9. Une piste intéressante?

Benjamin ruminait depuis plusieurs jours. Il n'était pas mort, comme le disait la prédiction. En fait, les jours qui la suivirent furent d'un calme plat. Mais là, le jeune garçon se demandait si ce n'était pas un bien pour un mal. Quand Cassian lui avait demandé de trouver la cachette de la deuxième aiguille, l'adolescent avait cru ressentir un pouvoir immense déferler sur lui. Tenant fermement la première aiguille en main, il avait alors fermé les yeux et s'était concentré avec force. Mais la seule chose qu'il avait réussi à faire fût de s'écorcher profondément la paume. Toutefois, plus douloureuse que sa blessure encore, avait été de lire la déception dans les regards de ses amis.

De dépit, ils avaient alors décidé d'explorer le royaume de Garamaé d'un bout à l'autre, espérant tomber par hasard sur l'aiguille. Méryne lui avait expliqué qu'ils se trouvaient au sud de Garamaé, plus exactement dans les bois du Cyclope. N'étant qu'à deux jours de marche de Fantasyne, ville la plus proche de leur position, ils décidèrent de débuter leurs recherches par là. Dés lors, commença un voyage pénible et silencieux, chacun s'avouant vaincu avant même d'avoir commencé.

Benjamin se languissait de ses parents, de ses amis. S'étaient-ils aperçu de sa disparition ? Ou bien, à l'image de la saga Narnia de C.S Lewis, le temps s'était arrêté et ne reprendrait qu'à son retour ? Mais reviendrait-il un jour ? S'il était le brideur de rêves, n'était-ce pas parce qu'il appartenait désormais à ce monde ? Avait-il été effacé de la mémoire de tous en disparaissant ? Ou ses parents le recherchaient désespérément ? A l'idée que ces derniers soient fous de chagrin et de peur, Benjamin sentit son cœur se serrer et une boule se forer dans sa gorge. Jamais ils ne lui avaient autant manqué. Jamais il n'avait autant désiré se blottir dans leurs bras, à l'abri de tout.

— Hé ! l'interpella doucement Méryne en le rejoignant, ça ne va pas ?

— Si, si, ça va, répondit précipitamment l'Orangeois en effaçant ses larmes, le mal du pays. Mes parents me manquent.

Un sourire triste, presque douloureux, passa sur le visage de la chasseresse qui glissa sa main dans celle de Benjamin. Le garçon sentit son cœur accélérer ainsi que des fourmillements remontant le long de son bras. Leurs regards se croisèrent, miroir embué de leur propre chagrin. Méryne ouvrit la bouche. Deux lèvres roses, légèrement sèches, aimantant le regard de Benjamin. La jeune fille la referma, la rouvrit, se mordit la lèvre inférieur, semblant chercher ses mots.

— En garde ! s'exclama une voix grave tandis qu'une masse indistincte fonçait droit sur eux.

Méryne, dans un réflexe durement acquis par ses années de chasse, poussa Benjamin avec force. Le garçon eut juste le temps de voir la chose traverser son amie avant de dégringoler en roulé boulé une pente abrupte dissimulée par les buissons et les arbres. Sa tête cogna contre une racine et il resta allongé sur le dos, sonné, durant plusieurs minutes.

— Oh ! Je suis désolé, désolé ! s'exclama la même voix en passant ses bras dans le corps de Benjamin.

Méryne et Cassian se frayèrent un chemin à travers la végétation, appelant leur ami d'une voix inquiète. Benjamin sentait la morsure d'un froid intense lui paralyser les bras à chaque tentative du spectre pour le remettre debout. Finalement, ce furent ses amis qui l'aidèrent à se relever. Gémissant de douleur, l'Orangeois, de nouveau sur ses pieds, sentit sa tête lui tourner et manqua de s'écrouler. Cassian le rattrapa in-extrémis et passa un bras sur sa taille pour le soutenir. Quelque chose coulait le long de la joue de Benjamin, déposant un goût métalique sur ses lèvres.

