II.
Naïvement, je crus qu'on m'accueillerait les bras ouverts, mais en entrant dans la mafia sans que ma famille en fasse partie, je devais débuter en bas de l'échelle, avec les autres gamins que la mafia recrutait. Mon principal boulot au début était de faire le guet pour voir si la police ne risquait pas de rappliquer. Parfois, on me demandait aussi de faire des livraisons, ce qui était déjà bien plus intéressant.
Cela me permettait de voir un tas de gens intéressants : des parrains, des lieutenants, des types importants. J'observais chacun d'eux avec un mélange de fascination et d'ambition. Je voulais être eux. Ils portaient des costumes, hors de prix, ils avaient de belles chaussures, en beau cuir, des chapeaux contrairement à mon paternel que j'avais toujours vu nu-tête, contrairement à moi et au reste de notre petit univers.
Ce qui me paraissait fantastique était la manière dont ils se paraient pour avoir l'air distingués sans pour autant faire tache dans le décor, un peu comme les policiers ou les médecins. À leurs traits, à leur peau hâlée, à leur accent mélange d'italien et du sud des États-Unis, à leurs manières à la fois soignées et brutales. Typique de notre communauté.
Je reconnaissais déjà les différents usages de cette vie de mafieux, comme cette manière de s'étreindre entre membres de clans ennemis comme si vous étiez de vieux amis tout en gardant un œil suspicieux, et un dos prêt à parer tout coup de couteau.
Comme tous les gamins du quartier, je les enviais, je voulais devenir comme eux, mais contrairement aux gamins aux genoux calleux je savais exactement ce que cela signifiait de devenir comme eux.
J'assistais à mon premier règlement de compte rapidement. Ce fut rapide, discret, tout l'inverse de ce que j'aurais pu m'imaginer, mais ce fut encore mieux que tout ce que j'aurais pu imaginer.
Le traître était là, au milieu de la pièce, ne se doutant de rien. Je vous l'ai dit, les manières des mafieux étaient conçues pour vous mettre à l'aise. Le pauvre bougre n'a rien vu venir. En deux secondes, ils furent sur lui. Deux hommes se saisirent de lui, pendant qu'un troisième lui tranchait la gorge à l'aide d'un rasoir.
C'est de là qu'est née ma seconde fascination. L'image de la hache tranchant la gorge du poulet m'avait quitté depuis longtemps, me paraissait vieille et barbare comme mon pauvre père, cet homme inculte qui ne ferait jamais rien de sa vie. Le rasoir en revanche lui parut une arme bien plus élégante, bien plus raffinée, bien plus adroite. La manière dont il entrait dans la chair, dont il la tranchait...
Je suis demeuré scotcher, presque la bouche bée, les yeux écarquillés, fasciné littéralement. J'aurais voulu photographier cet instant. C'est ce que je fis, du moins avec mes yeux, j'enregistrais le moindre détail afin de m'en souvenir, de pouvoir me rappeler du son de la chair fendue, du sang s'écoulant, de l'expression qu'avait celui tenant le rasoir, et de celle du traître. C'était lui particulièrement qui capta mon attention.
Bien entendu, je n'étais pas discret. Un adolescent planté en plein milieu du couloir, devant la porte entrouverte, ne loupant rien du spectacle alors que tout le monde s'agitait autour de moi. Le quartier était pauvre, par conséquent fortement peuplé, sans aucune isolation ni forme d'intimité, tout le monde entendait son voisin, certains se parlaient même à travers les murs. Et moi j'étais là, sans bouger, presque gênant pour eux.
Gentiment, on me poussa, plus tard, on me fit la remarque que j'étais resté là. Je pense qu'il essayait de savoir si j'avais été horrifié ou fasciné, selon, mon avenir serait très différent au sein de la mafia. Une immense famille comme la mafia a besoin de tout, du petit intellectuel instruit qui pourra la défendre face aux bourgeois et à l'autorité, au gros bras n'ayant peur de se salir les mains. Indéniablement, il était difficile de me faire rentrer dans l'une de ces cases.
Je me souviens d'avoir reculé juste assez pour ne plus gêner, mais d'être resté là. J'espérais qu'on me demande de m'occuper de quelque chose, comme nettoyer le sang. Ma fascination pour cette substance rouge n'avait pas vraiment changé. Mais personne ne songea à me demander quoi que ce soit, si ce n'est, de ne pas rester dans le chemin. En vérité, c'était une organisation bien huilée, chacun avait exactement un rôle à tenir et s'y tenait.
Plusieurs semaines plus tard, j'ai compris qu'on m'avait laissé tout regarder pour que je comprenne la première règle, la seule règle importante, l'unique règle de la mafia. Ne jamais la trahir. J'avais assisté à ma première exécution, il y en aurait bien d'autres. Et le plus drôle là-dedans, c'est que j'étais impatient de découvrir les autres.
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