement fou quand je tuais ces gens. Je n'avais que des souvenirs fugaces et embrumés au matin. J'errais comme un dingue, marchant quelques pas avant de m'effondrer quelque part. Je ne fermais pas l'œil de la nuit, de sorte que, j'étais comme habité.

Plus rien n'avait d'emprise sur moi, si ce n'est, la musique et les crimes, et même ça, je me sentais me décrocher de la vie, de moi-même, de la réalité. C'était l'usage de la drogue et le manque de sommeil. Mais peut-être bien que c'était les souvenirs de la guerre. J'avais l'impression de n'être jamais revenu, de vivre dans une sorte de rêve éveillé et je redoutais plus que toute autre chose le réveil en sursaut, dans l'horreur consciencieuse qui m'attendait. Et si je n'étais jamais vraiment parti de là bas ? Et si je rêvais de ces crimes à travers les journaux et les nouvelles que j'entendais, me parvenant par écho ?

Mes pensées furent brisées en un éclat de balle argentée pénétrant ma poitrine, déchirant sur son passage la chair, ouvrant les veines et les artères, jusqu'à étreindre mon cœur. J'ai ouvert des yeux étonnés, portés vers celui que j'appelais parrain, capo en italien. Lucian.

Que faisait-il là ? Fut ma première pensée, aussitôt écrasée par la seconde, la réalité tranchante et étincelante du moment funeste. Il me tuait. La question vola en éclat, brisée aussitôt par la réponse tranchante qui me parvenait, d'une simple déduction, d'une banale réflexion que j'aurais dû me faire, d'une évidence écrasante. Évidemment, il me tuait parce que je trahissais tout les codes de la famille, parce que je tuais sans discernement, que ceux que je tuais étaient ceux que j'aurais dû protéger, parce que j'étais devenu fou, parce qu'il devait faire la justice lui-même, parce qu'il m'avait créé, et qu'il devait m'éliminer, en douceur, en secret, discrètement.

Mon corps finirait enterré sous les fondations d'une nouvelle maison ou jeté aux crocodiles. Personne n'ira pleurer sur ma tombe, mais tout le monde se souviendra de moi. La pensée m'a traversée que personne ne saura que j'étais mort, et que je continuerais à faire se creuser les méninges aux flics de la Nouvelle Orléans. Ça m'a arraché un sourire au moment de mon dernier souffle. Et puis la terreur est revenue.

Ma vision s'est floutée. Était-ce bien Lucian que je distinguais, était-ce bien lui mon assassin, mon ange de la mort ou bien était-ce un allemand ? Et si je n'étais jamais parti des tranchées ? Et si j'étais toujours là-bas, dans la boue, et dans l'horreur sans fin ? Je pensais être un démon, mais au fond, je n'ai jamais été qu'un maudit. Une âme damnée.

Le récit s'achève ici. J'espère ne pas vous avoir trop retourner l'estomac. N'hésitez pas à me laisser un commentaire, si je peux améliorer mon texte grâce à vos remarques c'est cool.

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