— Par la Tisseraie ! s'exclama Méryne d'une voix étrangement aigu, allonge-le là, vite !

Benjamin se sentit soulevé de terre et reposé en position allongée. Des ombres s'agitaient derrière ses paupières fermées et il tenta de voir ce qui se passait. Mais à peine eut-il brièvement cligné des yeux qu'il fût obligé de les refermer, pris d'une forte nausée.

— Qu'est-ce que vous lui avez fait ? rugit la jeune fille, au bord de l'hystérie.

Benjamin entendit quelqu'un se lever rapidement, un bruit sec et des grognements. Il luttait de toutes ses forces pour ouvrir les yeux, mais son corps refusait d'obéir.

— Je vais vous tuer ! Je vous jure que je vais...Cassian, lâche-moi ! s'époumona la chasseresse.

— Voyons calmez-vous, grommela le fantôme, vous n'arriverez pas à grand-chose, je suis déjà mort. De plus, c'est vous qui avez profané mes terres. A quoi vous attendiez-vous ? Ce n'est pas parce que je suis mort que je n'ai pas un minimum de droits !

— Qu'est-ce que vous racontez là ? gronda Cassian d'une voix qui se voulait posée, ces terres n'appartiennent à personne. Du moins, à personne de physique. Elles appartiennent au royaume depuis la mort de Sir...

— Lukas William Vincero de Pelgyssian ! C'est-à-dire, hum..moi-même, le coupa l'esprit avec arrogance.

Méryne et Cassian blêmirent. Benjamin, ouvrant les yeux, remarqua leur mine terrifiée. Il se redressa péniblement et se laissa glisser en position assise contre un tronc. La nausée diminua mais son crâne pulsait douloureusement. Le souffle court, incapable de prononcer la moindre parole, il observa la scène se déroulant devant lui. Méryne et Cassian, côte à côte, lui tournaient le dos et s'étaient rapprochés de la créature face à eux. Cette dernière, ombre noire aux contours vaguement humains, stagnait à quelques centimètres du sol.

— Vous êtes...vous êtes le fantôme du meilleur ami de....notre père ? demanda Méryne avec difficulté.

— Votre... ? Par la Tisseraie ! Vous êtes les enfants de Derwik ? s'exclama l'esprit, ravi, ce que vous avez grandi !

Une heure plus tard, ils se retrouvèrent tous les quatre devant un feu improvisé où doraient quelques grenouilles qu Méryne avait débusquée près d'une mare vaseuse à quelques mètres de là.

— Vous voir me rappelle des souvenirs, soupira Lukas, je me souviens lorsque nous étions sous les ordres du roi Fergos. Quand je pense que sa fille m'a fait pendre ! Moi, un chevalier ! C'était il y a....il y a... ?

— Quatre ans, murmura Méryne d'une voix blanche, un an après la mort de papa et..., s'interrompit la jeune fille, incapable de terminer sa phrase.

— Oui, paix à son âme, reprit Lukas, Derwik et moi nous sommes rencontrés à la cour du roi Fergos. Nous étions jeunes, ambitieux et fraîchement adoubés. Mais nous étions aussi téméraires et insouciants. Les chevaliers les plus anciens tentaient souvent de nous tempérer. C'était la belle époque. J'aimais la douceur des bras des femmes tandis que Derwik n'en aimait qu'une. Il a rencontré Pénélope, votre mère, par hasard. Ils se sont mariés rapidement et vous êtes arrivés dans la foulée. Malheureusement, la mort de votre mère, au moment de votre naissance, a complètement anéanti votre père.

— Excusez-moi, mais notre mère n'est pas morte en couche, le contredit Méryne, génée. Elle a succombé trois ans plus tard dans un incendie.

— Vraiment ? Demanda Lukas avec surprise puis marmonnant pour lui-même, c'est...intéressant...Je vois oui...Je me suis donc trompé...pourtant j'étais persuadé...Est-ce possible ?

Cassian se racla la gorge, incitant sa sœur a dire quelque chose en lui faisant les gros yeux. Mais la jeune fille secoua la tête, une grimace déformant sa bouche.

— Quoi ? Que se passe-t-il ? Demanda faiblement Benjamin, pour qui l'échange n'était pas passé inaperçu.

— Méryne était promise à Lank, le fils du roi Fergos mais également le frère de la reine Alyne, lui apprit Cassian sous le regard noir de sa sœur, mais Lank est mort avant que leur union puisse se concrétiser.

— Oh ! bafouilla Benjamin, gêné et ne sachant pas vraiment comment réagir, mais tu as quel âge ? Enfin je veux dire désolé qu'il soit...

— Tu n'as pas à l'être. Pour répondre à ta question, je viens d'avoir quinze ans. Oui, je sais, à cet âge c'est déjà tard pour se marier.

— Tard ? s'exclama Benjamin, mais tu n'es même pas majeur ! Là d'où je viens, les gens ne se marient pas avant d'avoir plus de vingt ans !

— Vraiment ? demanda Méryne, avec grand intérêt, pas avant vingt ans ? Mais c'est étrange, comment ça se fait ?

— Hum, hum, pourrions-nous comparer les deux mondes plus tard s'il vous plaît ? Intervint Cassian.

— Oui, bon, reprit Méryne, je disais, tu n'as pas à être désolé. Lank était une personne abject. Ne me regarde pas comme ça, Cassian, lança-t-elle devant le regard plein de reproche de son frère, toi tu avais la belle vie. Tu allais devenir chevalier comme notre père, mais moi, j'allais me retrouver mariée à cet être immonde !

— Méryne, soupira son frère, tu exagères toujours tout.

— Bien sûr que non ! s'indigna la jeune fille, Lank était un fou furieux. Un tortionnaire ! Rappelle-toi la façon dont il simulait des blessures lorsqu'il s'entraînait avec vous ! Rappelle-toi le nombre de d'apprenti-chevaliers pendus parce qu'ils auraient soi-disant blessé le prince ! Il était fou ! annonça-t-elle en se tournant vers Benjamin. Un jour, il a ligoté un de ses serviteurs au sol et l'a tracté avec son cheval lancé au galop à travers la moitié de Ramaé. Les habitants ayant été extrêmement choqués par la barbarie de son acte, le roi n'a pas eu d'autre choix que de condamner son propre fils à mort afin d'éviter de se retrouver avec une révolution sur le dos. Je n'ose imaginer ce que je serais devenue si j'avais épousé ce monstre, ajouta-t-elle en frissonnant.

— Quoi qu'il en soit, reprit Cassian gêné par les dires de sa sœur, une fois Lank mort, le roi n'ayant pas d'autre successeur masculin, ce fût sa fille Alyne qui hérita de la couronne. La première reine de sang royal direct à la tête du royaume. Les Garamaéens mettaient de gros espoirs dans son règne, mais il faut croire que la folie était une tare de famille, conclu Cassian en haussant les épaules.

Lukas acquiesça et posa son regard sur Benjamin avant de lui demander :

— Pardonnez mon impolitesse mais, qui êtes-vous ?

— Je...Je m'appelle Benjamin. Je suis...C'est une longue histoire, répondit l'Orangeois en faisant tourner l'aiguille entre ses doigts avec nervosité.

Les yeux de Lukas s'éclairèrent tandis qu'il regardait le jeune garçon avec vénération.

— Par la Tisseraie ! souffla-t-il, le Brodeur de Rêves ! Une seule aiguille ?

— Heu...oui, répondit l'adolescent avec gêne, nous cherchons la deuxième.

— Oui, bien sûr. Et je sais exactement où vous la trouverez, dévoila le fantôme avec respect.

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